mercredi 20 janvier 2010

Ne pas confondre Haïti et le Vietnam!



L'administration américaine n'a absolument aucun intérêt à occuper un pays qui est le plus pauvre des Amériques.

La France médiatico-politique possède une capacité étonnante à s'abstraire de la réalité et à se complaire dans des polémiques qui sont la résurgence de vieux réflexes idéologiques, en l'occurrence anti-américains. Le tremblement de terre en Haïti en est une nouvelle et lamentable démonstration.

Après avoir à juste titre souligné la lenteur de l'arrivée des secours aux sinistrés et aux blessés, les difficultés logistiques, la crainte d'émeutes de la faim, voilà qu'aujourd'hui, tandis que l'aide commence à arriver, pour les médias français la grande question est celle de l'impérialisme américain. On parle d'invasion, d'occupation par l'armée américaine et d'un protectorat à venir. On rappelle l'occupation de l'île de 1915 à 1934 par les Etats-Unis.

Le signal est venu du quai d'Orsay, dont l'opposition à l'hyperpuissance américaine, réelle ou supposée, est génétique. Le secrétaire d'Etat à la Coopération, Alain Joyandet, présent à Port-au-Prince, a annoncé samedi 16 janvier avoir élevé une protestation auprès des autorités américaines... après qu'un vol humanitaire français a été dérouté. Le même Alain Joyandet a reconnu à contre-cœur peu de temps après que la tour de contrôle de l'aéroport de Port-au-Prince étant détruite, seuls les Etats-Unis étaient capables techniquement de reprendre la gestion de l'aéroport, faute de quoi il n'y aurait pas eu d'atterrissage du tout en Haïti. A Paris, le ministère des Affaires étrangères a fini par démentir l'existence d'une protestation officielle auprès des Etats-Unis.
Polémique ridicule

Cela n'a pas empêché le même secrétaire d'Etat à la Coopération de revenir à la charge lundi 18 janvier. «J'espère que les choses seront précisées quant au rôle des Etats-Unis. Il s'agit d'aider Haïti, il ne s'agit pas d'occuper Haïti», a-t-il déclaré.

La polémique sur les ambitions américaines cachées est ridicule. La seule façon de venir en aide à des centaines de milliers de personnes en leur apportant de l'eau, de la nourriture et des soins dans un environnement chaotique est d'utiliser la logistique militaire. La seule armée au monde ayant les moyens, notamment de transport (maritime et aérien, surtout les hélicoptères), pour le faire est l'armée américaine. En outre, la proximité géographique des côtes de Floride rend la chose plus facile.

Si l'armée américaine n'était pas intervenue en force et rapidement, l'acheminement des secours serait resté anecdotique, en dépit des bonnes volontés. C'est un fait, contesté par personne et par aucune ONG.

Alors bien sûr, Barack Obama en se portant au secours des Haïtiens ne néglige pas la communication politique, comme les gouvernements chinois, israélien, cubain, vénézuélien, canadien, français... L'administration n'a même pas besoin de mettre en avant le contraste avec la lenteur de l'engagement de l'administration Bush quand l'ouragan Katrina a ravagé la Louisiane et la Nouvelle-Orléans tant il est saisissant. Les sondages montrent que les Américains lui en sont reconnaissants. Il en a bien besoin après une année de pouvoir où il a dû faire face à la plus profonde récession économique aux Etats-Unis et dans le monde depuis 80 ans.

Il ne faut pas non plus se voiler la face sur la volonté américaine d'empêcher l'arrivée d'une marée d'immigrants haïtiens sur les côtes de Floride, souci qui a aussi mené la politique de Washington vis-à-vis de Port-au-Prince sous les présidences de Bill Clinton et de George W. Bush. Il convient d'ailleurs de rappeler que les épisodes du retour d'Aristide au pouvoir en 1994 et de son départ forcé en 2004 ont été orchestrés ensemble par les Etats-Unis... et la France.
Théorie du complot

De là à imaginer que les Etats-Unis veulent mettre la main sur Haïti, il faut vivre dans un monde de fantasmes et de théories du complot. L'administration américaine n'a absolument aucun intérêt politique et stratégique à gérer un pays qui est le plus pauvre des Amériques et où les administrations et les infrastructures sont presque inexistantes et l'étaient déjà avant le tremblement de terre du 12 janvier.

Les défenseurs de la souveraineté bafouée de Haïti ne savent pas de quoi ils parlent. L'Etat haïtien était, et depuis des années, inexistant et défaillant. La seule force capable d'imposer un minimum d'autorité était la force militaire de l'ONU, la Minustah. Et elle éprouvait les pires difficultés à maintenir un semblant d'ordre à Port-au-Prince. L'économie haïtienne dévastée reposait sur deux piliers, l'aide de la diaspora et l'aide internationale. L'absence de toute forme véritable de police, de justice et de notion d'intérêt général ont fait disparaître du pays au fil des années tout comportement citoyen.

J'ai le souvenir il y a trois ans lors d'un séjour à Port-au-Prince de la réflexion d'un propriétaire terrien qui, dans un pays où les gens ont faim, avait cessé de cultiver des terres fertiles et irriguées car ses récoltes étaient pillées avant d'être arrivées à maturité. Un autre Haïtien expliquait avoir voulu construire une maison et s'être fait voler tous les matériaux déposés sur un terrain en deux jours. Chaque Haïtien de la diaspora a une anecdote similaire à raconter.

Pour entrer dans le bidonville le plus insalubre et le plus dangereux de Port-au-Prince, Cité soleil, il fallait soudoyer les chefs de gang. Ces derniers, c'était en 2006, terrorisaient les malheureux casques bleus jordaniens calfeutrés à l'entrée du bidonville dans leurs automitrailleuses. Il faut reconstruire Haïti depuis les fondations.

Les postures sur l'impérialisme américain et la souveraineté haïtienne n'ont tout simplement aucun sens, sauf celui du ridicule.

Eric Leser

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