lundi 15 février 2016

Le Voile: Parlons-en !


«Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux autres ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre!», George Orwell.

Plus je pense à mes filles et à l’environnement que je vais leur laisser après mon départ vers l’inconnu, plus j’ai honte! En effet, l’environnement que m’ont laissé mes parents était bien meilleur que celui dans lequel elles vivent actuellement. Je l’avoue très humblement: j’ai échoué, nous avons tous échoué! Ce n’est pas possible qu’après 60 ans de lutte acharnée pour garantir les droits des femmes, nous en soyons encore là! Qu’aurait-il fallu faire de plus ou différemment que nous n’ayons pas fait? Est-il imaginable que nous ayons encore besoin d’expliquer que les femmes constituent 50% de toutes les sociétés et qu’il n’y a absolument pas de différence qu’on soit né(e) de sexe féminin ou masculin!

Mais encore, est-il possible, durant les 5 ou 10 prochaines années, de redresser la barre et d’arriver enfin à faire comprendre aux Tunisien(es), qu’il est de l’intérêt des hommes, des enfants, des familles et de toute la société de garantir que les femmes soient des citoyennes à part entière, heureuses, épanouies et bénéficiant des mêmes choix et opportunités que les hommes?

Ces cinq dernières années, la Tunisie, où auparavant, la majorité des femmes n’éprouvait ni l’envie ni le besoin de couvrir leur tête, a insidieusement basculé vers une majorité inverse. Cette majorité peut atteindre 85% dans les petites villes et villages où des petites filles commencent aussi à se voiler la tête.

Ce qui me rend perplexe, c’est cette hypocrisie ambiante où les uns et les autres font semblant de ne pas remarquer ce changement sociétal. La majorité parait ne pas être intéressée ni vouloir chercher à comprendre ce changement radical. Les citoyens ont-ils perdu le courage même de poser les vraies questions ou sont-ils passés maîtres dans la censure ou plutôt l’autocensure?

J’appartiens à cette génération qui est née avec une grand-mère, mère, tantes et cousines etc, sans voile. Mes souvenirs d’enfance sont remplis d’images de jolis «Séfsaris» blancs ordinaires ou en soie, en fonction des événements. Durant mon adolescence, ce séfsari a disparu et ma mère l’a troqué contre des robes, des tailleurs et des foulards de toutes les couleurs, choisis avec une grande attention et goût.

J’appartiens aussi à cette génération qui, à l’exception de la Tunisie, a vu, en l’espace de 30 ans, plus de 150 millions de femmes de la région Arabe se couvrir la tête au début, puis s’habiller de noir de la tête aux pieds et certaines d’entre elles, ne garder de visible qu’une paire de yeux, qu’elles couvrent parfois, de fausses lunettes de vue. Ces femmes, qui auparavant avaient des tenues appartenant à leur culture ancestrale, permettant de différencier la Mauritanienne de la Soudanaise, ou de la Yéménite….ont contribué à l’uniformisation des tenues vestimentaires. Les femmes, dont les maris travaillaient dans les pays du Golfe, et voulant ressembler aux femmes riches du Golfe, ont remplacé leur habits culturels par ces longues Abeyyas noires. Certaines Jordaniennes, Palestiniennes, Syriennes et Yéménites ont adopté un long imperméable bleu marine ou kaki qui m’a toujours interpellée car ressemblant à un certain uniforme imposé par un quelconque mot d’ordre dont je n’arrive toujours pas à déchiffrer le code.

Si certains prétendent que l’origine du voile est un précepte religieux, cela voudra dire que la génération de ma grand-mère et de ma mère (ainsi que tous nos exégètes) n’avait pas compris les textes religieux! Quelle offense à la mémoire de ces femmes profondément pieuses qui priaient, jeûnaient et étaient même allées à la Mecque. Que s’est-il passé depuis cette fameuse journée où Bourguiba, devant les médias, a ôté le séfsari de cette militante, qui la caché quand il fuyait le colon français et qui se trouve être aussi l’arrière-grand-mère paternelle de mes propres filles?

Je ne suis ni anthropologue, sociologue, ou psychologue et pourtant, j’ai le droit, en tant que citoyenne tunisienne, de poser au moins la question: Pourquoi la Tunisie, après avoir résisté plus de 60 ans, a-t-elle fini par basculer et se laisser envahir par cette marée noire, ce deuil collectif sans fin?

Le voile doit se remettre sous le feu des projecteurs afin de sortir de la «normalité» dans laquelle il semble s’être sournoisement glissé. Pour cela, je me propose d’esquisser 7 pistes de réflexion dans l’espoir que cela incitera toutes les expertises à apporter leur pierre à cet édifice qui nous aidera à mieux nous comprendre les uns les autres afin de nous opposer à la division de la nation Tunisienne en deux groupes antagonistes, qui font semblant de s’ignorer tout en dissimulant mal leur hostilité, animosité et aversion réciproques!

La piste religieuse: Beaucoup d’experts des religions, de toutes nationalités, se sont évertué à expliquer que le Coran n’a jamais exigé le port du voile pour la femme. Ils argumentent d’ailleurs leur thèse, analysant le contexte de certains versets et hadiths que je n’ai nul besoin de rappeler ici. Leurs arguments sont très convaincants sauf pour celles et ceux qui s’évertuent à ne pas vouloir les admettre, affichant un entêtement suspect. Donc si le voile n’est pas un précepte religieux, qu’est ce qui explique son port quasi-généralisé?

La piste historique: Au-delà de la génération de ma mère, j’aurai pu parler aussi du public féminin de la grande diva Om Kalthoum qui à 99% n’était pas voilé. Plusieurs photos ont aussi circulé sur le net d’étudiantes, au Caire, des années 50 à 80 démontrant qu’au début, aucune d’entre elles n’était voilée et puis chaque année, certaines ont commencé à le faire pour arriver à aujourd’hui, où, à part les Égyptiennes chrétiennes et quelques irréductibles, 95% des femmes le sont. Peut-on croire que ces générations de femmes auraient pu enfreindre un précepte sacré ou que le Sheikh Al-Azhar de l’époque aurait pu oublier de parler d’une prescription aussi sérieuse?

La piste Wahhabite: Qu’un idéologue propose une nouvelle lecture des textes religieux et invente de nouveaux préceptes, je peux le comprendre, mais ce que je n’arrive pas à saisir, c’est la facilité avec laquelle, lui et ses adeptes ont pu convaincre ces 150 millions de femmes Arabes, (je ne parle même pas des Indonésiennes, Malaisiennes, Africaines et autres musulmanes), d’abandonner leur propre lecture et celle de leurs ancêtres des textes sacrés, pour la remplacer par la thèse wahhabite. D’autres personnages ont aussi joué un rôle majeur dans cette généralisation du port du voile. J’ai moi-même eu une réunion de plus de deux heures avec l’Egyptien Amr Khaled, pour essayer de comprendre, pourquoi et comment a-t-il pu séduire tellement de jeunes filles, de par le monde Arabe, pour les convaincre de couvrir leur tête. Je suis même allée plusieurs fois dans l’église où Amr Khaled a appris la manière dont ils faisaient leur prêche. Rien de tout ce que j’ai découvert n’a pu me convaincre de cette fascination, au contraire, j’avoue que son sourire artificiel et son manque d’authenticité m’ont assez déplus et ont représenté, pour moi, une insulte à l’intelligence de toutes les femmes.

La piste psychologique: Il est impératif que les psychologues nous expliquent le comportement de certains hommes qui exigent que leur femme se voile par peur du regard des autres hommes. Ou encore qu’ils expliquent le comportement de ces femmes, qui, sans y être obligées, décident elles-mêmes de se couvrir la tête. En faisant cela, quel message veulent-elles faire passer à la société? Ont-elles réellement cru le mensonge que leurs cheveux sont d’une telle beauté que tous les hommes vont y succomber? Pour ma part, chaque fois que j’en ai eu l’opportunité, j’ai toujours demandé aux hommes si réellement les cheveux de la femme avaient un quelconque effet sur eux ? Sans exception, ils m’ont répondu que non. Les psychologues devront aussi analyser l’impact sur les enfants de ce changement sociétal. Par ailleurs, l’hypocrisie qui me gêne c’est que, d’une part, ces femmes prétendent cacher leurs cheveux mais s’évertuent à décorer leurs longues robes et voiles de strasses qui vont à l’encontre de ce besoin de se cacher du regard des hommes. Je ne trouve aucune explication à cette contradiction doublée d’une injure à la beauté et à l’esthétique.

La piste de soumission de la femme: En quoi convaincre ou obliger les femmes à se voiler serait un signe de leur soumission? Que gagnent les hommes qui l’exigent? Que gagnent les femmes qui le font délibérément et qui poussent d’autres femmes à le faire? Que gagne la société? La Tunisie a-t-elle réussi à devenir plus développée grâce à la propagation du voile? Couvrir de noir la région Arabe a-t-il rendu ses citoyens plus heureux, plus productifs, plus démocrates? Ce choix a-t-il ramené la paix et la sécurité dans la région? La piste de l’esclavage mental: Les relations hommes-femmes sont les mêmes partout. Voilées ou pas voilées, les sociétés ont les mêmes comportements qu’elles veuillent le reconnaître ou pas. La seule différence c’est qu’il existe des sociétés plus hypocrites que d’autres. Elles se livrent d’ailleurs à la même fausse compétition de vouloir faire croire aux autres qu’ils sont les plus pieux. L’Orient a toujours vécu dans le mensonge et l’illusion de vouloir faire croire qu’il est plus conservateur que l’Occident. Même les femmes qui prétendent être modernes, en acceptant le voile, ne voient en la femme qu’un corps dénudé de tout esprit et de toute intelligence qu’il faut camoufler à tout prix. Les hommes qui se prétendent progressistes, par leur silence complice, ont l’air d’avoir complètement démissionné, donnant l’impression que c’est un problème de femmes et non pas de société. Les gouvernants, confus et sans projet, ne savent plus s’il faut autoriser ou condamner le port du voile à l’école ou dans l’administration!

Une médiocrité ambiante s’est abattue sur la société Arabe qui les laisse sans voie ni vision, comme si tout d’un coup, le cerveau des 370 millions de cette population, s’était arrêté de fonctionner. L’Occident se débat lui-même dans la même problématique et semble avoir perdu le nord car la même médiocrité parait s’être abattue sur ses hommes et ses femmes d’Etat. Quelle ironie de l’histoire que le monde développé et sous-développé habitent dans le même navire sans capitaine! Les vrais Leaders sont-ils devenus une espèce en voie de disparition ?

Pour conclure, le temps est venu de mettre ce sujet sur le tapis dans le cadre d’un débat plus vaste sur l’importance du choix de la laïcité de l’Etat Tunisien et de l’impératif de la séparation de la religion et de l’Etat. 60 ans après son indépendance, la Tunisie se doit d’être pionnière de cette nouvelle bataille, sans laquelle, n’importe quel rêve de Développement serait illusoire!

Khadija Moalla, PhD
Dr. in International Law

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