jeudi 26 août 2010

Haïti. Des caméras pour témoigner


Arnold Antonin, réalisateur haïtien, émet des réserves sur la politique ou plutôt le manque de politique de reconstruction à Haïti. Il animera, demain, une conférence sur le sujet dans le cadre du 33e festival de cinéma de Douarnenez(29).

Arnold Antonin est un amoureux de la vérité. Ses prises de position lui ont d'ailleurs valu d'être interdit de séjour pendant vingt ans à Haïti mais aussi à Saint-Domingue. En 1987, après l'extinction de la dictature Duvalier, il a retrouvé sa ville, Port-au-Prince. «J'étais présent le 12janvier, lors du séisme. J'ai été très secoué. Mais j'ai appelé mon équipe pour qu'on filme, qu'on puisse témoigner. C'était comme un réflexe.À Haïti, la mémoire est courte. Une catastrophe a toujours chassé l'autre. Je voulais graver sur la pellicule ce que je voyais».

Le gouvernement alerté

Les images du documentaire, qu'il a présenté hier aux festivaliers, sont très fortes mais toujours pudiques. Dans «Chronique d'une catastrophe annoncée», le cinéaste démontre que l'État n'a pas écouté les spécialistes de la tectonique qui annonçaient l'imminence d'une catastrophe. Sept mois avant le séisme, une manifestation rassemblant 3.000 personnes avait eu lieu à Port-au-Prince. Sur les banderoles, on pouvait lire: «Non au suicide collectif». Des mouvements dans la faille avaient été détectés mais Haïti ne possédait plus un seul sismographe. Le cinéaste pointe aussi du doigt le manque de législation. «On a laissé la précarité gagner du terrain sans aucun accompagnement. Les gens ont construit n'importe où et n'importe comment. Sans ce chaos urbain, de très nombreuses victimes auraient pu être épargnées».

Les matériaux de décombres réutilisés

Et aujourd'hui, comment la capitale haïtienne panse-t-elle ses plaies? «Les rues ont été en partie déblayées. Les gens reconstruisent avec les matériaux de décombres, sans normes et dans le plus grand désordre. Je crains que la nouvelle ville qui va naître soit plus dangereuse que celle qui a été mise à genoux.Aucune étude sismique n'a été lancée dans le pays. On ne sait pas où passent les failles. Je l'ai signalé dans une lettre ouverte que j'ai envoyée au président René Préval». Quant à l'aide internationale -11millions de dollars provisionnés -, les Haïtiens ont à peine commencé à en voir la couleur. «La conférence internationale pour la reconstruction n'a pas encore lancé de grand plan cohérent. Les projets sont encore au stade de l'étude. On a l'impression que chaque pays tire la couverture à lui, chaque bailleur de fonds cherchant à construire sa vitrine». Les élections présidentielles, prévues le 28novembre, ont aussi accentué cette inertie. Les Haïtiens étant dans une situation d'attentisme assez insoutenable. «Les vraies questions de société ne sont pas posées par la plupart des candidats, estime ArnoldAntonin. On n'évoque presque pas les problèmes d'environnement qui, chez nous, sont des bombes à retardement.À Port-au-Prince, par exemple, des quartiers entiers ont été bâtis sur des tas d'immondices». Arnold Antonin promet de rester très vigilant sur la suite des événements. À ses côtés, Donald Charles et Jean-Bernard Bayard, deux étudiants de l'Institut de cinéma de Jacmel, une ville située au sud de Port-au-Prince, entendent, eux aussi, continuer à témoigner. Hier matin, ils ont présenté une série de courts métrages réalisés après le séisme. Une série de portraits très convaincants. La relève est assurée. Reste à redynamiser les circuits de distribution du cinéma haïtien qui n'existent que grâce aux DVD. Le projecteur de la dernière salle de cinéma ayant été définitivement éteint avant le séisme. Pratique Conférence gratuite, demain, à 18h, sous le chapiteau du festival, à Douarnenez. Y participeront Arnold Antonin, Donald Charles, Jean-Bernard Bayard, l'anthropologue Laënnec Hurbon et l'écrivain Gary Victor.
 
Didier Déniel
 

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