mardi 28 juin 2011

LA DEMONDIALISATION, UNE IDEOLOGIE POUJADISTE …



Ces derniers temps, il n’est bruit, dans le microcosme politique français, que d’un nouveau concept, un néologisme : la démondialisation. A traduire par démonisation ou diabolisation de la mondialisation. On remarquera tout d’abord que la démondialisation est brandie tout à la fois par le Front National et par…le Parti socialiste. De quoi s’agit-il exactement ?

Eh bien, on nous explique qu’il faut revenir d’urgence aux anciennes frontières et au protectionnisme économique sous peine de voir l’Europe s’enfoncer inexorablement dans la décadence. Les pays du Sud, notamment les pays émergents (Chine, Brésil, Inde etc.), seraient en train de manger de la laine sur les pays du Nord, en affichant un taux de croissance insolent (même en Afrique noire où malgré les conflits armés il avoisine les 5%) alors que la Grèce, l’Irlande, l’Islande, l’Espagne, le Portugal sont quasiment en faillite et que le tour de l’Italie ne semble pas très loin. Bref, le centre du monde est en train de se déplacer, même si Obama, lors de son dernier voyage en Angleterre, a déclaré sans rire que « la montée des pays du Sud ne doit pas menacer le leadership du monde occidental ».
On notera tout d’abord que cette charge contre la mondialisation provient de ceux-là même qui sont à l’origine de la…mondialisation. Car celle que nous vivons présentement n’en est que la deuxième, la première étant celle qu’a inauguré Christophe Colomb il y a bientôt cinq siècles. Au XVe siècle, l’Europe n’était pas plus développée que la Chine ou l’Inde. Les bateaux de l’amiral chinois Zang-He qui, à l’époque, accostèrent à l’actuel Kenya étaient quatre fois plus gros que les caravelles du navigateur génois. Pourtant, les Chinois n’entreprirent de coloniser ni l’Asie du Sud-Est ni la Corne de l’Afrique. L’Europe fut donc la seule à bénéficier de la chance inouïe d’avoir de nouveaux territoires à exploiter. En général, on insiste, comme l’on fait Frantz Fanon (« Les Damnés de la terre) ou Walter Rodney (« Comment l’Europe a sous-développé l’Afrique ») sur le seul aspect économique de la colonisation, cet immense transfert de richesses (or, argent etc…) des Amériques, puis de l’Afrique et de l’Asie vers le prétendu « Vieux Continent » (En quoi l’Europe serait-elle plus « vieille » que la Chine, l’Inde ou le monde maya, on se le demande bien ?). On oublie un autre élément capital : ce que l’économiste étasunien Kenneth Pomeranz a appelé, dans son ouvrage « Une Grande divergence. La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale », la prime écologique.
PRIME ECOLOGIQUE
De quoi s’agit-il ? « De l’énorme soulagement écologique procuré à l’Europe hors de ses frontières, tant par le gain de richesses que par l’exportation de colons », écrit l’auteur qui souligne « la dimension exceptionnelle de l’aubaine représentée par le Nouveau Monde ». En clair, la colonisation a permis à l’Europe de soulager sa pression démographique et surtout d’éviter de surexploiter ses propres richesses (forêts, mines etc.), cela grâce à l’apport continu de biens en provenances de ses différentes colonies à travers le monde. On mesure aujourd’hui les effets de ladite prime écologique : 42% du territoire de la Communauté Européenne, soit 177 millions d’hectares, est couvert…de forêts, une bonne partie du reste étant des terres agricoles. En clair, l’Europe a pu protéger son environnement grâce à la colonisation, à des époques où cette question n’était pas à l’ordre du jour certes, mais le résultat est là. La conquête coloniale, elle, a dévasté écologiquement de vastes portions des colonies, notamment en Afrique noire, en Asie et dans les Caraïbes.
EGOISME
Pour en revenir à la fameuse démondialisation, à notre sens, elle ne fait que refléter l’égoïsme fondamental de l’Europe et de cette extrême-Europe que sont les Etats-Unis. On se souvient de la réplique cinglante d’un ministre brésilien de l’environnement face à des étudiants étasuniens venus exiger que le Brésil cesse d’exploiter l’Amazonie : « Nous n’avons pas vocation à être un parc d’attractions pour touristes fortunés ! ». Car, effectivement, le vent tourne : c’est autour des BRICS ou pays émergents de profiter de la mondialisation. Et les Occidentaux sont mal placés pour s’indigner de l’absence d’états d’âme des dirigeants du Sud, eux qui en ont profité insolemment durant 5 siècles ! Sans compter que le capitalisme et le libre-échange sont des créations occidentales et que leur logique implacable n’avait jamais été remise en cause tant que cela ne dérangeait pas le bien-être européen et étasunien. Maintenant que les délocalisations massives désindustrialisent l’Occident au profit des pays du Sud, voilà que celui-ci pousse des cris d’orfraie et envisage de rétablir des frontières douanières. « Protectionnisme » disent en cœur Marine Le Pen, Mélenchon, le Parti Socialiste et même une fraction de l’extrême-gauche. Même discours chez Obama !
Certains écologistes occidentaux ne sont pas en reste qui invoquent les pollutions massives et autres atteintes à l’environnement provoquées par les grands travaux (barrages etc.) dans des pays comme la Chine ou le Brésil. Faut-il leur rappeler que, par exemple, 80% du dioxide de carbone qui empoisonne notre atmosphère provient de la Révolution industrielle européenne, puis étasunienne des XIXè et première moitié du XXe ? S’il y a quelqu’un qui est responsable du trou dans la couche d’ozone, ce n’est certainement pas l’éleveur de bétail malien ou le paysan vietnamien ! L’empreinte-carbone d’un Occidental jusqu’à ce jour est cent fois supérieure à celle d’un Indien ou d’un Sud-américain.
POUJADISME
La démondialisation est une idéologie poujadiste. Le refus d’admettre que l’Occident ne peut pas rester éternellement le centre du monde. Qu’il n’a pas vocation à diriger ni exploiter indéfiniment le reste de la planète. Que ce reste de la planète travaille à se développer lui aussi, à élever le niveau d’éducation de sa population, à construire des routes, des écoles, des hôpitaux, des barrages etc. Et même, quelle horreur !, à investir en Occident, à racheter des entreprises occidentales comme l’ont fait l’Indien Mittal pour les aciéries ou le Quatar pour le club de foot Paris-Saint-Germain. Eh bien, oui, le vent tourne !
Mittal et le Quatar sont cent fois plus dangereux pour l’Occident qu’Al-Quaida. Au lieu donc de s’épuiser à traquer, à coups de millions de dollars, des « terroristes », qu’il a souvent lui-même fabriqués, l’Occident ferait mieux de consacrer ces sommes à la refonte de son économie et de son système social au lieu de songer à se replier frileusement derrière le néo-protectionnisme.

RAPHAEL CONFIANT

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