samedi 16 janvier 2010

Haïti: La malédiction d'une île découverte par Napoléon


L'histoire d'Haïti a souvent ressemblé à un long chemin de croix.

Dans l’île, on a conservé la mémoire d’un bruit. D’un grondement plutôt, qui au XVIIIe siècle accompagnait chaque fait et geste des habitants de Port-au-Prince. "Le pays est en pente. Il descend vers trois lacs d’eau salée, situés à 50 m sous le niveau de la mer. Un gouffre souterrain les relie à l’océan. Et c’est de ce gouffre que provenait ce fracas. Aujourd’hui on n’entend plus rien, à cause du tumulte de la circulation, tout comme on ne voit plus les étoiles dans la lumière des villes", raconte Jacques de Cauna, historien, spécialiste de l’histoire de l’esclavage (1).

Un grondement comme la longue plainte d’un pays maudit? Haïti, c’est avant tout "une république qui a toujours dit non", répond le romancier congolais Alain Mabanckou, sur son blog écrit depuis Miami, alors qu’il allait prendre l’avion pour Port-au-Prince. Il était invité comme bien d’autres écrivains à participer, preuve de la vivacité intellectuelle du pays, au deuxième festival Etonnants Voyageurs en Haïti. Une émanation de la rencontre de Saint-Malo, qui a bien entendu été annulée. Haïti est bien un pays qui dit non depuis plus de deux siècles. Et qui semble toujours devoir payer le prix de cette audace.
"Double traumatisme"

Depuis la révolte des esclaves menée par Toussaint Louverture dans la colonie française à la fin du XVIIIe siècle. Contre les toutes-puissantes armées de Napoléon, une bataille pour la liberté. Mais aussi pour, comme le leader noir le lance le 28 août 1793, "la vengeance de sa race". En 1804, la première République noire de l’histoire est proclamée. "Une indépendance qui se fait dans des conditions épouvantables, soupire Christophe Wargny, historien, spécialiste d’Haïti (2). L’ensemble de l’Occident a mis ce pays en quarantaine pendant près de cent cinquante ans. A l’époque, on ne voulait pas admettre que cette 'bande de nègres' ait mis en déroute la meilleure armée du monde et pris en main la plus riche des colonies."

"Toute l’histoire de ce pays se résume surtout en une confrontation perpétuelle entre des opprimés et des oppresseurs venus d’ailleurs", estime Jacques de Cauna. Haïti forme la partie occidentale de l’île découverte avec émerveillement par Christophe Colomb, le 5 décembre 1492: "C’est une terre à désirer et, une fois vue, à ne jamais quitter", écrit même à l’époque l’envoyé d’Isabelle de Castille. Quand les Espagnols débarquent, ils découvrent avec étonnement que les hommes ne parlent pas la même langue que les femmes. Normal, elles sont des Taïnos, les habitants historiques de l’île. Les hommes de leur tribu ont été massacrés par les Caraïbes, des Indiens anthropophages venus de l’Orénoque. Les Espagnols s’installent, fixés par l’or d’Hispaniola. Les Amérindiens qui refusent de travailler dans les mines sont massacrés. Les maladies font le reste, en quelques décennies la population originelle de l’île est exterminée. Les Espagnols débutent ensuite la plantation de la canne à sucre. Elle sera cultivée par des esclaves déportés depuis l’Afrique. C’est le début de la traite des Noirs.

"Haïti s’est donc bâti sur ce double traumatisme, note Jacques de Cauna, l’extermination des Indiens et la déportation des Noirs. Imaginez que plus aucun Haïtien aujourd’hui n’a dans son sang de trace de celui du premier peuple de son pays. Il est d’ailleurs notable que lors de l’indépendance, ils ont redonné à leur terre son nom originel. L’indien Ayiti signifie 'Terre des hautes montagnes'."

"Ayiti" qui subira toujours une instabilité chronique. Après les Espagnols viennent les flibustiers, puis le pouvoir central qui organise la colonisation, il y aura ensuite les Américains qui occupent l’île de 1915 à 1934. L’ennemi viendra ensuite de l’intérieur avec le passage d’une succession de tyrans, en particulier les Duvalier père et fils qui anéantissent tous les espoirs de développement de l’île. Au moment du séisme, le pays était dirigé par René Préval, un proche du prêtre salésien Jean-Bertrand Aristide qui lui non plus ne sut pas susciter le miracle qui permettrait de sauver Haïti de son chaos permanent. Seule lueur d’espoir dans ce triste destin: l’incroyable force des artistes du pays du réalisme merveilleux qui a enfanté le peintre Basquiat et des écrivains comme Lyonel Trouillot ou Dany Laferrière, prix Médicis 2009.

(1) Haïti, l’éternelle révolution, éditions Pyrémonde, 2009.
(2) Haïti n’existe pas, 1804-2004: deux cents ans de solitude, éditions Autrement, 2008.

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