vendredi 2 décembre 2011

Jacques Verges : A la CPI, tous les inculpés sont noirs


Quelle appréciation faites-vous de la justice internationale ?

Je préfère parler plutôt d’injustice internationale. Vous savez, les colonialistes ont toujours un masque. Ils ne disent jamais du bien de vous. Ils pillent vos ressources naturelles. Ils ont commis des génocides à l’égard des Indiens d’Amérique, détruit des civilisations comme celle des Aztèques. Au nom de la liberté du commerce, ils ont imposé à la Chine trois guerres d’opium. Au nom de l’esclavage, ils sont venus imposer le travail forcé en Afrique. Aujourd’hui, c’est au nom de la justice qu’ils interviennent. Quelle est cette justice ? J’ai travaillé pour le tribunal de la Yougoslavie et pour celui du Cambodge. Les magistrats appliquent des règles, mais eux n’ont pas de règles. Ils font leurs règles eux-mêmes. Au Burkina ou en France, un juge dit que telle personne est gardée à vue 30 jours. La loi dit que c’est le délai maximum. Mais le juge dit que je veux le garder plus longtemps.

La loi est faite par le Parlement et non pas par le juge. Dans le cas de Milosevic (ndlr, il était un de ses clients) au tribunal pour la Yougoslavie, on a changé la loi 22 fois. Ils violent le principe de Montesquieu. C’est la première chose. Au Cambodge, le tribunal vient de décider de faire appel à des donateurs privés. Quand un homme riche vous donne de l’argent, ce n’est pas pour rien. Vous vous vendez. Quand vous acceptez l’argent de n’importe qui, vous faites n’importe quoi. Je prends l’exemple du tribunal pour le Liban. Il y a 4 ans, les commanditaires de ce tribunal ont dit qu’il faut mettre en cause les Syriens. On a arrêté 4 Généraux réputés pro-Syriens. Il n’y avait rien contre eux. Les commanditaires ont dit ensuite que les Syriens ne les intéressaient plus, mais cette fois c’est le Hezbollah. On a libéré les captifs et on a essayé de mettre en cause le Hezbollah.

Un tribunal est responsable devant l’opinion. On a fait le procès de Milosevic sans un Serbe dans le tribunal. On fait un procès au Cambodge où le chef du gouvernement dit qu’il ne veut pas qu’on accuse d’autres personnes, autrement il y aura la guerre civile. Le procureur qui est Canadien dit qu’il a le droit d’avoir une opinion. Les magistrats de la Cour internationale sont atteints de ce qu’on appelle un daltonisme au noir. Le dalton ne voit pas certaines couleurs. Ils ne voient que le noir. Si vous allez à la Cour internationale, tous les inculpés sont noirs, pas parce qu’il ne s’est rien passé à Gaza, pas parce qu’il ne s’est rien passé à la prison d’Abugraïb. La question que je me pose maintenant est : Pourquoi l’Afrique accepte-t-elle cela ? Je ne dis pas que tout le monde est innocent, mais si ces gens sont coupables, c’est aux Africains de les juger. Pourquoi l’Afrique accepte-t-elle que ses dirigeants soient jugés par une bande de cosmopolites qui la méprisent. Il y a le cas de Béchir au Soudan. Je pense que les pays africains ont raison de ne pas appliquer le mandat international. L’Afrique n’est plus sous tutelle. Les Américains accepteront-ils qu’un pays africain juge Georges Bush pour sa guerre d’agression contre l’Irak ?

… Comme c’est le cas de Hissène Habré ! Mais le Sénégal dit vouloir s’en débarrasser...

Et où va-t-il être jugé ?

La Belgique serait prête à accueillir ce procès…

La Belgique ! Ils ont tué Lumumba. Ils l’ont fait dissoudre dans de l’acide et c’est eux qui vont donner des leçons aujourd’hui ?

Vous êtes donc anti-TPI ?

Ce n’est pas à un ramassis de gens venus de toute sorte de pays de juger les Africains, surtout que tout est orienté vers le noir.

Avez-vous la conviction que les Etats africains sont-ils vraiment indépendants 50 ans après leur accession à l’Indépendance ?

Certains, oui, d’autres non. La raison est simple. Certains ont encore trop de liens avec cette métropole.

Vous considérez-vous comme Algérien ou comme Français ?

Je me considère comme les deux.

Et si on vous demandait de choisir…

Qui va me le demander et à quel titre (rires) ?

Vous sentez-vous lorsque vous venez en Algérie ?

Vous avez vu comment les Africains et les Algériens m’accueillent. C’est la plus belle récompense qu’on puisse avoir.

L’avocat de nos jours est-il toujours le défenseur de la veuve et de l’orphelin ?

Certains continuent de l’être. D’autres, par contre ne le sont plus.

Cela peut-il être dû à quoi ?

L’Homme est faible. Il ne sait pas résister à la tentation. Il veut devenir riche. Quand tu nais dans la case et tu prends l’ascenseur social, tu es dans la vie noble. Mais dans un ascenseur, il n’y a pas de vie. On doit accepter de défendre même un fou parce qu’il reste un être humain.

Propos recueillis à Alger par Alexandre Le Grand ROUAMBA

Le Pays

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