jeudi 10 septembre 2009

Le syndrome de Berlin : Jesse Owens, Maurice Carlton et Usain Bolt


Lors des derniers championnats du monde d’athlétisme ayant lieu à Berlin du 15 au 23 août, les fins connaisseurs du sport ont tous gardé en mémoire les exploits de Jesse Owens. Les Guadeloupéens quant à eux, pouvaient se souvenir que Maurice Carlton, lors de la XIème Olympiade de 1936, foulait les pistes du 100 m dans un contexte belliqueux, agrémenté d’une politique racialiste, sur fond de propagande raciste.

Soixante-treize ans plus tard, dans le même stade, modernisé, l’atmosphère était plus clémente, plus apaisée, les exploits sportifs au rendez-vous.
Berlin 2009, a consacré un nouveau dieu du stade, le Jamaïcain Usain Bolt. Ce jeune prodige focalisa tous les regards, célébrant les avancées athlétiques d’une région insulaire : les West-Indies.

Depuis les années 20, cette région a toujours présenté des élites sportives de niveau mondial : l’Haïtien Sylvio Cator recordman du monde du saut en longueur (1924), en 1948 au 400m Herb Mac kenley, Arthur Wint, les années 60, les sprinters Figuerola, Roger Bambuck, Lennox Miller, un peu plus tard Juantorenna et nous pouvons compléter cette liste, pour une période plus récente en ajoutant : Don Quarrie, Hasely Crawford, Grace Jackson Ato Boldon etc.

La présence d’une élite athlétique caribéenne au plus haut niveau date !

La présence d’une élite athlétique caribéenne au plus haut niveau date !

Les performances d’Usain Bolt 9’’58 et 19’’19, les marques des deux records du monde du 100 m et du 200 m, placent l’athlétisme mondial dans une nouvelle dimension et affirment que l’athlétisme est une affaire hautement professionnelle.

Tout d’abord, ces performances rafraîchissent une discipline en perte de vitesse et en recherche de nouvelles images porteuses, voire marchandes à forte valeur ajoutée.

Ensuite, Bolt bouscule les idées reçues qui établissent savamment des barrières aux limites humaines, ici le maximum de la vitesse semblait atteint, figé et renforcé par les affaires de dopage.

Au-delà du sport, Bolt fierté d’une nation, ravive comme en 1936, les querelles et les partisans de faux débats ethnicisés sur une prétendue hégémonie noire.

Ces questions et débats enserrent les performances des athlètes noirs dans un présupposé déterminisme biologique, donc seraient sans relations avec le travail exercé sur les corps placés dans des contextes socio-politiques, économique, religieux et scolaire, ce qui aurait tendance à déplacer les réalités et nourrir tous les aphorismes sur les Noirs.

A ma grande déception, cette idée se vend bien et plait. Toutefois à ce jour rien n’est scientifiquement prouvé.

Les résultats de Berlin, tout comme ceux des championnats du monde ou des Jeux olympiques est l’occasion de faire les mêmes constats de carences, depuis dix ans l’équipe de France d’athlétisme recule, la France est à la 20ème place aujourd’hui §

Elle se répète, de faibles résultats, l’absence de combativité et surtout le fatalisme dans lequel s’installent nos sportifs, tendent à devenir un quotidien qui dérange peu ; Au contraire cette attitude conforte certains dans leurs préjugés et positionnement, trouvant toujours des arguments explicatifs exotiques : l’autosatisfaction, le dopage des autres, comment peut-on triompher d’hommes qui ont la « chance d’aller à l’école en courant 10 km à pied » sur les hauts plateau ?

La méthode coué, nous est présentée sur un ton de jovialité lors des déroutes :

- Ah ça ira, tout va très bien madame la marquise ! » Ce n’est pas grave, on est en phase d’expérimentation !

- L’Arlésienne et le refus de prendre le taureau par les cornes, devient lassant pour les hommes de terrains sur qui pèsent les responsabilités, à qui ont demande plus et souvent sont pris pour cible…

Les résultats des petites îles de la Caraïbe, la deuxième place de la Jamaïque, derrière les Etats-Unis, représente une zone géographique performante : la 12ème place de Cuba, la 16ème de Barbade, la 21ème de Trinidad et Tobago, la 22ème des Bahamas, 26ème de Puerto Rico. Ces résultats, comme d’habitude renvoient la question que font les Antilles, ce qui sous-tend que font les Guadeloupéens, Martiniquais et Guyanais ?

Cette année nos représentants étaient pourtant présents, dans une grande impuissance ma foi : Darien Garfield (haies), Eloyse Lesueur (longueur), Jessica Cerival (poids) et bien entendu les sprinters Ronald Pognon, Eddy Delépine, David Alerte finaliste du 200m, Solène Désert et Johanna Danois. La majorité d’entre eux s’entraîne en France sauf Johanna danois. Cette jeune athlète guadeloupéenne éliminée en demi-finale dans un contexte difficile (le mouvement social de la Guadeloupe) a montré plus que des dispositions.

Elle atteste que les talents peuvent travailler en Guadeloupe, dès qu’ils sont placés dans de bonnes conditions, facilitées par une dynamique municipale qui offre des installations performantes et laisse travailler paisiblement un entraîneur : Ornélien Gombeau.

Ces dynamiques porteuses sont dans la lignée d’une tradition athlétique guadeloupéenne perdue.

Les lendemains de Berlin semblent prometteurs.

Un plan Caraïbe pensé sans grande consultation locale nous sera bientôt présenté comme la nouvelle panacée. Cette soudaine promptitude à réagir m’interroge : est-il en mesure de répondre à l’ampleur du chantier dans des îles où le loisir prime sur le travail ?

Cette brusque prise en considération des « antillais » qui découvre – enfin - les vertus de s’entraîner sur place ne doit se résumer à un plan de communication, une vaste récupération d’idées assemblées pêle-mêle, sans vouloir traiter les réelles causes, prendre en compte l’action des hommes de terrain.

Il est peu question de reconnaissances de compétences locales, qui durant les 20 dernières années ont été savamment épuisées, peu encouragées voire combattues.

Un grand nombre d’athlètes talentueux ont disparus. Ces talents tués résultent d’un état d’esprit institué et de pratiques destructrices qui ne s’avouent pas, mais qui sont bien actifs et bien entretenus dans nos Régions où il faut couper toutes les têtes qui dépassent.

Tous ceux qui sont sur les terrains face aux jeunes sont capables de dire les difficultés, les vexations qu’ils doivent surmonter pour fidéliser les jeunes, leur donner le goût de l’effort, surtout les rendre performant, leur permettre de s’entraîner et de mener leur scolarité de front, afin réussir sur les deux tableaux.

En effet, la réussite sportive pensée essentiellement par un accès au haut niveau, sans prendre en compte la réussite scolaire, universitaire, de l’emploi est un leurre et une histoire douloureuse de laissés-pour-compte bien connue de nos sportifs.

Les stades se ferment délibérément.

La pratique de l’athlétisme qui attiraient les classes populaires est tributaire des coûts exorbitants de pratiques qui pèsent sur les clubs et les familles.

Les hommes impliqués dans une telle aventure seront-ils réellement accompagnés et pris en considération au-delà de beaux discours ?

Les collectivités, les organisateurs de grandes compétitions qui invitent nos voisins de la Caraïbe savent les angoisses et le prix à payer pour maintenir des grands évènements, pour recevoir Bolt, Merrit, Philipps.

Ces manifestations prisées par la fédération internationale sont systématiquement boycottées par l’élite nationale.

Il est aussi bon de rappeler que nos îles voisines – contrairement à nous où l’athlétisme s’enseigne dès les petites classes - Cuba et la Jamaïque sont dotées de moins d’installations performantes que la Guadeloupe.

Penser le sport uniquement en termes d’infrastructures au détriment de la formation de cadres performants et de codes éthiques, la création d’un climat de confiance limite les actions et les degrés d’engagements.

Le sport jamaïcain, cubain, trinidadien est pensé par des hommes passionnés fortement impliqués dans leur société respective, par une haute idée politique qu’ils ont de leur pays, un état d’esprit, un pragmatisme de terrain et une volonté de réussir.

Pendant plus de 10 ans, les entraîneurs jamaïcains se sont formés dans les plus grandes universités américaines, sont venu se mettre au service de leurs populations et s’engagent corps et âme pour leurs athlètes.

Le syndrome de Berlin

Après les jeux olympiques de Berlin de 1936, les exploits de Jesse Owens ont conduit la Fédération Française d’athlétisme à s’intéresser à l’Afrique en organisant avec un quotidien L’Auto. Cette entreprise prit le nom de la « mission l’Auto », c’est-à-dire la recherche de la « perle noire » pour renforcer les équipes de France. Deux ans après, cette mission fut abandonnée après un grand échec, aucun athlète talentueux n’a été détecté.

Le plan Caraïbe annoncé semble être le même réflexe de nature épidermique, espérons que les issues soient plus favorables.

Cette professionnalisation qui nous est annoncée, sans dire son nom, sans se décliner sera-t-elle au service de nos jeunes ?

Sera-t-elle en mesure de créer de nouveaux modèles d’excellence et d’identification ?

Sera-t-elle au service de l’image de nos Régions ?

Harry P. Mephon

Sociologue, auteur de Corps et Société en Guadeloupe. Sociologie des pratiques de compétitions. Presses Universitaires de Rennes 2007

Source
Entraîneur d’athlétisme

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