vendredi 23 décembre 2011

Accords contre la vie chère BCBa : Le retrait de l’Etat est scandaleux et dangereux !


Ainsi le gouvernement Sarkozy-Fillon a jeté bas le masque. Les représentants de l’Etat, à savoir la Préfecture et la DIECCTE (Direction des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi, ex DDCCRF), ont décidé de ne plus participer au Comité de suivi de l’accord BCBa (cf Communiqué K5F publié dans Justice n° 50 du 15/12/2011- France-Antilles du 12/12/2011). Cette décision est scandaleuse et dangereuse de notre point de vue.
De quoi s’agit-il ?
Suite au mouvement social de 38 jours de février-mars 2009 où la question de la vie chère était au centre de la colère de la population martiniquaise, un accord avait été signé le 12 mars 2009 pour la baisse des prix de 20 % de 400 produits dans les grandes surfaces et diverses autres dispositions concernant les prix des fruits et légumes, de la viande, etc. C’est l’accord BCBa.
Cet accord était prévu pour une durée de trois ans et doit donc venir à échéance le 12 mars 2012. Le Comité de suivi où siégeait les représentants de l’Etat (préfecture, Dieccte/ex-Ddccrf), la grande distribution (SGDA) et le K5F(Collectif du 5 février) devait discuter le 2 décembre de la suite à prévoir à l’accord de prix BCBa.
La grande distribution se disait prête à faire un effort sur les prix d’un nombre limité de produits (50 dit-on), mais à la condition d’obtenir des contre-parties de l’Etat et des collectivités sous forme de baisse de taxes, d’aide au fret, etc.
Les représentants du K5F, s’appuyant sur l’article 1er de la Lodéom du 27 mai 2009 qui permet au gouvernement de fixer par décret les prix des produits ou familles de produits de première nécessité dans les collectivités d’outre-mer, avait écrit depuis plusieurs mois à la ministre de l’outre-mer pour lui demander de prévoir la mise en place d’une réglementation des prix afin de prendre le relais de l’accord BCBa. Le K5F avait préparé une liste de produits à négocier et attendait de l’Etat des études pour fixer les marges de la distribution. Pas de réponse de Mme Marie-Luce Penchard.
En écrivant qu’il se retirait du Comité de suivi et qu’il laissait face à face les représentants du Collectif du 5 février et ceux de la grande distribution, l’Etat a failli à sa mission qui consiste à maintenir l’ordre public économique. En réalité, aussi bien le gouvernement en la personne de la ministre de l’outre-mer que les représentants locaux de l’Etat sont revenus à la case départ du dogme de la liberté des prix qui leur sert lieu de jugement et de cécité.
Et pourtant le mouvement social du début de l’année 2009, non seulement en Guadeloupe et en Martinique, mais en Guyane et à la Réunion et aussi après en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie est la conséquence de l’inaction de l’Etat depuis 20 ans et plus face à la vie chère et aux abus des monopoles et oligopoles qui dominent la grande distribution dans tous ces pays assujettis au néo-colonialisme français. Lorsqu’il a fallu négocier, on s’est rendu compte que les représentants de l’Etat ignoraient la manière dont se formaient les prix outre-mer car, depuis la liberté des prix Chirac-Balladur de 1987, toutes les études sur ces questions avaient été abandonnées. L’une des conséquences de la mobilisation populaire a été d’arracher à l’Etat la promesse de réaliser des études sur la formation des prix dans les Dom et sur la différence de niveau de coût de la vie par rapport à la France.
Ces premières études, quoiqu’insuffisantes, confirment bien qu’il y a « pwofitasyion ».
Primo : Certes les différences de prix s’expliquent pour une part par la distanceet le coût du transport , mais pas essentiellement par l’octroi de mer puisque la TVA est inférieure dans les DOM. Elles s’expliquent aussi par les surmarges et les situations structurelles de non-concurrence dans de nombreux secteurs et l’existence de parasitisme dans les circuits d’importation.
Deuxio : l’écart de niveau général des prix avec la France est réel et il a été évalué par l’INSEE à plus 17 % en Martinique et à plus 45 % pour les produits alimentaires. D’autres études chiffrent le différentiel de prix Martinique/ France à un niveau supérieur.
Du coup tous les revenus fixés en référence avec le niveau et l’évolution des prix sont amputés de la différence : salaires de la fonction publique, minimum vieillesse, retraites, Smic, RSA, allocations familiales, etc. L’autre conséquence des luttes populaires contre la vie chère est que le pouvoir a été contraint d’accepter une entaille à sa bible de la liberté des prix par l’acceptation d’un amendement des élus des DOM à la loi pour le développement économique de l’outre-mer, dite Lodéom-Jego, qui permet de réglementer les prix des produits de première nécessité en outre-mer par décret. Mais à ce jour le pouvoir refuse de prendre ce décret. Il continue à démanteler les services de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Il favorise la concentration de la grande distribution (effondrement de Leclerc-Lancry risquant d’être absorbé par ses concurrents directs et absorption de Cora par GBH).
Son refus de jouer son rôle dans la mise en place d’un filet de sécurité contre les abus en matière de vie chère est une manière de laisser le champ libre à l’oligarchie qui pille le pays en misant sur l’apparente démobilisation des travailleurs et des consommateurs.
La Martinique, après avoir crié « Péyi-a sé ta nou, sé pa ta yo », n’a-t-elle pas rejeté l’autonomie et l’article 74 ? Tout va bien Madame La Marquise pour la reprise du business, pensent certains. 
Cela est un faux calcul. La Martinique est le pays de la Montagne Pelée et de Désanm 59. A tout moment il peut se produire une éruption dévastatrice. Il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé à Mayotte que l’on croyait domptée parce que son peuple avait opté pour la départementalisation. Même cause, mêmes effets : La départementalisation a permis la mise en coupe réglée de l’économie par une minorité de profiteurs et a fait monter le coût de la vie. Le peuple mahorais s’est révolté.
La lutte contre la vie chère est une nécessité dans une société où il existe tant de pauvreté, d’exclusion, de chômage et de bas salaires, de précarité, de retraités miséreux, etc. Le pouvoir devrait comprendre qu’il doit revenir à la table des négociations au plus tôt.
Les candidats à la présidentielle française doivent se positionner sur la question de la vie chère en Martinique et dans les autres pays de ce qu’on nomme l’outre-mer qui constitue une priorité puisqu’elle ravage le pouvoir d’achat populaire et ruine notre compétitivité.
Toutes les révoltes de ces dernières années en Afrique et dans le monde arabe sont parties de protestations contre la vie chère.
L’aveuglement et la soumission aux pressions de l’oligarchie compradore égoïste qui tient l’économie de ces pays risquent de coûter cher.     

Michel Branchi

*Economiste, ex-Commissaire Concurrence et Consommation

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