dimanche 11 avril 2010

Revenir au fondamental


La difficulté rencontrée de faire adhérer les Martiniquais à la simple idée d’une avancée mineure vers la responsabilité, vers quelques modérés pouvoirs, pour être en mesure de défendre leurs intérêts, leur terre, leurs emplois, leurs activités, invite à l’analyse. Au lendemain d’un échec retentissant dont les causes immédiates et superficielles sont multiples, il convient de tenter d’en révéler la ou les véritables origines.

D’aucuns avancent l’incapacité des perdants à communiquer de façon moderne, tant à la tête de la collectivité dirigée que pendant la campagne électorale. C’est absolument vrai. Ceux qui n’ont pas compris que la communication sous toutes ses formes et surtout sous celles qui la lient le plus aux fondamentaux du XXIe siècle est devenue le passage obligé de toute réussite, n’ont plus leur place sur la scène publique. Les oreilles, les yeux, les appréhensions et les espoirs se nourrissent dorénavant de rêves, d’engagements et de messages, peu nombreux, mais qui doivent être impérativement attachés au ciment de la communauté. Ailleurs dans le pays d’Obama il s’est agi de rappeler que l’initiative individuelle et collective peut permettre de concrétiser les plus audacieux espoirs, ici il importe de se dresser par les engagements, face aux menaces que fait peser l’éventualité de difficultés particulièrement enracinées dans la mémoire collective. Celui qui tente d’appâter chaque segment de la population en multipliant et en diversifiant les messages n’en convaincra aucun. Il aboutira au résultat de celui qui ne communique point.

D’autres considèrent qu’il y avait trop peu de temps pour expliquer, que l’approche juridique de la question ne pouvait être comprise, que les mensonges de certains ont constitué un crime de lèse-peuple, qu’une seule question aurait dû être posée, que la campagne n’a pas été menée par certains farceurs « zinzoleurs ». Tout cela relève du réel mais n’en constitue pas l’essence.

Une autre explication a mis l’accent sur cette troisième voie proposée par l’ancien maire de Fort-de-France, sans explications précises, manière de faire rêver, de préparer la victoire des régionales et de se positionner pour la future Assemblée unique. Tant pis pour l’avancée vers la responsabilité, tant pis pour l’autonomie, tant pis si la droite dite réactionnaire y trouve occasion de se repositionner. Tout cela est bien vrai. Aussi vrai que sa volonté de repousser à 2014 la mise en place de la Collectivité unique, relève de celle de se donner le temps d’affronter en 2011, par candidat interposé et par majorité renouvelée, le président du Conseil général par ailleurs sénateur du pays.
Le tour sera alors joué, puisqu’il se présentera seul en 2014, libéré des adversaires qui pourraient l’empêcher de devenir le premier président de la première Assemblée unique de la Martinique.
Ces calculs sont le fait du quotidien des hommes politiques et tant pis pour ceux qui ne savent pas éviter les chausse-trapes. Qu’ils fassent allégeance ou qu’ils constatent qu’ils n’intéressent plus l’histoire. Quel que soit l’individu, son sort importe peu au futur des peuples, tant qu’il s’agit d’agitations balisées par les seules ambitions et les seules carrières politiques.

Le plus grave s’inscrit dans la durée, dans les perspectives d’une communauté qui se cherche, dans les voies empruntées à tort pour gagner le seul droit de mieux vivre. La faute est donc ailleurs. Elle est antérieure à cette période de troubles nourris par nombre de passions.

J’affirme que la vocation première d’un peuple est d’exister et de se pérenniser. J’affirme que la fonction majeure d’un peuple est de créer les conditions de son affirmation par lui et pour lui, par et pour l’ensemble auquel il peut appartenir. Et cette fonction majeure se doit d’être opérée au plus haut niveau et dans le langage qui s’impose à tous et à chacun. Le peuple a pour premier devoir d’exister et de le faire inscrire dans cette loi fondamentale qui sert de soubassement à l’ensemble auquel il appartient. Si l’ensemble c’est lui, il doit alors bâtir sa loi fondamentale sur sa reconnaissance comme axiome de départ. Aucune autre vocation, aucune autre action ne peut égaler cette mission impérative. Il ne peut s’en détourner au motif qu’il aurait soif ou faim, sous peine de vendre son âme pour un plat de lentilles. Sinon comment lui demander plus tard de faire peuple, alors qu’il n’est peuple qu’en décomposition, en filigrane ou au verso de la page.

Cependant, autant les choix malheureux ne peuvent se corriger par le seul espoir d’une prise de conscience qui émergerait du néant, autant il est toujours possible de les amender par le seul courage politique.
Autant le Martiniquais doit exiger sa souveraineté territoriale, politique et économique, s’il considère que son existence est en jeu, autant cette revendication ne peut représenter sa vocation suprême. Il a d’abord le devoir d’exister par lui et pour lui, en tant que peuple qui s’impose en la forme requise, puisqu’il participe à l’ensemble français. Cette forme, quand bien même il lui a tourné le dos en lui préférant l’épaisseur du ventre et le volume du cerveau, il est temps qu’il en fasse son affaire essentielle. Si son rapporteur n’a pas cru si bien faire, délibérément, étant entendu que le mot peuple inscrit en 1946 puis en 1958 dans les Constitutions ne s’adressait d’aucune manière aux populations des Quatre vieilles, colonies, j’affirme que dès 1946, le refus était consommé par l’une et l’autre des parties, la France et le Martiniquais.
Ce mot « peuple » soi-disant injurieusement remplacé dans la loi fondamentale par celui de « populations » n’a jamais concerné les Français de Martinique. IL a intéressé ceux qui en 1958 ont immédiatement préféré l’indépendance à la « Communauté », les Guinéens dont Sékou Touré, puis ceux qui jusqu’en 1960 sont partis avec armes et bagages de l’ensemble français. J’affirme que le Martiniquais savait dès 1946 que sa qualité de peuple lui était déniée. J’affirme qu’il a choisi d’en abandonner la restitution au profit d’une lutte insignifiante pour quelque responsabilité qui pourrait succéder à l’égalité recherchée. Le choix de l’autonomie procède de la revendication de pouvoirs dans un ensemble qui ne vous reconnait pas, alors que la mission première d’un peuple est d’exister.

Au lendemain d’une consultation qui n’aurait jamais dû concerner une question juridique, à quels fondamentauxpourrait-on se rattacher pour savoir avancer ?

Il convient de prendre conscience du caractère artificiel de toute lutte procédant de la modification de l’ordre des missions d’un peuple.
Il faut mesurer l’absurdité de l’abandon du devoir d’exister au profit de la recherche d’une souveraineté ou d’une parcelle de responsabilité.
Il importe de se convaincre qu’opter pour une consultation-alibi du peuple, alors que les autres inscrivent le changement du droit dans l’unique sphère du législateur, représente une fuite en avant vers des lendemains sans issu.

Bref ! Constatons que les Martiniquais se veulent profondément français mais qu’ils n’en refusent pas pour autant leur qualité de peuple. L’histoire et la géographie politique nous enseigneront alors que les peuples cohabitent dans des ensembles dans lesquels, au plus haut niveau, dans l’ordre constitutionnel, leur réalité et leurs attributs sont coulés dans le droit.

C’est le seul combat qui vaille. C’est la première mission d’un peuple.

Et que l’on ne nous rétorque pas que la précoce unité du peuple français justifierait le moule commun, l’assimilation, le caractère unitaire de la République. Cette nation française née en 1990 sur le Champ de Mars, cette France de la libération et celle du début de la Ve République n’ont jamais su qu’existait un peuple martiniquais.

Pierre Suedile

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