mercredi 1 juin 2011

Réseaux pédophiles : 90.000 enfants concernés et personne ne s’en souvient ! (partie 1)



C’est l’histoire du plus grand réseau de pédophilie jamais démantelé (90.081 enfants concernés selon Interpol), et ce essentiellement à l’initiative d’une petite association belge sans but lucratif qui étudie les problèmes de maltraitance et de disparitions d’enfants. L’asbl Morkhoven est active depuis la fin des années 80, elle tire son nom du village où habite son président, Monsieur Marcel Vervloesem, elle fût mise sous les feux de la rampe en juillet 1998 lorsqu’elle divulgua aux autorités des supports informatiques et des cassettes vidéo possédant un contenu à caractère pédophile.
Ces documents à caractère pédophile proviennent d’un appartement de Zandvoort, sur la côte hollandaise, à partir duquel les images étaient vendues sur internet.[1] Les personnes impliquées sont de diverses nationalités, le réseau pédophile était actif dans plusieurs pays rendant le dossier relativement complexe.
La RTBF, télévision publique belge, diffuse un long reportage retraçant cette affaire le 09/09/1998 dans l’émission « Faits Divers ». Il est actuellement disponible sur dailymotion. Cet article est principalement basé sur les informations contenues dans ce reportage ainsi que sur la plainte déposée le 04/03/2001 par l’asbl Morkhoven au Procureur du Roi de Neufchâteau (Belgique).
Voici les éléments importants de cette affaire présentés de manière chronologique.
Fin 1991 - début 1992 : Le film amateur « Madeira » est projeté à plusieurs reprises, au café « Monty » situé à Temse (Belgique), à titre de « catalogue de voyage » de l’île de Madère et des « facilités » qu’elle propose. Son contenu est à caractère pédophile. Ce café ainsi qu’un autre café de Temse (le « Gayati ») étaient notamment fréquentés par des pédophiles dont certains organisent des voyages en hollande avec des jeunes garçons marginaux ou issus de familles défavorisées.
29/01/1992 : L’asbl Morkhoven, suite à des liens avec des enquêtes précédentes, a découvert cette situation inquiétante et envoie au ministre belge de la justice du matériel de pornographie enfantine lié au réseau de Temse.
Peu de temps plus tard, se sentant découvert, des personnes gravitant autour des 2 cafés portent plusieurs fois plainte pour chantage, diffamation et escroquerie contre Marcel Verloesem, le président de l’asbl.
18/09/1992 : Suite à une intervention de la police hollandaise dans un appartement de Waalre (non loin d’Eindhoven), le bureau d’Interpol de La Haye adresse à celui de Lisbonne une liste des 4 adultes qui se trouvaient dans l’appartement. Ces adultes ont été surpris en compagnie de 2 jeunes adolescents à demi-drogués et complètement nus. Ils étaient en possession de photos à caractère pédophile (contenant des enfants portugais) et étaient en train de regarder des films pornographiques amateurs.
Dans l’un d’entre-eux, on pouvait observer sur une plage du Portugal l’un des adultes présent dans l’appartement, à savoir le belge Robbie Van Der Plancken. Etant né le 07/09/74, il était encore forcément mineur au moment du tournage. En sus de Robbie, on retrouvait également sur cette liste Lothar Glandorf (allemand né en 60), Norbert De Ryck (belge né en 49 et domicilié à Temse) ainsi qu’un hollandais domicilié à Waalre. Lors de son audition, Lothar Glandorf admet connaître Norbert De Ryck et avoir déjà rencontré chez lui un anglais, un certain Warwick Spinks.
92 & 93 : Les autorités « compétentes » sont donc en possession de preuves solides et pourtant l’affaire n’évolue pas. La presse est également muette.
24/07/93 : Le petit Manuel Schadwald de Berlin disparaît à l’âge de 12 ans.
Une année plus tard, un groupement d’aide social enregistre un coup de fil anonyme dans lequel l’interlocuteur déclare détenir des preuves attestant que le petit Manuel est mort à Amsterdam et que l’homme qui porte sa mort sur sa conscience se trouve régulièrement à la gare en fin de matinée. Il ne connait pas son nom mais donne une brève description de cet homme qui se promènerait presque toujours avec sa clé de voiture en main.
19/09/94 : Manuel est vu, selon des observateurs travaillant pour la police de Rotterdam, en compagnie de Lothar Glandorf rentrant tous deux dans un bar.
Fin 1994 : Suite à une collaboration avec la police allemande, la police de Rotterdam démantèle un réseau de prostitution enfantine et parvient à soustraire une série de jeunes garçons sans pour autant mettre la main sur le petit Manuel. Deux bars sont fermés par la police, l’un des propriétaires n’est autre que Lothar Glandorf et il sera condamné en octobre 1995 à une peine de 6 ans de prison pour traite d’êtres humains, débauche de mineurs de moins de 16 ans et occupation de garçons de - de 18 ans dans un bordel. Plusieurs de leurs clients, dont un français, un anglais et deux américains, furent également condamné à des peines de prison.
Mai 1995 : Le président d’Interpol et chef de la police suédoise, Bjorn Eriksson, déclare lors d’une conférence qu’il y aurait, en Europe, 30.000 pédophiles liés aux réseaux et à la publication de pornographie enfantine. (source)
05/10/1996 : Un certain Dirk, l’une des personnes qui avait porté plainte contre Marcel Verloesem, déclare à la TV hollandaise NOVA ainsi que dans la presse écrite que sa plainte avait été déposée afin de monter un dossier de toutes pièces parce que « Verloesem allait trop loin ».
08/04/1997 : Une émission appelée « Boy Business » est diffusée en Angleterre. Un ancien compagnon de Warwick Spinks, nommé Edward, fait des révélations terribles sur ce milieu qu’il a définitivement quitté. Il parle en effet de snuff movie ! Il affirme avoir vu 5 cassettes vidéo où des enfants sont soumis à des abus sexuels, puis mis à mort devant la caméra. Il implique Warwick dans ces meurtres. Dans l’une des vidéos, il dit notamment avoir vu un enfant mourir étouffé par les parties génitales de son abuseur. La scène se déroule sur un bateau et le décès a provoqué une véritable panique parmi les adultes.
Juin 1997 : Warwick Spinks qui était emprisonné depuis 1994 pour cause d’enlèvement, de prise de photos indécentes et d’agression sexuelle grave d’un garçon de 14 ans, est libéré de manière anticipée. Scotland Yard et la police hollandaise se disent choqués par cette libération.
Courant 97 : Marcel Verloesem est condamné dans le cadre de la plainte de Dirk au tribunal de 1ère instance (il fera évidemment appel à ce jugement) . Il fera l’objet d’une détention de 15 jours suite à cette condamnation et c’est celle-ci qui permit d’ouvrir la boîte de pandore. En effet, il put prendre connaissance de son dossier dans lequel figurait également toutes les pièces concernant le réseau de Temse.
Il s’empressa dès lors de recopier l’intégralité de ce dossier dont notamment le procès verbal du dépôt au greffe du tribunal de Dendermonde le 02/12/1992 :

-d’agendas dont l’un ayant appartenu à Norbert De Ryck contenant des adresses à Madère.

-de 27 cassettes vidéo dont l’une intitulée « Madeira » comportant la mention « enfants violés ».
Dans ce dossier, il figurait également une photo d’un homme comportant la mention « n’a pas été identifié ». Cette photo était extraite de la vidéo « Madeira ».

Octobre 1997 : L’asbl se met alors en quête de cet homme en plaçant la photo sur une affiche d’avis de recherche. Ils parviennent de cette manière à retrouver l’individu, un certain Robert Vander Naaten (hollandais), qui accepte un rendez-vous avec Marcel Vervloesem. Très inquiet de se savoir découvert, il déclare n’avoir jamais rien fait avec des enfants et il est prêt à charger ses complices dont De Ryck. Pour cela, il remet à Marcel Vervloesem plusieurs cassettes dont « Madeira ».
Marcel Vervloesem fera alors le voyage au Portugal pour remettre un copie des cassettes vidéo qu’il possède, en présence de caméras, dans les mains de la police de Funchal.
05/11/1997 : La députée flamande Nelly Maes relaye publiquement des éléments du dossier, lesquels feront plusieurs titres dans la presse belge du lendemain.
07/11/1997 : Le ministre de la justice belge (de l’époque mais aussi l’actuel),Stefaan De Clerck, déclare dans le journal Het Volk qu’il n’y a pas de réseau de pornographie enfantine à Temse.
Novembre 1997 : Un reportage de 2 journalistes-correspondants portugais basés à Bruxelles est diffusé sur une chaîne portugaise, il montre des extraits de la cassette « Madeira » et c’est ce qui « permettra » véritablement aux autorités judiciaires des différents pays de réagir.
Grâce aux informations transmises par l’asbl Morkhoven, le procureur général de Funchal lance alors un mandat d’arrêt international contre tous les acteurs identifiés sur les cassettes. Plusieurs personnes sont arrêtées parmi lesquelles se trouve le hollandais Robert Vander Naaten (celui qui a donné les cassettes à Vervloesem) et Norbert De Ryck (le belge de Temse). Ils seront respectivement condamnés à 2 et 8 années de prison. Le jeune belge Robbie Van Der Plancken, qui faisait pourtant partie de la liste d’Interpol en 92, n’est pas inquiété.
1998 : Marcel Vervloesem rentre en contact avec les parents de Robbie Van Der Plancken. Ces derniers lui permettent de téléphoner à Robbie. Marcel Vervloesem lui pose alors des questions pertinentes sur la disparition de Manuel Schadwald, ce qui inquiéta fortement Robbie.
En réutilisant donc la même méthode qui lui avait permis de déjouer le « réseau Temse-Madeira » quelques mois plus tôt, Marcel Vervloesem obtiendra plusieurs rendez-vous avec Robbie Van Der Plancken en mai et juin 98. Il parviendra même à convaincre Robbie d’être accompagné, le 4 juin, par les caméras de l’équipe de télévision belge « Faits Divers ». (à partir de la5ème minute du lien)
04/06/1998 : La rencontre a lieu en plein centre d’Amsterdam, sur la terrasse d’un café. Les éléments importants de cet entretien sont le fait que Robbie déclare :

1° avoir rencontré Manuel Schadwald accompagné de Lothar Glandorf en 1993, à savoir l’année de sa disparition. Il est persuadé que Glandorf est la personne décrite dans le coup de fil anonyme de 94 grâce à l’indice de la clé de voiture perpétuellement en main. Robbie prétend que Manuel Schadwald est toujours en vie, contrairement à ce que racontent les récits des milieux pédophiles.

2° que le business de la prostitution enfantine et des cassettes pédophiles lui permettait de gagner facilement 7.500 à 10.000 € mensuellement.[2]
3° que la vente d’une cassette vidéo, suivant les moyens financiers du client, pouvait se négocier jusqu’à plus de 25.000 € si celle-ci avait été réalisée à la demande du client.[2]

A l’issue de l’interview, lorsque les caméras sont rangées, le compagnon de Robbie les rejoint, il se nomme Gerrit Ulrich, il est âgé de 49 ans et est à la tête d’une société informatique nommée « Cube Hardware ». Ils boivent un verre ensemble et à l’insu de Robbie, Ulrich s’adresse à Marcel Vervloesem et lui donne un rendez-vous. Ulrich se sent en effet très mal à l’aise depuis qu’il sait qu’un lien a été fait entre Manuel Schadwald et son compagnon. De plus, il sait que peu de temps avant cette interview, Robbie a été interrogé pendant plusieurs heures par la police d’Amsterdam.
11/06/1998 : Le rendez-vous se déroule à l’appartement d’Ulrich, situé à Zanvoort sur la côte hollandaise. Via 6 ordinateurs, cet appartement diffuse sur internet [1] des photos à caractère pédophile.
Ulrich tente de prouver que son compagnon Robbie est plus une victime qu’un acteur et pour se faire, il fournit en main propre un disque JAZ (1 giga) à Marcel Vervloesem, ce matériel constituant une fraction de l’ensemble des photos diffusées sur le net. Parmi ces 8.000 photos, des bébés se font violer par des sexes adultes.
Les paiements pour accéder aux images se faisaient directement sur le compte bancaire d’Ulrich avec en communication le nom de code du site : « Apollo ». Ce nom était également le nom d’un voilier de luxe, propriété d’un homme d’affaire néerlandais (Léo V.G.), grâce auquel Robbie et Ulrich organisaient des croisières « particulières ». Des photos d’abus sexuels d’enfants perpétrés sur ce bateau ont été prises et figurent dans le matériel fourni à Marcel Vervloesem.
Durant cette même journée, Marcel Vervloesem prendra contact avec la gendarmerie d’Alost pour les informer de l’existence de ce matériel.
Quelques jours plus tard, de Lyon, Ulrich reprend contact par téléphone auprès de Marcel Vervloesem pour lui révéler où se trouvait une planque dans laquelle il cachait du contenu à caractère pédophile. Après quoi, il quitte précipitamment l’appartement où il se trouve pour prendre la fuite en Italie.
19/06/1998 : Marcel Vervloesem apprend le décès d’Ulrich et décide de prendre contact avec la famille du défunt chez laquelle se situe sa planque secrète. La belle-soeur d’Ulrich retrouvera alors sous un plancher du matériel de pornographie enfantine (cassettes vidéo et disquettes) ainsi que des vêtements pour bébés ! Ce matériel fut ensuite saisi par la police de Zandvoort.
Quelques jours plus tard, Robbie Van Der Plancken est arrêté en Italie et sera condamné d’une peine de 15 ans de prison pour le meurtre de son compagnon Gerrit Ulrich.
La justice hollandaise demandera plus tard l’extradiction de Robbie Van Der Plancken pour les chefs d’inculpation suivants :

-pour avoir du 01/08/1997 au 19/06/1998 diffusé des images pornographiques de mineurs via internet montrant l’acte sexuel complet entre adultes et mineurs

-pour avoir de surcroît produit semblables images et en avoir assuré le suivi.
-pour avoir enlevé le mineur Manuel Schadwald d’Allemagne vers les Pays-bas le 24/08/1993. (rappel le petit Manuel avait disparu de Berlin le 24/07/1993)
-pour avoir fait partie d’une organisation criminelle se livrant à de semblables délits.

17/07/1998 : Christian Dufour, Procureur du Roi de Dendermonde, déclare que l’ « affaire Temse-Madeira » et celle de Zandvoort ne sont pas liées, elles ne comportent aucun lien commun. Or l’asbl Morkhoven n’a toujours pas transmis le matériel à cette date. Il était dès lors impossible que le Procureur Dufour se fasse une opinion.
20/07/1998 : Devant les caméras de la chaîne publique belge RTBF, Marcel Vervloesem explique que la justice néerlandaise est en train de prétendre qu’il aurait volé les documents à l’insu de Gerrit Ulrich. Ces documents ne pourraient dès lors pas être utilisés dans des procédures judiciaires, puisque volés.
21/07/1998 : Devant les caméras de la chaîne publique Nederland 2, le matériel est donné aux autorités belges. Vervloesem est également arrêté durant quelques heures à la demande de la justice belge.
Les journalistes sont étonnés d’apprendre qu’un simple citoyen refusait jusqu’à ce jour de remettre du matériel informatique illégal à la police. Marcel Vervloesem explique qu’il lui fallait des garanties, que c’était une réaction normale au vu de ce qui s’était passé depuis 1992.
22/07/1998 : Durant une conférence de presse, Marcel Vervloesem informe qu’il a reçu toutes les garanties de la part du juge d’instruction de Turnhout et que cette affaire sera traitée sérieusement.
28/07/1998 : Le ministre de la justice belge, Stefaan De Clerck, reconnait dans le journal Het Laatste Nieuws l’efficacité du travail de l’asbl Morkhoven et s’adresse à la presse hollandaise en ces termes : « tout le monde savait que ces choses se passent depuis longtemps, mais nous avons fermé les yeux trop longtemps ».

Mi-Août 1998 : La justice belge traite « sérieusement » le dossier : le parquet de Turnhout se dit en vacances tandis que le parquet de Dendermonde répond aux journalistes qu’il ne peut céder le matériel car les enquêteurs belges en ont besoin.
18/08/1998 : Marcel Vervloesem explique que le matériel avait été fournis en double, en prévision d’une enquête en Belgique et aux Pays-Bas, et que donc le parquet de Dendermonde aurait très bien pu fournir une copie à celui de Turnhout ou à la police hollandaise.

24/08/1998 : Devant les caméras de la RTBF, Marcel Vervloesem donne à nouveau les documents mais cette fois à la police hollandaise de Bloemendaal. L’ensemble des données ont été rassemblées sur un cd-rom pour l’occasion.
09/09/1998 : Le reportage « Réseaux Pédophiles » est diffusé dans l’émission « Faits Divers » de la RTBF.
C’est à cette date que nous clôturons ce premier article. Des choses « sérieuses » commenceront dès le lendemain à l’encontre de Marcel Verloesem et ce sujet sera analysé plus en détail prochainement.
Cependant, il y a déjà lieu de se poser une multitude de questions parmi lesquelles :
-Pourquoi les autorités judiciaires ont-elles perdu 5 années dans cette enquête ?
-Pourquoi est-ce essentiellement grâce à une petite asbl que cette affaire a pu éclater ?
-Pourquoi cette histoire n’est pas entrée dans la mémoire collective à l’instar de l’ « affaire Dutroux » ou celle de « Fourniret » ?
-Qu’en est-il de tous ces versements versés sur le compte d’Ulrich avec la mention « Apollo » ?
-Quelles sont les personnes qui peuvent financièrement se permettre d’acheter des documents d’une telle perversité ?

A suivre...


Marvin G.  



[1] Internet était seulement en train d’émerger en 1998, la technologie utilisée par les malfaiteurs était en réalité les serveurs BBS (bulletin board system).
[2] Les déclarations de Robbie Van Der Plancken sont sujettes à caution, il est fort à parier qu’il ait gonflé les chiffres pour se « donner de l’importance ». En effet, on parle plutôt de 5.000$ pour l’acquisition d’un snuff movie danscet article du Guardian dont l’auteur n’est autre que celui du reportage « Boy Business ».


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