Haïti: mizik la en dèy… la musique en deuil

J’avais la ferme intention de passer à des sujets plus positifs que ces textes nécrologiques ayant peuplé mon horaire de travail depuis le retour des Fêtes. Hélas, il semble que ce ne soit pas terminé.

En Haïti, le fond du tonneau n’avait pas été encore atteint avant ce mardi, soit avant que cette épouvantable catastrophe naturelle ne pulvérise littéralement Port-au-Prince, une ville que je connais assez bien pour y avoir passé plusieurs semaines à la fin des années 90.

Via Facebook, j’ai réussi à joindre Rémy Jr. Moschino, promoteur du défunt Festival de musique haïtienne de Montréal - sous l’appellation Sakpasé Montréal, sa structure de production a fait faillite, entraînant la mort du Festival de musique haïtienne à Montréal. Qu’à cela ne tienne, Moschino a fondé une nouvelle structure, Innovason, dont l’un des objectifs est de lancer un nouveau festival “beaucoup plus ouvert”.

Mais l’heure n’est pas aux projets. Moschino est branché sur Haïti depuis mardi, on ne cesse de lui confirmer des décès importants dans la communauté musicale haïtienne.

Joubert Charles, considéré comme le plus important promoteur de musique à Port-au-Prince, de surcroît manager de la formation konpa Kreyol La, est mort sous les gravats de sa demeure.



Joubert Charles

Jean-Raymond Leconte, que Moschino estime être le plus accompli des ingénieurs du son dans la capitale, possédait un studio d’enregistrement où plusieurs artistes ou groupes enregistraient leur “meringue carnavalesque” en cette période de l’année - la meringue carnavalesque désigne une chanson populaire que l’on crée annuellement pour les célébrations du Mardi Gras, qui devaient se tenir les 14, 15 et 16 février. Ce studio n’est plus, plusieurs musiciens ont péri dans ses ruines. On attend les confirmations.


Jean-Raymond Leconte

Selon nos sources, King Kino, chanteur du groupe konpa Phantom, serait enseveli sous les décombres d’un hôtel.


King Kino

Ricky Juste, ex-batteur du groupe K-Dans, n’aurait pas succombé au tremblement de terre. Son épouse, elle, a péri.

Protégé du célébrissime Wyclef Jean, le rappeur Jimmy O figure a nombre des disparus, mais son décès n’a pas été confirmé.



Jimmy O

Et qu’est-il advenu des membres des groupes konpa Djakout Mizik, Kreyol La, Nu Look, Krezy Mizik, Mass Konpa ou encore Mizik Mizik et son très doué leader Fabrice Rouzier? Boulo Valcourt, un des grands chanteurs et musiciens de l’île, est-il vivant? Qu’en est-il de son fils Steve Valcourt, également chanteur et guitariste? Quel fut le destin des musiciens de Carimi, résidants new-yorkais de passage à Port-au-Prince pour faire la promotion de leur nouvelle meringue carnavalesque? Du tambourineur Chaba? Des auteurs-compositeurs interprètes Beken et Mikael Benjamin, maintenant à la tête du groupe Mika Ben ? Des artistes hip hop J-Bobee, Barikad Crew ou Rokfam? Des groupes et artistes «rasin» tels Boukman Eksperyans ou le percussionniste Azor?

On a craint un moment pour la vie de l’excellent auteur-compositeur-interprète Bélo, mais il s’est finalement manifesté. Bien en vie, ce très bel espoir de la nouvelle chanson haïtienne pourra participer à la reconstruction du pays. Idem pour Gazman, chanteur de Nu Look qu’on a cru parmi les victimes - il a été joint à Miami ce mercredi.

«Ces dernières semaines, indique en outre Moschino, j’ai aussi constaté à Port-au-Prince la présence de plusieurs DJ étrangers venus s’inspirer des musiques haïtiennes.» Que sont-ils devenus ?

Inutile d’ajouter que les lieux de spectacles de Port-au-Prince ont été fortement endommagés dans la capitale et ses environs: on sait d’ores et déjà que l’hôtel Karibe a été sérieusement touché, on attend des confirmations au sujet de l’Oasis, du Taraz, de l’hôtel Olofson ou du Florville à Kenskoff.

Le guitariste Harold Faustin, l’un des plus brillants compositeurs de jazz antillais, m’a confié avoir tenté en vain de synthoniser les radios de Port-au-Prince via l’internet. “Aucune n’émet”, résume le Montréalais d’origine haïtienne, ajoutant que les studios de Radio Magic auraient été détruits, et s’inquiétant du sort de Radio Métropole qui appartient àla famille Widmaier - qui compte d’ailleurs d’excellents musiciens.

En ce sombre mercredi, Harold Faustin a également causé à Manno Charlemagne, chanteur engagé et ex-maire de Port-au-Prince qui fut jadis le sujet d’un de mes reportages en Haïti. Mizik la en dèy , a conclu son interlocuteur. Drôle de hasard, j’avais contacté Harold (entre autres) pour me traduire cette expression du français au créole.

Effectivement. La musique est en deuil.

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