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mardi 19 janvier 2010
Haïti : les oubliés du bidonville Delmas 32
C'était l'un des principaux bidonvilles de l'agglomération de Port-au-Prince, ce n'est plus qu'un immense champ de ruine. Dans ce quartier baptisé Delmas 32 vivaient au moins 35 000 personnes. Plusieurs milliers d'entre elles sont décédées, victimes du tremblement de terre, mais aussi de cette pauvreté qui oblige à construire des «maisons» aux fondations inexistantes, plantées sur des pieux de bétons qui se sont effondrés comme des brindilles.
«Qu'est-ce que la communauté internationale fait pour nous ?»
Bidonville décidément maudit, Delmas 32 n'a pas encore vu l'ombre d'un secouriste. Et pourtant, la tâche est immense. De ce petit hôpital de plusieurs étages, il ne reste plus que quelques gravats sur deux mètres de haut, et un panneau défoncé qui clame ironiquement : «Notre santé, c'est votre priorité.» Personne n'y croit plus. «Qu'est-ce que la communauté internationale fait pour nous ? clame un ancien. Comment les contacter ? Nous avons des médecins disponibles, mais il n'y a aucun médicament, et surtout pas d'eau.»
Il ne devrait pas y en avoir pendant encore plusieurs jours. «Regardez ce réservoir, il fait 3 800m3, et alimente en eau environ 25000 personnes, détaille Joseph Paul, un responsable de la CAMEP, la Centrale autonome métropolitaine d'eau potable. Il est vide depuis mercredi. Le problème, c'est qu'il faut huit heures pour le remplir avec nos pompes, et que nous n'avons pas de carburant pour les faire fonctionner.»
Des palmiers pris d'assaut
Alors, à Delmas, chacun fait comme il peut, avec Dieu pour seul soutien. Mais la piété de chaque instant dont font preuve les Haïtiens ne peut pas tout. Quelques palmiers disséminés entre les baraques éventrées sont pris d'assaut, reliés entre eux par des bâches tendues à la va-vite. Dessous, on vit. On meurt aussi. Ce vieux monsieur a eu la colonne vertébrale brisée par un bloc de pierre. Ses chances de survie sont voisines de zéro. A côté de lui, une fillette laisse apparaitre sa main broyée. Là encore, si la fracture ouverte qu'elle traîne depuis trois jours n'est pas soignée très vite, c'est l'infection qui la guette.
Rue Jean-Georges, une petite artère du bidonville, seules cinq maisons sur une quarantaine ont tenu bon. L'odeur âcre des cadavres en décomposition agresse les vivants. Entre voisins, le macabre décompte des ensevelis hante les conversations. «Ici, au moins dix personnes sont mortes, soupire Simon Richard en montrant ce qui fut la maison de ses voisins. Certains étaient encore vivants dessous, mais maintenant, c'est fini.» «J'ai perdu mes trois enfants et mon mari», énumère Stancia Bedard, une habitante. «Là, c'était chez Mme Gabrielle. Il y a au moins cinq morts, reprend un voisin. Ce que je me demande, c'est si on les sortira un jour.»
On lave des enfants dans le caniveau
A côté, c'est chez Jean Saint-Georges Exhumé. Un nom prédestiné. Ce père de famille a pu sorti sept de ses neuf enfants des décombres. Le crâne rasé, un bambin se fait soigner une plaie superficielle à la tête au milieu de la rue. Alors que de nombreuses petites répliques se font sentir, c'est au milieu de ces petites pistes défoncées que les habitants de Delmas 32 tentent de reprendre un semblant de vie quotidienne. Dans le caniveau, on lave des enfants. A côté, c'est une coiffeuse qui a planté son «échoppe», appliquée à enfiler des bigoudis à une cliente.
«Les prix ont triplé ou quadruplé»
Petit à petit, le commerce reprend également ses droits. La moindre brouette est réquisitionnée. On peut désormais trouver des pâtes ou des sodas. Tout dépend de la taille de son porte-feuille. «Les prix ont triplé ou quadruplé, détaille Pierre Kenzy, une jeune habitant de Delmas. Maintenant, ça va être le règne des profiteurs. Je sais que certains biens commencent déjà à être vendus aux enchères.» Au fil des ruelles, on peut trouver du charbon, ou des sandales en plastique made in China pour les plus petits. Ouvert à tout vent, un cybercafé est toujours debout, totalement fissuré. Personne n'ose y rentrer, sauf cet homme, qui risque sa vie pour récupérer quelques cannettes de Coca-Cola vides.
«Il n'y a plus de bourgeois ! C'est pareil pour tout le monde»
Devant tant de désolation, la plupart des habitants quittent progressivement les lieux. «Tous ceux-là n'ont plus que leur chemise», indique du doigt Simon Richard. Direction les hauteurs de cette colline. Au fur et à mesure que l'on grimpe, Delmas 32 s'estompe, laissant place à des maisons moyenne, puis à un quartier chic noyé sous les bougainvilliers, autour de la rue Marcadieu. «Ici, c'est les bourgeois !» indique Pierre Kenzi. «Mais il n'y a plus de bourgeois, lui rétorque Ina Gachelin, propriétaire d'une maison cossue. Qu'est-ce que vous croyez ? C'est pareil pour tout le monde, nous aussi on vit dehors depuis trois jours.» Sa maison est toujours debout, «mais à force de passer à ras, avec leurs vibrations, les hélicoptères des Nations Unies vont la faire tomber, peste-t-elle. Dites leur de voler plus haut s'il vous plait.»
Pierre Kenzi, lui, n'en démord pas. «Avant le sinistre, elle ne m'aurait jamais parlé. Je n'aurais même pas pu jeter un œil à travers son portail.»
Nicolas Jacquard
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