mardi 1 septembre 2015

BEIJING 2015 : GOLD RUSH ET LONGUE MARCHE


Le rideau est tombé sur les 15ème championnats du monde d’athlétisme de Pékin commencés le 22 août dans un contexte de grands changements institutionnels. Lord Sebastian Coe, l’ancien double champion olympique du 1500m (1980 et 1984) et 8 fois recordman du monde, le président du comité d’organisation des Jeux de Londres 2012 lors du vote qui l’opposait à l’Ukrainien Serguei Bubka succède au Sénégalais Lamine Diack resté plus de 15 ans à la tête de la fédération internationale d’athlétisme Au plan comptable, les recettes de télévisions et de sponsoring, en 15 ans s’élèvent à plus d’un milliards d’euros et les réserves financières de l’IAAF sont d’environ 60 millions d’euros. La fin de règne du premier dirigeant africain de la fédération du premier sport olympique s’achève sur des affaires de dopage et de corruption dans laquelle son fils fut impliqué. Un grand chantier attend la nouvelle gouvernance.

Les tournants à la tête de la fédération internationale sont synchrones avec les renouvellements qui interviennent sur les pistes. Le spectacle produit à Pékin, 7 ans après les Jeux Olympiques l’atteste. Pour la deuxième fois, la ville impériale reçoit une compétition mondiale dans un contexte d’une grave crise monétaire (dévaluation du Yuan) et dans une volonté d’affirmer au monde une image positive. L’organisation fut rigoureuse si on oublie l’incident du sideway qui a fait chuter le sprinter Jamaïcain Usain Bolt. Ces images restées cachées en Chine ont fait la une des presses internationales. Le record du monde du décathlon a été battu par l’américain Asthon Eaton (9045 pts) et 5 records des championnats. La Chine en terminant à la 11 place des nations a réussi son pari avec comme images fortes le sprinter Su (9.99) finaliste du 100m et le relais 4x 100m vice-champion du monde.

Quels enseignements tirer de cette compétition mondiale ? 
Ce rendez-vous tous les 2 ans à la veille d’une échéance olympique (Rio 2016), révèle l’état des rapports de forces entre les nations qui se disputent l’hégémonie mondiale, autrement dit traduit des conflits internationaux, des influences sous d’autres formes. Je retiendrais 5 points 
1/ Le gold Rush : la consécration du sprint jamaïcain, Usain Bolt leader incontesté
2/ L’émergence de jeunes talents, l’athlétisme du futur
3/ Faire taire de manière définitive tous les poncifs
4/ Les résultats catastrophiques de la France
5/ La confirmation des inquiétudes sur la disparition des antillo guyanais de l’équipe de France.

Le GOLD RUSH : LA CONSECRATION DU SPRINT JAMAICAIN, USAIN BOLT LEADER INCONTESTE

Usain Bolt restera le dernier empereur de Pékin, il vient sans doute de faire ces derniers mondiaux. Le nid d’oiseau, l’a couronné d’or à trois reprises sur 100m, 200m et le relais 4x 100m. Ses victoires obtenues dans la douleur après une rude bataille contre l’américain Justin Gatlin ont permis de révéler toutes ses ressources mentales. Ses 13 médailles mondiales dont 11 en or le place dans la légende, Il est le meilleur sprinter de tous les temps. Bolt à la recherche du gold rush arrive dans le doute en absence de rythme de compétitions en raison de blessures. Il a su courir des finales techniquement justes. L’américain Justin Gatlin ambitieux gratifié des meilleures performances mondiales émoussé par une Diamond League éprouvante n’a pas su résister à la terrible pression de l’évènement. La Caraïbe et surtout la Jamaïque a dominé le sprint ; les victoires Jamaïcaines de Shelly Ann Fraser (100m et 4x100m) Danielle Williams (100 m haies) font vaciller l’hégémonie des Etats Unis. Avec 18 médailles au total l’oncle Sam finit deuxième et balbutie son athlétisme. L’exemple du 110 m haies, (épreuve américaine de référence) remporté par le Russe Shubenkov (12.98) sur Parchment (Jamaïque) et Aries Merrit souffrant, à la veille d’une opération des reins ; au 400m, la victoire du Sud Africain Van Niekerk (43.48) sur Lashawn Merrit (USA). La présence du jeune Brommell 20 ans (3ème du 100m), la disqualification du relais 4x100m hommes et surtout la victoire des jamaïcaines au relais 4x400m sur les américaines emmenées par Allyson Félix la championne du 400m (49.28) achèvent le tableau.

L’Europe marque le pas. Parmi les 10 premières nations mondiales, 4 nations européennes sont classées. La Grande Bretagne de Mo Farah qui s’adjuge le doublé 5000m et 10 000 m termine à la 4ème place est le leader de l’athlétisme européen. L’Europe ne doit son salut que par l’émergence de jeunes talents.



L’EMERGENCE DE JEUNES TALENTS, L’ATHLETISME DU FUTUR

Un vent de fraîcheur arrive avec des jeunes talents. La néerlandaise Schippers a crevé l’écran en remportant deux médailles : l’argent sur 100m et surtout l’or au 200m en 21.62 (en battant le vieux record d’Europe de Marita Koch) devant la Jamaïcaine Elaine Thompson (21.66) autant de nouvelles stars de l’athlétisme des années 2020 . Cette nouvelle génération s’incarne aussi par les sprinters : Le Canadien De Grasse, Brommell tout juste 20 ans, Jimmy Vicaut, les sud Africain Van Niekerk champion du monde du 400m (43.48), Jobowana (3ème en 19.87 au 200m), le bouillant Makwala (44.63 au 400m) du Bostwana, Ceddenio de Trinidad et Tobago (8éme au 400m), L’anglaise Asher Smith, la Bahaménne Shaune Miller vice championne du 400m (49.67). Les lanceuses chinoises Lyu et Li . Les Champions canadiens Drouin (2.34m en hauteur) et Barber (5.90m à la perche)

FAIRE TAIRE DE MANIÈRE DÉFINITIVE LES PONCIFS

Le Kenya est le grand vainqueur de ces championnats. Cette réussite africaine en dépit de cas de dopage constatés traduit de nouvelles visions et surtout des ruptures. Les Kényans, cantonnés dans des images européennes de coureurs de la vallée du rift sont toujours présents dans les longues distances comme l’atteste le quadruplé au 3000 m steeple. Cependant le succès final est dû aux victoires dans d’autres disciplines où il n’était pas attendu : Bett au 400 m haies (47.77) et surtout le jet magnifique du javelot de Yego (92.72m) devant l’Egyptien El Sayed (88.99 m). Ces championnats doivent faire taire définitivement les poncifs qui relient une catégorie ethnique à une discipline ; des préjugés fortement véhiculés qui empêchent de comprendre que la réussite sportive passe avant tout par le travail la mise en système du sport, la cohérence des plans de développement et ne repose pas uniquement que sur le talent, le don voire une prétendue qualité génétique « naturelle ». Les victoires dans des disciplines techniques de la Cubaine Sylva à la perche devant la brésilienne Mujer, les 3ème et 4ème places des américaines(blanches) Infeld et Huddle au 10000m, la troisième place du Jamaïcain Richards au Poids (21.67m) attestent des progrès dans l’ensemble des disciplines et de la qualité du travail fourni quel que soit les catégories ethniques.


LES RÉSULTATS CATASTROPHIQUES DE L’EQUIPE DE FRANCE

Avec 2 médailles de bronze, celles de Tavernier (marteau) et Lavillenie pourtant champion olympique et recordman du monde de perche, l’équipe de France termine à la 31éme place. Un triste résultat, le plus mauvais depuis la création des mondiaux (1983). Les blessés et surtout la fin de non-recevoir évoqués par certains responsables pour mieux préparer Rio 2016 restent insuffisants pour expliquer et comprendre cet échec, tant on nous avais vantés les exploits de Zurich. Les années se suivent mais ne se ressemblent pas. 

Pourquoi refuser de traiter le fond de la question : la place et le réel niveau de l’athlétisme en France ? On ne cesse de répéter que la discipline sous sa forme compétitive est sinistrée et coûte très cher ; elle est traversée par de nouveaux courants majoritaires hédonistes et à visées hygiéniques. Le refus d’éduquer à la compétition, la disparition des valeurs ascétiques des programmes scolaires et universitaires, l’obsolescence des formations des coaches, des clubs exsangues déstructurés autant de freins qui font des dégâts immenses.

Le système compétitif repose sur une élite artificiellement construite faible en nombre, choyée et hyper médiatisée surprotégée jamais remise en cause voire surévaluée. Des questions demeurent sur leur réelle compétitivité en haute compétition. En absence d’épreuves et de critères objectifs de sélections (absences de trials à l’américaine) on observe des championnats nationaux où l’élite passent 2 tours de courses alors que tous les championnats internationaux se font sur 3 tours intenses on comprend mieux que les temps ont du mal à s’améliorer en finale (le 4x100m hommes vite en série n’arrive pas à se transcender en finale). On voit aussi naitre des leaders à fort ego (perche, sprint) qui n’arrivent pas à partager et attirer vers le haut une densité d’athlètes performants. Les pressions des groupes et les groupes de pressions limitent l’émergence et la consolidation d’une réelle élite. La dégradation du sprint (homme et femme) en dépit des résultats de Vicaut inquiète.


LA CONFIRMATION DES INQUIETUDES SUR LA DISPARITION DES ANTILLO GUYANAIS DE L’EQUIPE DE FRANCE

Beijing confirme de manière inexorable une tendance récurrente dans laquelle l’athlétisme de la Réunion, de la Martinique, de la Guyane et de la Guadeloupe se sont installés depuis 20 ans. Jadis pourvoyeur de médailles les ressortissants de ces territoires disparaissent inexorablement de l’équipe de France. Le jeune espoir Whilem Belocian blessé n’a pas pu répondre à sa sélection au 110m haies et apprend à ses dépends que le professionnalisme ne s'improvise pas et que la concurrence est dure.

En 2009, a été proposé un plan « Caraïbe » transformé en un plan « Antilles Guyane » dont personne n’est en mesure de voir les contours et surtout le contenu et on attend en vain les réels résultats : 6 ans après la demi-finale sur 200m de Johanna Danois à Berlin le bilan est triste ! Quid de l’efficacité de ces agendas idéologiques chèrement payés ?

En Guadeloupe, ceux qui proposent de la course en sac aux jeunes comme innovation éducative, très prisée étaient absents à Pékin pour observer et surtout comprendre dans quel sens bouge l’athlétisme mondial. Certes le jeu bien utilisé a de grandes valeurs éducatives ; cependant on ne peut proposer le jeu pour le jeu ! Les nations qui avancent, nos voisins font d’autres choix et fondent leurs projets sur d’autres valeurs : les qualités techniques, la compétition, la formation, des plans de développement en cohérence avec des valeurs culturelles, le professionnalisme et surtout du travail intensif dans la durée et non pas des coups à court terme. Au moment où l’aire Caraïbe domine le monde, on assiste dans nos territoires à un grand écart terrible, on s'en éloigne et devient inaccessibles alors que depuis les années 60 soit plus demi-siècle elle était notre zone d'expression et de formation. En dépit d’un discours, on a jamais été si éloigné de nos voisins avec lesquels on échange et on construit peu fondamentalement (absence d’échanges interpersonnels, de formation durable de cadre locaux de haut niveau…..). La volonté de se rapprocher vers l’Europe reste forte (exemple de la préparation hivernale de Belocian) tout en affirmant la volonté de vouloir entraîner les jeunes talents localement, ils disparaissent souvent dégoûtés et/ou rejetés ; les départs des îles s’amplifient. Cette année 2015-2016 la Guadeloupe va vivre une hémorragie énorme sans précédent.

Plus que jamais nous sommes en présence d’un système en bout de course autiste. Ce système conçu à 8000 km refuse de traiter les réalités locales. Ces visions obsolètes nous engagent dans l’errance, pour conclure sur des images chinoises, nous poursuivons une longue marche dans le désert sans Timonier.


Harry Méphon

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