dimanche 3 juillet 2011

L’affaire Nafissatou dans l’affaire DSK


Pourquoi revenir sur le « retournement » de l’affaire DSK ? Personne (et surtout pas Hollande) ne pense que DSK ait la moindre chance d’en profiter pour gagner la primaire socialiste et l’élection présidentielle ! L’affaire est devenue un strict « fait divers ». Elle est même en train de perdre la dimension de « tragédie moderne » que je lui reconnaissais à l’origine, dans mon billet juste après l’éclatement de l’affaire, pour virer au simple polar, comme si on apprenait en plein milieu d’Œdipe Roi que l’oracle de Delphes traficotait avec les Perses.
Eh bien je dis que « l’affaire dans l’affaire », les accusations du procureur Cyrus Vance contre la plaignante, Nafissatou Diallo (« Ophelia »-Ha ! Ha ! Are you honest ?) posent de nouveaux problèmes éminemment politiques. Et que la réaction de la presse et surtout du PS, plus encore que lors de la première phase de l’affaire nous fait reculer de 40 ans en arrière dans le combat des femmes pour faire reconnaître le viol comme un crime (y compris le viol d’une prostituée) et faire valoir le droit des femmes violées à être entendues, et leur parole au moins aussi respectée que celle de leur « présumé agresseur ».
D’abord, par rapport à mon premier billet, la question de la « présomption d’innocence » est de plus en plus compliquée !
Nous avions déjà une double présomption d’innocence : DSK présumé innocent d’avoir violé, Ophelia présumée innocente d’avoir accusé à tort. Elle est maintenant présumée innocente d’avoir menti pour obtenir des papiers et présumée innocente d’être liée à la mafia guinéenne de NY. En revanche elle aurait avoué avoir nettoyé une autre chambre après avoir eu rapport sexuel avec DSK. La garce !
Ceux qui hurlaient « présomption d’innocence » dans le cas du patron du FMI n’ont pas eu un mot de rappel dans le cas d’une femme de chambre immigrée. « Selon que vous serez puissant ou misérable… »
Et surtout, en quoi le fait (allégué) de s’être confiée, pour connaître ses droits à indemnisation au civil , à un parrain de la mafia, à qui elle est présumée innocente d’avoir servi de couverture pour ses trafics financiers, invaliderait – il sa présomption d’avoir été violée par un troisième individu (DSK), présumé n’avoir rien à voir avec tous ces trafics ???
La réponse est, pour le PS et pour la presse française, une évidence qu’on ne se donne pas la peine d’expliciter : « Elle ne s’est pas dénoncée comme trafiquante ou faux-papière, donc elle a menti quand elle s’est dite violée. » Ce qui pose de sérieux problèmes sur ce que sera la politique pénale du PS en matière de viol allégué pratiqué sur des immigrées.
Un qui échappe dorénavant à une présomption de partialité : le procureur Cyrus Vance. Et oui, il a instruit « à charge et à décharge » (contrairement à la façon dont on critique en France le système accusatoire américain) et ce sont ses enquêteurs, et non ceux de la défense, qui ont « décrébilisé » Mme Diallo. Quoique bien tardivement : pourquoi ? Vance : présumé innocent de complot ? au profit de Lagarde ? de Aubry ? Autant de nouvelles questions !
Commençons par réfléchir aux nouvelles accusations du procureur Cyrus Vance contre Mme Diallo-« Ophelia », dont elle est bien sûr présumée innocente. Sont-elles crédibles ?
Assurément, elles le sont. Rappelons-les :
1. Elle aurait menti sur les raisons de son émigration afin d’obtenir sa carte de séjour.
2. Elle aurait pour protecteur un parrain de la mafia guinéenne de NY, en prison pour trafic de marijuana, et lui servirait de « mule financière » en le laissant ouvrir en son nom un compte bancaire alimenté depuis différentes villes à travers les USA, où il ferait circuler de l’argent pour le blanchir. Elle l’aurait appelé au téléphone, à sa prison, le lendemain du viol allégué, pour savoir si elle pouvait, en déposant plainte, espérer une indemnisation au civil.
3. Elle aurait continué son travail et fait encore une chambre après le viol présumé.
Le point 1 est parfaitement crédible. Tous les immigrants qui plaident les persécutions au pays, s’ils n’ont pas de trace de torture, « arrangent » leur histoire pour être plus convaincants. Personnellement, je m’attendais depuis le début à ce que les avocats de la défense poursuivent cette piste avec succès, c’est le proc qui les devance.
Si on était dans un film américain sur l’immigration italienne des années 50-60 à NY, le point 2 serait tout aussi crédible. Ces films nous montrent comment les immigrants pauvres n’ont d’autre protection que la Mafia. Or il n’y a pas de raison pour que l’immigration guinéenne, récente et particulièrement méprisée, soit organisée autrement. En échange de sa protection, de ses conseils, le « parrain » demande de petits services, voire un droit de cuissage, à la protégée. Et laisser ouvrir un compte à son nom pour ses trafics pouvait ne pas sembler un prix excessif.
Ce rapport d’une immigrante à la mafia de sa communauté ne dément absolument pas les autres témoignages sur la personnalité de Nafissatou Diallo : « Réservée, très pieuse ». Les siciliennes immigrées à New York nous sont toujours présentées comme « réservées, très pieuses », les latino-américaines, colombiennes ou équatoriennes , qui servent de « mule » (passeuses de drogue, cachée dans leurs intestins), par exemple pour financer leur immigration clandestine, sont le plus souvent « réservées, très pieuses ». Pourquoi en serait-il autrement pour une peule musulmane ?
Qu’elle discute avec son protecteur si ça vaut le coup de porter plainte, si elle peut espérer au moins une indemnité, ou aurait à supporter seule, sans aucun profit, la honte de ce dont elle se plaint, me paraît aussi une réaction normale (le viol est irréparable, et la partie civile ne peut espérer qu’une indemnisation.) Bref, jusqu’ici le second point de l’accusation est crédible.
Plus stupéfiante est cette histoire de coup de téléphone en prison, bien sûr intercepté. Elle est complètement idiote ou quoi ? Et d’ailleurs pourquoi va-t-elle porter plainte si elle n’est pas clean ? elle cherche à se faire repérer ? à faire tomber son protecteur ? Quelle peut être la logique de ce comportement totalement irrationnel ?
L’histoire du procureur ne devient rationnelle que si vraiment Mme Diallo est traumatisée par une histoire bouleversante qu’elle ne sait pas gérer aux USA. Elle téléphone à son parrain ? Peut–être ignorait-elle qu’il était en taule, peut-être croyait elle l’appeler chez lui, et les appels étaient détournés vers la prison ? En tout cas l‘enregistrement de cet appel sera une pièce décisive.
Alors pourquoi le procureur n’en a-t-il pas fait état avant ? LeNY Times de samedi, qui sombre dans le Nafissatou-bashingen s’appuyant sur les confidences des mêmes enquêteurs qui accablaient hier DSK, nous dit que jusqu’à mercredi dernier on n’avait pas trouvé d’interprète peul. C’est cela, oui...
Une hypothèse qui rendrait l’histoire cohérente : le proc a eu très vite l’enregistrement, où il est question de viol, ce qui est une preuve de la sincérité de la plaignante, et il se la garde pour le procès. Puis, au bout de quelque temps, ses enquêteurs s’aperçoivent que ce « parrain » exigeait des contreparties qui entachent la « moralité » de la plaignante. Celle-ci, pour le proc, n’est qu’un « témoin » dans un match qu’il livre « au nom du Peuple de New York ». Embarrassant pour le procureur, qui est un élu, qui rêvait de se farcir un « grand » pour assurer sa réélection, et se retrouve avoir pour « alliée » une complice de trafiquant de drogue. Et en plus ayant menti pour avoir ses papiers. Popularité garantie pour le proc ! Supposant que la défense sera vite au courant, il prend les devants et accuse son « témoin ».
Nous en apprenons ainsi beaucoup sur la vraie limite du système accusatoire à l’américaine : non pas que le procureur instruise « seulement à charge » (puisqu’il doit tenir compte de ce que risque de découvrir la défense) mais que , s’il n’est pas intéressé à soutenir l’accusation compte tenu de son plan de carrière, on ne voit plus trop ce que peut faire, au pénal, la partie civile. Bon, est-ce bien différent avec nos juges d’instruction (quand ils ne sont pas de la trempe d’une Eva Joly ) ?
L’accusation n° 3 est, dit le proc, avouée par la plaignante. On verra. Son avocat dit au contraire qu’elle n’a pas varié dans sa déposition. Mais à mon avis, qu’une femme hébétée après un viol commence par finir son travail avant de s’effondrer dans un coin, qu’elle occulte ce détail quand elle raconte sa mésaventure, dans les premiers jours, ne me paraît pas invraisemblable, et les deux versions (celle « avouée » et celle du des employés et de la direction du Sofitel, qui, eux, ont déclaré avoir ramassé Ophelia à la petite cuillère ) ne me paraissent pas incompatibles. Ce point n’a d‘importance que parce que Mme Diallo l’a omis, sous serment, devant le Grand Jury, ce qui est très mal vu aux USA , mais ne change rien sur le fond.
Car le point le plus important de cette « affaire dans l’affaire », c’est qu’elle ne touche à aucun moment le cœur de l’affaire principale : l’accusation de viol par DSK. Contrairement à ce que laissaient entendre les gros titres d’hier, « l’accusation ne s’effondre pas ». On n’a pas découvert par exemple que le sperme trouvé sur le chemisier d’Ophelia n’était pas de DSK, et la défense à d’ailleurs abandonné la ligne comique des premiers jours (« il ne s’est rien passé car cette femme n’est guère attirante », tiens oui, on attend toujours sa photo !) Mais la ligne de défense actuelle « OK, il y a eu sexe, mais elle était consentante » n’a reçu aucune confirmation des révélations d’hier.
Le proc maintient donc l’accusation. Sur ce cœur de l’affaire, la journée d’hier a permis à l’avocat de la plaignante d’énumérer les éléments matériels, ce qui n’avait jamais été fait officiellement : sperme craché à travers la pièce, collant déchiré, traces de coups et déchirure musculaire à l’épaule. Il est peu probable qu’il mente, à ce niveau de l’instruction. Et la troisième ligne de défense est évidente : elle s’et blessée volontairement (cf Le Silence de Lorna des Dardenne, puisqu’on est dans un « film de sans-papière ») Après, va savoir…
La stratégie de la défense, malheureusement reprise par le PS , est actuellement : « elle a menti sur des points extérieurs au cœur de l’affaire, donc elle a menti sur le consentement au rapport sexuel : non-lieu. » Ou pire : « Elle est intéressée à l’indemnisation, donc c’était un piège » Il y aura peut-être non lieu, on découvrira peut-être des preuves de l’innocence de DSK et des mensonges sur ce point de Mme Diallo, mais rien de ce qui a été dit vendredi n’innocente DSK en quoi que ce soit, et les cris de triomphe du PS sont compréhensibles au nom de l’amitié, mais elles relèvent de la manipulation d’opinion. Et le chagement de défense des avocats de DSK, qui ont d’abord nié un rapport sexuel dont ils assurent aujourd’hui qu’il était consenti, décrédibilise tout autrement l’accusé que les mensonges de la plaignante sur des incidentes.
DSK était aussi pour moi un copain de travail, je l’ai toujours connu charmeur, jamais violent, et j’aimerais aussi qu’il ne soit pas coupable. Mais les préférences de coeur n’ont rien à voir avec la recherche de la vérité. Et surtout le langage du PS oblige à lui poser publiquement quelques questions : l’éventuel casier judiciaire d’une femme autorise-t- il à la violer ? Une femme violée a-t-elle droit à indemnisation au civil ?
De même, l’étrange timing des révélations sur Mme Diallo, au lendemain de la nomination de Lagarde et de la candidature Aubry, est certes troublante, et relance les théories du complot. Mais imagine-t-on que Sarko (ou Aubry, ou Lagarde, ou des banquiers anti-keynésiens, ou des Illuminati, ou des extra-terrestres…) aient contacté le parrain d’Ophelia AVANT les faits du Sofitel, pour lui demander de la convaincre de draguer DSK et de l’accuser ensuite de viol ? Quels éléments nouveaux étayeraient ce soupçon ?
Pour aider à y réfléchir, deux « expériences de pensées », levant successivement deux particularités de l’affaire : que ça se passe aux USA, et que Mme Diallo soit « en bas de l’échelle ».
Première expérience. En 2013, Valls ou Vaillant étant ministre de l’intérieur, le président de la Banque Mondiale, américain, descend au Lutetia lors d’une escale à Paris. Yasmina, femme de chambre, l’accuse de l’avoir violée. La police ira-t-elle l’intercepter à Roissy ? Un juge d’instruction sera-t-il désigné ? Si oui : le juge découvre que la carte de séjour de Yasmina, demeurant à Sevran, est fausse. Et que la dame arrondit ses fins de mois en laissant son fils dealer dans l’escalier. Le substitut recevra-t-il l’ordre de réclamer un non-lieu ?
Deuxième expérience. Alexandra von K, belle rejeton d’une noble famille saxonne, s’est enfuie d’Allemagne de l’Est à à 18 ans et a obtenu l’asile aux Usa en affirmant qu’elle a été violée par des hommes de la Stasi qui l’avait arrêtée comme dissidente. Elle fait fortune grâce à une chaîne de pâtisserie sans calorie mais au goût digne des viennoiseries. Sa fortune, 20 ans après son arrivée, est équivalente à la moitié de celle de Bill Gate, et son élégance en a fait la coqueluche de la Jet-Set, le joyau des réceptions du couple Obama. Elle rencontre un soir DSK dans le hall du Sofitel de NY. Ils prennent une coupe de champagne, il la raccompagne à sa porte, la pousse, ferme la porte à clef, devient pressant , la force. Elle porte plainte. On découvre alors qu’elle a exagéré les sévices de la Stasi, et qu’elle s’est approprié le brevet de la crème chantilly basse calorie, découverte par un de ses cuisiniers. Question : dira-t-on que « l’accusation s’est effondrée » ?
La première expérience est une question au PS (quelle sera sa politique pénale en matière de violences faites aux femmes, même sans papier, même délinquantes). La seconde est une question au New York Times et à l’establishment WASP.


Alain Lipietz

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