mercredi 4 avril 2018

DE LA CRIMEE A LA SYRIE… L’AFFRONTEMENT DES IMPERIALISMES ET LE CREPUSCULE DES PEUPLES...

Regardez ces hommes…

Ils portent sur leurs visages mêmes, toute la gravité du drame syrien. Ceux du haut et leurs postures altières, se projetaient d’être les empereurs les plus puissants, et rêvaient pour cela de triomphes guerriers. Il leur faudra donc des guerres, mais ils seront justement vaincus par celles-ci et notre malheur à tous, c’est qu’elles ne prendront pas fin avec leur disparition…

Ceux du bas qui, pour trois d’entre eux, en sont les héritiers naturels, se sont trouvés rejoints par un quatrième issu d’au-delà de l’immense océan, et dont la seule raison pour cela fut l’obsédante ambition de se substituer dans la conduite des affaires de ce monde, aux deux puissantes nations de la façade atlantique de l’Europe qui avaient justement donné naissance à la sienne, et qui avaient jusqu’alors outrageusement dominé ce monde.

Ces derniers affichent la moue ou le rictus de ces hommes à la fois pleins de défiance et assoiffés de pouvoir et qui, n’ayant justement jamais eu à souffrir par eux-mêmes de telles épreuves, considèrent la dévastation de nations entières avec tout son cortège de morts et de malheurs, comme étant une façon acceptable et même nécessaire, de mener une politique…

Mais ne soyez pas dupes, car malgré la complexité de l’analyse historique et politique de cette affaire, il ne s’agit quant à sa cause profonde que de l’éternelle volonté pathologique, permanente et sourde à tout appel à la raison, de puissance, de possession, et de domination, qui se traduit par une volonté de capture des ressources de peuples qu’on s’en va soumettre, voire même dans le cas extrême, d’accaparement pur et simple de l’espace de ceux-ci…

Il y eut ainsi les royaumes francs, fondés par le glaive à l’époque des croisades, dans un proche Orient alors devenu musulman, et dont la disparition après une existence éphémère allait créer une nostalgie durable dans un royaume de France conquérant, qui attendait d’avoir un nouveau rendez-vous avec l’Orient, et c’est finalement ce dernier qui viendra à lui…

C’est le 4 février 1536 que le roi de France François 1er, recevant le sultan Soliman le Magnifique dans le cadre d’une alliance franco-ottomane, va signer avec celui-ci le traité des “capitulations”. Cet accord qui sera décrié par certains comme étant une “alliance impie” entre la fleur de lys et le croissant, fut rendu nécessaire à ces deux pays pour pouvoir faire face à leur ennemi commun, le redoutable empereur d’Autriche de la maison de Habsbourg, Charles Quint…

Il s’agit alors en ces capitulations, tout d’abord d’un certain nombre de faveurs commerciales accordées aux Français qui obtiennent ainsi un quasi-monopole du commerce fait avec l’Orient, les navires marchands devant arborer le pavillon français après s’être acquittés d’une taxe. Il y a également des accords militaires et financiers, le sultan fournissant une aide financière considérable à François 1er. Mais il y a surtout des accords concernant des questions religieuses et leurs implications, à l’occasion desquels le sultan renoncera à une partie de sa souveraineté sur son empire et ses sujet, d’où le terme capitulation, en accordant aux Français de pouvoir pratiquer librement leur religion au sein de l’empire ottoman, en leur accordant également la garde des lieux saints, et surtout en faisant d’eux les défenseurs de la sécurité et des intérêts des chrétiens d’Orient, tel que par exemple, ceux-ci ne relèveront pas de la justice ottomane mais de la justice française…

Si le sultan fait tant de concessions, c’est parce qu’il vient de subir une terrible défaite à Tunis face à Charles Quint, et il lui faut absolument trouver un puissant allié à l’Ouest, pour pouvoir ouvrir un deuxième front contre son puissant ennemi, et il est remarquable que ce traité signé en 1536, va demeurer en vigueur malgré bien des vicissitudes, jusqu’en 1923, date de la création de la république turque qui n’en fera pas héritage…

Ainsi les Français devenus protecteurs des chrétiens d’Orient, possèdent-il un droit de regard et même d’intervention, concernant des affaires qui se passent dans l’empire ottoman. Ceci offrira à Napoléon comme prétexte pour intervenir en Egypte, la charge de lutter contre les Mamelouks qui constituaient une armée jugée infidèle au sultan, et plus tard à son petit neveu Napoléon III, une raison d’intervenir militairement en 1850, pour la protection des chrétiens maronites du Liban, et les abus de ce droit sous différents prétextes, se trouveront à l’origine de bien des difficultés d’aujourd’hui.


Car, depuis la fin du 18ème siècle et le début du 19ème, l’immense empire ottoman, dirigé d’une façon très autoritaire à l’heure même où les idées de la révolution française se répandent à travers toute l’Europe et au-delà même de celle-ci, se trouve secoué par de terribles soubresauts et des tentations sécessionnistes, annonçant son probable démantèlement. C’est donc d’une façon opportuniste que dès les années 1850, les trois grands empires concurrents qu’étaient alors la Russie de Nicolas 1er, la Grande Bretagne de la reine Victoria, et l’empire français de Napoléon III, vont se préparer à s’élargir à ses dépens…

Or, l’obsession séculaire des tsars selon la logique même des choses, est de parvenir absolument à la Méditerranée, pour y obtenir un débouché direct et désenclaver la mer noire en exerçant le contrôle sur les détroits. Il est clair que cet accès leur aurait permis de considérablement augmenter leur commerce et par le fait leur puissance et leur influence, tant sur l’Europe, que sur l’Orient. C’est d’ailleurs selon cette même préoccupation de présence en Méditerranée, que les Anglais vont ravir l’île de Malte aux Français...

Il faut se rappeler à ce sujet que ce “tropisme” qui détermine les Russes à tenter de parvenir à la Méditerranée, se trouve à l’origine de la fondation de la nation russe elle-même, puisque c’est selon lui que les Varègues (ou les Rus), peuple scandinave, se sont mis en marche vers le Sud, empruntant le Dniepr pour atteindre la mer noire et de là, Constantinople.

Les Varègues entretenaient en effet un important trafic commercial avec les Byzantins, dont celui d’esclaves “slaves”, surtout des femmes, qu’ils razziaient au passage pour s’en aller les vendre sur le marché aux esclaves de Constantinople, ce qui fera leur richesse. Telle est d’ailleurs l’origine même du mot “esclave”, et surtout, du contentieux “atavique” terrible qui existe jusqu’aujourd’hui entre les Russes et les Ukrainiens qui eux, ne sont pas des slaves, et c’est à cette occasion que sera fondée sur les bords du Dniepr la fameuse “Rus de Kiev”, qui se trouve pourtant à l’origine de la nation russe, puisque ces Rus vont conquérir d’immenses espaces slaves, pour en être ensuite chassés par les Mongols, mais en leur laissant leur nom.


Les liens des Russes avec Byzantins qui leur transmettront leur religion et l’écriture, étaient si forts que lorsque les Ottomans vont s’emparer de Constantinople et y imposer l’islam, les Russes vont proclamer Moscou comme étant la troisième Rome, dans la poursuite d’un héritage issu de la ville éternelle ayant succombé aux invasions germaniques, et transmis aux Russes par la seconde Rome, Constantinople, ayant à son tour succombé aux Ottomans. Ils se voyaient ainsi comme étant les authentiques dépositaires de la foi chrétienne…

C’est dans cet esprit que bien plus tard, ils vont longuement tenter mais sans succès, de se faire reconnaitre par les sultans comme étant les protecteurs des chrétiens orthodoxes de l’empire ottoman qui, du fait de ses possessions européennes, avait un tiers de sa population de confession orthodoxe, proportion qui atteignait 75% dans les Balkans. Mais la diplomatie française s’employait à ce qu’il n’en fut rien, pour conserver à la France son rôle exclusif de protecteur des chrétiens d’Orient, qui lui fut accordé par les capitulations…

C’est alors que toujours dans cet esprit d’assumer la fonction religieuse de la troisième Rome, va naitre avec l’impératrice Catherine II de Russie, le projet de libérer les Balkans et les nations du pourtour de la mer noire, de la présence des Ottomans, et de les refouler vers l’Anatolie pour faire renaitre l’empire Byzantin avec Constantinople pour capitale.

Ce projet sera à l’origine d’une série de 9 terribles guerres, qui vont opposer les Russes aux Ottomans, et se terminer la plupart des fois à la faveur des premiers. Il sera engagé par le célèbre maréchal Grigori Potemkine, favori de l’impératrice Catherine II, et fondateur de la flotte russe de la Mer Noire, avec la conquête de l’Ukraine qui après avoir été polonaise, était devenue la vassale de l’empire Ottoman, et qui possédait une assez forte minorité musulmane, qui sera chassée. Les Russes lui donneront alors ne nom de “nouvelle Russie”, nom repris aujourd’hui avec les événements d’Ukraine, et y feront venir de nombreux Russes afin de la peupler, pour qu’elle puisse demeurer attachée à la Russie…

Viendra ensuite le tour du khanat de Crimée, nation vassale elle aussi des Ottomans, que les Russes vont vassaliser à leur tour, avant de carrément l’annexer et toujours selon le même principe, c’est-à-dire en chassant les Tatars, peuple musulman qui la peuplait, pour les remplacer par des Russes et en créant à cette occasion, les villes de Sébastopol en Crimée, et d’Odessa en Ukraine, peuplées de Russes.

Puis viendra le tour des provinces musulmanes du Caucase de sorte que les Ottomans ne posséderont plus aucun territoire au nord de la Mer Noire…

Compte tenu de la pression que leur supériorité militaire leur permettait d’exercer sur les sultans, les Russes étaient parvenus à obtenir de ceux-là, une souveraineté partagée avec eux sur les provinces roumaines de Valachie et de Moldavie, presque exclusivement peuplées d’orthodoxes.

Cependant, face au refus obstiné du sultan de leur reconnaitre le rôle de protecteurs des orthodoxes de l’empire, en 1853, le tsar de Russie Nicolas 1er, décide d’annexer carrément ces provinces. C’est le début de la guerre de Crimée qui voit tout d’abord s’affronter les Russes et les Ottomans. Mais il est clair que les Français et les Britanniques ne pouvait voir se constituer sans réagir, un monstre qui s’étendrait de la Sibérie à l’Afrique du nord, suite la vassalisation de l’empire ottoman par les Russes. Ils décident donc d’intervenir pour soutenir le sultan.

Mais, craignant de voir les Autrichiens qui les concurrençaient depuis toujours pour la possession des Balkans, s’allier opportunément à eux, Nicolas 1er va opérer un repli stratégique et enlever ses troupes de Moldavie et de Valachie…

Les choses auraient pu momentanément en rester là, mais Napoléon III qui venait de faire son coup d’état, était clairement en quête d’un exploit guerrier pour pouvoir fédérer les Français autour de lui. Il voudra réellement l’affrontement et en trouvera une bonne occasion dans des violences qui feront une quarantaine de morts, opposant des catholiques romains et des orthodoxes qui jusqu’alors, s’étaient entendus pour la gestion des lieux saints à Jérusalem.

Rappelant tant au sultan qu’au tsar, que c’est à lui d’assurer la protection des lieux saints, et en l’occurrence de contrer la volonté des Russes de s’approprier ce droit, il décide pour éviter toute nouvelle tentative de ceux-là, de s’en aller détruire leur flotte en Mer Noire, laquelle se trouvait stationnée à Sébastopol, et il envoie pour cela un corps expéditionnaire en Crimée…

La puissante armée russe, depuis sa victoire sur Napoléon, était jusqu’alors réputée invincible, et elle se croyait telle. Mais, malgré un avantage numérique du simple au double, puisque 310 000 Français, 250 000 Ottomans, et 98 000 Britanniques durent affronter plus de 1 200 000 Russes, et malgré les succès qu’elle obtiendra contre les Ottomans, elle se fera finalement écraser par les Français, du fait de la supériorité sans égale de leur intendance, comme celle de leur armement et de leur commandement.

Le traité de Paris qui mettra fin en 1856 à cette guerre de Crimée, va comporter une clause catastrophique pour la Russie, puisqu’il va proclamer la neutralité de la Mer Noire, plus aucun navire de guerre ne devra s’y trouver, et c’est ce qui va constituer le début d’un problème absolument obsédant pour la Russie et qui va expliquer son intervention directe dans l’actuelle guerre de Syrie, la question de son “enclavement”…

Cependant, nous sommes à cette époque où les Etats-Unis d’Amérique qui ont acquis leur indépendance avec l’aide des Français, au traité de Paris de 1887, mènent une politique expansionniste qui leur permettra d’atteindre l’étendue qui est devenue la leur, après avoir racheté l’immense Louisiane de l’époque qui s’étendait alors du golf du Mexique jusqu’au Canada, aux Français, la Floride aux Espagnols, et fait l’acquisition de l’Oregon grâce à un accord avec les Canadiens. Ils vont intriguer pour provoquer la sécession du Texas qui faisait alors partie du Mexique, pour les rejoindre, puis carrément déclencher une guerre contre le Mexique pour lui ravir le Nouveau Mexique et la Californie…

Après des acquisitions coloniales cette fois, faites contre les Espagnols à Porto-Rico et aux Philippines, et leur protectorat imposé à Haïti et Saint-Domingue, leur volonté sera de s’afficher clairement comme étant une nouvelle grande puissance de ce monde, et de ne plus accepter la domination de celui-ci par les Britanniques et les Français. C’est dans cet esprit qu’ils enverront en 1858 un navire de guerre en Mer Noire, au motif qu’ils n’étaient pas signataires du traité de Paris. Ils font ainsi leur apparition aux Proche-Orient, pour ne pas laisser seuls, les Russes, les Britanniques, et les Français, se partager l’empire Ottomans dont il est de plus en plus clair, qu’il sera tôt ou tard démantelé, et ils veulent être du festin…

A cet instant, il faut prendre conscience pour la bonne compréhension de cette affaire syrienne, de la persistance des données historiques traduisant la détermination des peuples les uns envers les autres, dans la géopolitique mondiale, et ne surtout pas se laisser berner par toute la propagande et tout le baratin officiel, qui veulent laisser croire que l’intervention de puissances étrangères en Syrie serait justifiée par la présence en ce pays d’un dictateur. Car, rendez-vous compte que depuis cette époque déjà lointaine, 1858, il y a donc 160 ans, sont déjà au complet, tous ceux qui aujourd’hui vont intervenir directement dans le drame syrien, les Turcs bien-sûr, mais également les Russes, les Américains, les Britanniques, et les Français…

En réalité, nous sommes bel et bien là dans un affrontement déjà séculaire entre puissances impérialistes, dans leur volonté de domination, qui va entrainer le crépuscule des peuples qui ne deviendront alors que des instruments dans la lutte qu’elles se livrent, et c’est le cheminement depuis la situation de 1858 jusqu’à l’actuelle, que je vous propose de découvrir dans une seconde partie de cet article…

A bientôt donc…

Paris, le 4 avril 2018
Richard Pulvar

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