lundi 18 juin 2012

UN TEMOIGNAGE ACCABLANT : "En Guadeloupe, le chlordécone ne semble pas avoir marqué les esprits des bureaucrates.



Nous sommes médecins et avons vécu une chose horrible cet après midi en allant nous promener sur un site de balade familiale en Guadeloupe... J’ai appelé la DAAF et l’ARS pour me plaindre, ils prennent acte mais personne ne semble vraiment pouvoir verbaliser cet épandage sauvage. L’ayant vécu, je trouve qu’il s’agit d’un véritable problème de santé publique et que nous deux, en tant que médecin et même citoyens, ne pouvons rester muets devant cette toxicité sanitaire évidente.

Nous avons été victimes d’un épandage d’un produit pesticide suffocant par un hélicoptère lors d’une balade au saut d’eau du Matouba, en plein après-midi (14h45) le 4 juin 2012. Rien n’était noté sur le panneau du début de balade quand nous avons commencé la marche à pied. Le périmètre d’épandage n’était pas balisé… et il n’y avait aucun hélicoptère en vue... Après une baignade charmante dans l’air (pur ?) de Matouba, le retour à la voiture a été par contre redoutable ! N’habitant pas St Claude, nous n’étions pas au courant de ces problèmes. Nous avons été vite sensibilisés ! J’étais en T-shirt rouge et la voiture était garée sur le parking près des bananiers au début de la promenade mais les 2 pilotes n’ont pas arrêté pour autant leur épandage !

Nous aurions été avec nos enfants ou une femme enceinte, c’était le même problème. Je n’ai jamais respiré une odeur aussi forte (j’ai pourtant des parents agriculteurs..). Je l’ai vécu comme si on me mettait dans une pièce de 10 m2 et qu’on vidait une bombe insecticide sans que je puisse en sortir. Même en courant dans le chemin, la zone couverte était si importante que nous étions obligés d’en respirer. Nous sommes à la limite de porter plainte car en tant que médecins, nous avons été choqués par le risque encouru. Céphalées et quelques nausées ont suivi une demi-heure après cette intoxication aiguë... Toute la population devrait être avertie de ce type de pratiques ! De nombreuses habitations existent entre les champs de bananiers à ce niveau, une telle façon de faire revient à ignorer la santé de cette population, je suis révoltée, vous l’aurez compris ! Après consultation du site de la préfecture, cette zone est interdite (zita) à l’épandage, due à la présence de cours d’eau permanent. Et la dérogation accordée a été faite à tout le département non pas de façon parcellaire comme l’a affirmé le 10 avril M. DEHAUMONT..

Tout se passe comme si la Guadeloupe était un état de non droit et en voici encore une bien belle illustration. J’ai ensuite passé 2 jours à analyser toutes les données que je trouvais (dont la lecture de la mission d’information du sénat du 10 avril 2012) et j’ai essayé de les compiler dans cette lettre.

En Martinique, le conseil régional aurait donné un avis défavorable concernant la dérogation pour les épandages aériens suite à une bataille menée par le conseil de l’ordre des médecins. Il n’est pas normal qu’on autorise les épandages en Guadeloupe surtout vu comment ils sont réalisés. La consultation publique se termine le 18 juin en Préfecture et la décision doit être prise le 20 juin... Ce qui veut dire que la préfecture (et la DAAF) ont 2 jours pour retranscrire les remarques faites sur la consultation publique à ses différents interlocuteurs (ministère de l’écologie, ARS etc)...

La Préfecture, qui a autorisé en janvier 2012 ces épandages aériens, ne devrait-elle pas fournir toute la documentation lors de la consultation publique en explicitant la toxicité des produits utilisés et la fréquence des épandages ? Elle semblerait se baser sur les études de l’ANSES (agence nationale de sécurité alimentaire) et de l’AFSSA qui ne sont pas consultables à la Préfecture et certainement pas mises à jour depuis bien longtemps. Aucune étude guadeloupéenne n’a été réalisée.. Les études faites sur les épandages aériens portent sur une dizaine d’épandage par an, qu’en est-il en Guadeloupe ? On parlerait d’une douzaine de passages annuels minimums nécessaires pour lutter contre la cercosporiose noire des bananiers. La dose dite toxique (si on considère qu’il y aurait un effet seuil) risque d’être atteinte plus rapidement que prévue voire déjà atteinte.

En Préfecture, dans le bureau de M. LAROCHE, il n’y a qu’une petite liste des produits utilisés (propiconazole TILT250, difenoconazole SICO, fenpropidine GARDIAN, acibenzola-S-Methyl BION 50 WG, huile minérale paraffinique) sans aucune mention sur la toxicité éventuelle ou le risque sanitaire. D’autre part, le dosage mentionné d’huile minérale n’est apparemment pas le même que celui utilisé, 2 ou 3 fois plus concentré. En dehors du fait que les produits sont épandus de façon sauvage, qu’en est-il du risque sanitaire encouru avec ces toxiques ? La bibliographie faite par l’ANSES (représentée par Mme Pascale ROBINEAU et M. Thierry MERCIER) est-elle à jour ? Elle n’a pas été reconsultée pour ce renouvellement de dérogation alors que c’est dorénavant obligatoire depuis la mission sénatoriale d’avril 2012. J’ai trouvé en cherchant rapidement deux articles : un paru en mai 2012 sur Toxicological Sciences de Hester S, The hepatocarcinogenic conazoles: cyproconazole, epoxiconazole, and propiconazole induce a common set of toxicological and transcriptional responses. Toxicol Sci. 2012 May;127(1):54-65. Epub 2012 Feb 14. qui étudie de plus près l’hépatocarcinogénicité du propiconazole (on le savait déjà sur les souris) et semble conclure en réaffirmant la toxicité et carcinogénicité du propiconazole.

Un deuxième sur le journal plos one de mars 2012 de Snelders E, Triazole fungicides can induce cross-resistance to medical triazoles in Aspergillus fumigatus (PLoS One. 2012;7(3):e31801. Epub 2012 Mar 1..qui démontrerait que l’utilisation de propiconazole et diféconazole aux Pays-Bas peut induire des résistances des aspergillus fumigatus aux azolés utilisés en médecine. Cela signifie que certains médicaments pourraient ne pas fonctionner sur certaines souches d’aspergillose pulmonaire chez nos patients. C’est grave.

Tout est fait comme si la vie de la banane était plus importante que la vie humaine ! Si la banane, qui ne vit que de subventions ici, doit péricliter, est-ce un problème ? Il y a certainement des alternatives à cette culture. En tant que médecin, fille d’ingénieur agronome, ça ne me choquerait pas.

Voici un article que j’ai trouvé sur le net émanant du site univers nature : Si la directive européenne 2009/128 CE sur les pesticides interdit les traitements par pulvérisations aériennes, l’arrêté du 31 mai 2011 délivre un certain nombre de dérogations, notamment pour le maïs, la vigne et la culture de la banane. Fin mars 2012, Le quotidien Le Monde se procurait une liste confidentielle. Emanant du ministère de l’Agriculture, celle-ci listait 7 pesticides autorisés pour les traitements aériens et 16 autres en cours d’évaluation par l’ANSES. Le 10 avril dernier, la mission commune d’information du Sénat sur les pesticides a organisé une table ronde avec le ministère de l’Agriculture et l’ANSES, afin d’obtenir des éclaircissements sur la liste des produits phytopharmaceutiques autorisés ou en cours d’évaluation pour les traitements par aéronefs pour la campagne 2012.

Voici leurs conclusions : Il a été souligné que, désormais, la liste des produits bénéficiant de dérogations devait être revue chaque année et obligatoirement raccourcie en cas d’évaluation négative par l’ANSES et que les évaluations de l’ANSES étaient menées avec toute la sérénité souhaitable. Sur le terrain, les préfets, puis les maires, ont d’importantes responsabilités à exercer, d’abord pour l’autorisation de l’épandage ensuite pour le respect des conditions de mise en œuvre des dérogations accordées (compétence technique des épandeurs, publicités préalables, notamment auprès des syndicats apicoles, distances minimales de sécurité…).

Chaque demande de dérogation suppose une information préalable du public aussi large que possible ainsi que celle de la commission départementale compétente en matière d’environnement, de risques sanitaires et technologiques, ce qui apparaît indispensable, en premier lieu pour la protection de la santé de l’ensemble des personnes concernées.

Les membres de la mission commune d’information ont insisté sur la nécessité d’encadrer strictement l’épandage de pesticides par aéronefs (produits autorisés, publicités, contrôles) pour préserver la santé comme l’environnement quelle que soit l’étendue du territoire agricole concerné.

Parallèlement, l’association Générations Futures s’est, à son tour, procurée la liste en question. Sur les 7 produits autorisés, dont toutes les substances actives présentent un risque pour la faune et la flore, 3 sont classés comme cancérigènes possibles (les 3 utilisés en Guadeloupe) (Fenpropidine, Difénoconazole et Propiconazole) par l’Agence de protection de l’environnement américaine. Le Propiconazole est même classé comme « toxique du développement » aux USA.

Début avril 2012, un rapport réalisé par Générations Futures et PAN Europe a dénoncé les subterfuges employés par les firmes phytopharmaceutiques pour déjouer la réglementation européenne et commercialiser des produits interdits. Une procédure spéciale, dite de « re-soumission » accorde, en effet, une seconde chance d’homologation à des produits présentant des dangers avérés ou des évaluations lacunaires. Pendant cette « re-soumission » d’un dossier d’homologation, les firmes doivent retirer leur pesticide du marché. Mais bien qu’officiellement retirées, ces substances bénéficient d’une « période d’élimination progressive étendue », octroyant plusieurs années de libre accès au marché.

La perspective de nombreux procès avec l’industrie décourage les pouvoirs politiques des Etats membres à remettre en cause ces procédés. L’industrie l’a bien compris puisqu’elle a présenté quelque 87 dossiers de demande d’autorisation par ce biais, paralysant le système d’évaluation de la DG SANCO (Direction Générale de la santé et des COnsommateurs) et de l’EFSA (Agence européenne de sécurité des aliments) pendant plus de 3 ans. Selon Générations Futures, sur les 87 pesticides présentés, 64 ont été homologués. Au regard de quoi, le nombre de pesticides présents sur le marché est passé de 250 en 2008 à 350 aujourd’hui.

J’aimerai ne jamais revivre ce que j’ai vécu hier sur ce chemin de randonnée à St Claude autour des habitations de Matouba, surtout avec mes enfants en bas âge. Et je ne le souhaite à personne. Malheureusement, nous avons peu de temps car la consultation publique se termine le 18 juin et la décision se prendra le 20 juin 2012.

La loi est faite pour satisfaire les despotes aux détriments de l'intérêt général, disait J.J. Rousseau au XVIIIième siècle. Il semblerait qu’on en soit peut-être resté là en Guadeloupe"

Remi BALAGUIER

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