mardi 27 janvier 2015

QUAND ON Y PENSE... MAIS, QUI Y PENSE ENCORE...?


Il y a des injures à sa mémoire et à sa conscience qu’une nation ne doit se permettre en aucune circonstance. Et, qui pourrait certifier à ce sujet, compte tenu de la concomitance des faits, que ce ne sont pas justement les conséquences de cet acte malheureux et indigne, qui la poursuivent jusqu’aujourd’hui comme une malédiction...?

Voyez ces beaux visages, les uns pleins d’optimisme et de confiance, les autres pleins d’une fierté du devoir bien accompli, et il le fut...

Ceux du bas relevaient de troupes régulières, ils ont vaillamment combattu au cours de deux guerres différentes, au prix de pertes effroyables et particulièrement pour la défense de Reims, ville qui a érigé en 1924 un magnifique et impressionnant monument en leur mémoire. Celui-ci fut détruit par les Allemands dès les premières semaines de l’occupation, et fut remplacé par un autre bien moins somptueux en 1960, et ce n’est qu’en 2013 qu’il fut rétabli selon une copie de l’original. Il faut noter à ce sujet que la plupart des monuments dédiés à l’armée d’Afrique furent logiquement érigés dans les anciennes colonies où beaucoup s’y trouvent encore...

Mais ceux du haut étaient des volontaires que rien, absolument rien n’obligeait à offrir leurs poitrines aux balles ennemies, pour la défense d’une métropole lointaine et totalement indifférente jusque là, à leur condition, voire à leur existence même...

Dès lors, pourquoi l’ont-ils fait...?

Il est certain qu’ils avaient totalement foi en quelque chose qui devait normalement découler de leur courageux engagement. Car cette métropole volontiers méprisante ne pouvait plus rien sans leur secours et du jour au lendemain, ils en étaient devenus les citoyens les plus nécessaires. Une telle charge, avec toutes les promesses qui en découlent normalement pour ceux qui l’assument, ne se refuse pas et ce faisant, ces vaillants ne doutaient pas qu’enfin eux et leurs enfants appartiendraient pleinement à une nation qui se montrerait reconnaissante, en ne leur contestant pas après coup, l’importance qu’alors par la force des choses, ils y avaient acquise.

Ils avaient confiance, et c’est pour cela qu’ils se sont engagés, et sauf à avoir un esprit bien mal orienté, lesquels d’entre eux répondant à un appel au secours, auraient supposé que le bras qu’ils saisissent alors pour faire sortir le naufragé de l’eau, c’est celui là même qui les y plongera après leur avoir fait subir les pires sévices dans une préfecture de police...?

Lorsqu’il a constaté que tout s’était passé comme si cette nation ne disposait pas d’un immense empire à partir duquel il était possible d’organiser la riposte, et qu’au lieu que ce soit une capitulation qui soit proclamée en mettant fin au combat mais pas au conflit, fut demandé un armistice mettant en principe définitivement fin à la guerre en acceptant les conditions de l’ennemi, le général de Gaulle lança son appel à refuser la défaite, depuis la radio de Londres.

Une semaine après cet appel historique, et alors même qu’il se trouvait en Angleterre plus de deux cents mille soldats français, évacués vers ce pays depuis la poche de Dunkerque dans laquelle les avait piégés le général allemand Guderian, il n’y eut en tout et pout tout que 600 volontaires à se présenter devant lui. Si peu, quand on y pense...

C’est du fond de l’Afrique que viendra la réponse essentielle, celle du gouverneur du Tchad, le guyanais Félix Eboué, le premier et seul homme noir qui à cette époque fut nommé gouverneur et qui, ayant entendu l’appel du général de Gaulle, et en prenant tous les risques face à son supérieur hiérarchique, le gouverneur général de l’Afrique Equatoriale française, Pierre Boisson qui, demeuré fidèle au gouvernement de Vichy, aurait pu le faire arrêter, voire éliminer, va proclamer son ralliement au mouvement de résistance.

Il faut bien comprendre ici que ce vibrant appel du général de Gaulle n’aurait eu aucun résultat d’envergure et n’aurait aucunement valu à son auteur de rentrer dans l’histoire, sans le ralliement du gouverneur Eboué, et, à lire les dithyrambes dont le général le couvre dans ses mémoires de guerre, il est manifeste que lui-même en était pleinement conscient. Car, ce général solitaire et sans armée qui face aux Anglo-américains prétendait parler au nom de la France, n’exerçait d’autorité sur pas même un mètre carré de territoire français, et par delà son panache que ces alliés lui reconnaissaient, ce n’est pas sur lui qu’ils misaient, mais sur le Général Giraud qui lui, avait autorité sur l’Afrique du nord, et qui avait manifesté sa volonté de reprendre le combat.

Mais voila, grâce à Félix Eboué, le général de Gaulle parlant depuis une terre française libre, devenait d’autant plus légitime et crédible aux yeux des alliés que ses partisans eurent tôt fait de s’emparer de tout le reste de l’Afrique Equatoriale Française, et surtout par le fait  que dès le début du mois de septembre 1940, plus de 3500 africains et Français des colonies s’étaient déjà portés volontaires pour constituer l’armée d’une France libre aux effectifs appelés à grossir, et qui serait alors en mesure de reprendre le combat à leurs cotés.

Ce mouvement de volontaires africains et de Français des colonies était donc sans commune mesure avec ce qui se passait à Londres où, contrairement à la légende, jusqu’à l’été 1942, les ralliés ne furent au total pas davantage que 7200 venant de la métropole, chiffre qu’il faut alors rapporter aux 5000 Martiniquais et Guadeloupéens qui, pour ces seules deux petites iles, ont sur la même période, rejoint les rangs de la “dissidence”.

Le mérite de ceux-là fut d’autant plus grand qu’avant même de devoir affronter le véritable ennemi, ils durent faire face aux troupes vichystes dépêchées sur place sous les ordres de l’Amiral Robert, qui s’opposaient farouchement à ce qu’ils s’en aillent rejoindre les troupes de la France libre du général de Gaulle. Ceci les contraignait pour éviter d’être atteints par ceux qui pourtant français comme eux, leur tiraient dessus, à partir en pleine nuit sur de frêles barcasses en direction de l’ile anglaise de la Dominique, et de devoir affronter pour cela, toujours en pleine nuit, les flots furieux dus au courant du redoutable canal des Saintes, où beaucoup d’eux périrent...

Si la vaillance à un sens, c’est vraiment là qu’elle s’est le mieux exprimée...!

Pourquoi l’ont-ils fait...?

Pourquoi alors que rien ne les y obligeait et que tout au contraire tout les en dissuadait, ont-il fait le choix à cet instant de leur vie, d’affronter les vichystes, puis les éléments déchainés, pour finalement aller en découdre avec un ennemi lointain qui ne les avait encore jamais frappés, et qui n’était pas en situation de le faire...?

Il n’y a pas une réponse unique à cette question, et il est certain qu’ils comprenaient bien qu’il n’y a que face aux épreuves les plus redoutables, qu’il est possible aux hommes de devenir grands, ils avaient là une occasion de le devenir, et ils le sont devenus. D’autre part, pour ces hommes en quête d’une revanche sur une destinée qui ne les avait guère favorisés, et qui souffraient tant du regard dévalorisant sur eux du colonisateur, ce repositionnement si favorable pour eux par rapport à celui-ci, et dont ils pensaient alors qu’il serait durable, n’était pas sans importance. Mais il y a par dessus tout le fait que ces descendants d’esclaves étaient logiquement plus sensibles que les autres hommes, aux douleurs de l’injustice et de la cruauté, même lorsqu’elles frappaient ceux-là mêmes qui leur en avaient tant infligées, et se faisant le devoir de combattre celles-ci, quel que soit l’endroit ou ceux qu’elles frappent, la justesse et la noblesse de leur cause n’en était que plus grande...

De la Dominique, ils gagnaient des bases aux Etats Unis où ils étaient formés, pour s’en aller ensuite rejoindre l’armée d’Afrique.

Le général de Gaulle tentant quant à lui d’établir cette fois ci son autorité sur l’Afrique Occidentale Française, se présente devant Dakar à bord d’une escadre franco-britannique, dans laquelle se trouvaient des navires français qui étaient en mer lors de la capitulation, et qui ne sont pas rentrés en France pour ne pas tomber dans les mains de l’ennemi. Mais c’est avec des salves d’obus tirés depuis les défenses côtières tenues par des troupes demeurées fidèles à Vichy, qu’il est accueilli, et malgré la puissance des pièces de marine britanniques qui à cette occasion, ont assez sérieusement endommagé ce fleuron de la marine française qu’était l’impressionnant cuirassé Richelieu, qui mouillait en rade de Dakar, il doit remettre cette ambition à plus tard.

C’est donc à partir du Tchad, avec le désormais célèbre régiment de marche du Tchad,  qui fut principalement constituée par le régiment des tirailleurs du Tchad auquel se sont joints des Français de métropole désireux de reprendre la lutte, que va s’opérer le redressement, et c’est ce régiment qui offrira à la France, à Koufra, sa première victoire dans cette guerre. Ces vaillants seront ensuite intégré à la colonne “Leclerc” qui, après des combats victorieux en Tunisie aux cotés des Britanniques, fera la jonction avec les troupes d’Afrique du nord désormais ralliées avec le général Giraud, au général de Gaulle, pour former ainsi la fameuse “ 1ère armée d’Afrique”, forte alors de 200 000 hommes.

Cependant, en 1943, lors de la création par le général Leclerc de la deuxième division blindée, la célèbre 2ème DB qui libérera Paris, et qui, équipée par les américains, devait se constituer sur le modèle des divisions américaines, c’est à dire sur le modèle d’une armée où les blancs et les noirs étaient séparés, ces Américains exigèrent et obtinrent, que soit exclus les Africains du régiment de marche du Tchad désormais intégré dans cette 2ème DB.

Cependant, concernant les hommes de troupe, l’armée d’Afrique demeurait composée très majoritairement d’Africains et de Maghrébins, et elle débarquera principalement en Italie où elle s’illustrera dans la terrible bataille de Monte Cassino, et en Provence, même si la deuxième division blindée du général Leclerc débarquera quant à elle, en Normandie...

C’est cette armée puisqu’à l’époque il n’y en avait pas d’autre engagée au combat, qui aux cotés des alliés, participera à la libération de la France. Cependant, au fur et à mesure que des portions de plus en plus grandes du territoire étaient libérées et que l’administration du général de Gaulle s’y exerçait, la conscription et le ralliement des troupes qui étaient jusque là demeurées fidèles à Vichy, vont permettre la reconstitution progressive d’une armée française qui par le fait, sera intentionnellement et officiellement “blanchie”, selon deux arguments parfaitement valables, même s’il est certain qu’il n’étaient pas forcément dénués de toute arrière pensée...

Le premier argument c’était que ces vaillants d’Afrique avaient déjà suffisamment donné, qu’ils avaient fait le plus difficile, et qu’il était l’heure qu’ils soient enfin relevés. Le second, tout aussi logique, c’est qu’il appartenait désormais à ceux qui était nés sur cette terre, d’en payer le prix de sa libération, pour qu’il ne soit pas dit qu’ils se sont défaussés jusqu’au bout, face à cette responsabilité...

Cette armée sera donc blanchie et grossira jusqu’à former à la fin du conflit un effectif de 700 000 hommes, ce qui permettra aux Français de s’assoir à la table des vainqueurs.

Mais, il ne fait de doute pour personne que rien de tout cela n’aurait été possible sans la glorieuse armée d’Afrique, qui est celle qui a permis l’existence d’un général de Gaulle, et qui a véritablement sauvé ce pays de se voir définitivement humilié, et placé après guerre sous une administration militaire américaine, comme cela avait été prévu selon des accords anglo-américains...

Et, c’est surtout elle qui, flattant l’autorité de la France sur un immense empire qui la faisait puissante, et lui avait permis de figurer parmi les vainqueurs, empire dont on pensait qu’il se maintiendrait puisque ceux de cet l’empire s’étaient justement portés au secours de la métropole, a permis à la France malgré sa terrible défaite de 1940, de se voir offrir un fauteuil de membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies, position qui lui confère aujourd’hui un avantage totalement ahurissant par rapport à d’autres grandes nations, quand on pense que l’empire qui le lui a valu, n’est plus...

Si les fondateurs de la haute assemblée n’avaient pas prévu que parmi les cinq grands empires appelés logiquement à la direction du monde, le français allait rapidement être défait, c’est parce qu’ils ont manqué de considérer que :

 “ceux qui n’ont pas connu l’épreuve, ont le mépris facile.”

Tel sera le cas de la grande majorité des Français, attentistes qu’ils furent durant toute la durée du conflit, mais qui ont rapidement retrouvé les accents et les attitudes méprisantes qui étaient les leurs avant le début de celui-ci, contre ceux-là mêmes qui s’en sont venus d’aussi loin pour les libérer. Ceci, de sorte que la revendication la plus légitime formulée par ceux-ci en contrepartie du sacrifice des leurs et qui était de pouvoir bénéficier de l’égalité des droits, ne fut-elle accordée qu’aux seuls Antillais qui par le fait, sont demeurés français. Quant aux autres qui ne pouvaient se résigner à n’être que des citoyens de seconde zone à cause de l’ingratitude et du racisme de la métropole, la voie de la dignité passait fatalement par l’indépendance...

Ainsi périt l’empire et le souvenir de ceux qui avaient sauvée sa métropole, et c’est alors que privé de la notoriété de ces vaillants désormais citoyens d’autres nations, on se mit à rechercher fébrilement de quoi soigner le prestige national bien mal en point, en évoquant la “résistance”.

Les registres du Conseil National de la Résistance ne recensent en tout et pout tout que 140 000 hommes...!

Il fallait grossir ce chiffre et on considéra alors que certains parmi ceux qui furent déportés, de part les conditions de leur détention, leur refus de collaborer avec l’ennemi, et leurs éventuelles tentatives d’évasion, pouvaient être assimilés à des résistants, et on obtint ainsi un chiffre qui s’approchait des 300 000 hommes.

C’était encore insuffisant et on fit alors toute une série d’enquêtes plus ou moins sincères et approfondies en se basant sur le fait que certains hommes ont eu l’occasion de faire des actes de résistance, sans pour autant avoir fait pleinement partie d’un réseau et avoir ainsi pu être recensés comme résistants...

On obtint alors le chiffre avoisinant les 400 000 hommes souvent évoqué, mais qui malheureusement, malgré cela n’atteignait même pas le niveau de 1% des 42 millions de Français qu’il y avait à l’époque, mais c’était bien tout ce que l’on pouvait faire...

Il est clair que dans toute cette affaire, l’honneur fut d’un coté, et le déshonneur de l’autre, et il appartient aujourd’hui à chacun de se faire l’héritier des uns ou des autres, quant ce qui doit être son attitude et sa façon d’envisager l’avenir. Car, il est remarquable que ce sont les héritiers de ceux qui ont combattu, qui apporteront plus tard leurs bras pour la reconstruction du pays au cours des fameuses “trente glorieuses”, qui ne le furent que grâce à eux, et qui aujourd’hui, ont là encore la juste démarche si essentielle, de donner à la nation les enfants qui lui sont nécessaires...

 Paris, le 27 janvier 2015

Richard Pulvar
                  

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