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jeudi 28 janvier 2010
Les enfants volés d’Haïti
Il est des peuples qui sont nés pour souffrir de la tyrannie des hommes. L’histoire du calvaire du peuple haïtien a commencé avec la conquête du monde par l’Occident chrétien. Lorsque Christophe Colomb accosta pour la première fois le 5 décembre 1492 en Haïti, l’île comptait probablement plusieurs centaines de milliers d’habitants En moins de vingt-cinq ans, les populations indiennes furent décimées par la brutalité de l’esclavage et les maladies importées par les conquérants. La majeure partie des esclaves noirs qui ont été transportés d’Afrique. La traite fut autorisée en 1517 par Charles Quint. Les Espagnols concentrèrent leurs efforts dans la partie orientale de l’île qui recelait encore un peu d’or et abandonnèrent l’ouest. La France ne fut pas en reste, sous l’impulsion de Colbert, Bertrand d’Ogeron est nommé en 1665 pour gérer la colonie. C’est en 1685 que fut édicté le Code noir, une ordonnance de Louis XIV destinée à réglementer le régime de l’esclavage.La révolte des Noirs débuta en août 1791 sous la conduite de leurs chefs. Toussaint Louverture défia Bonaparte qui décida alors l’envoi de l’Expédition de Saint-Domingue, pour y rétablir l’esclavage. Le 7 juin 1802, Toussaint Louverture est arrêté. Louverture est déporté en France, interné au fort de Joux, il mourra des rigueurs du climat et de malnutrition le 7 avril 1803 (..) Bien plus tard, les Américains décidèrent d’occuper militairement Haïti, notamment pour défendre les intérêts de la banque d’affaires américaine Kuhn, Loeb & co. Le 28 juillet 1915 pour occuper le pays jusqu’en 1934. Une nouvelle ingérence occidentale le 29 septembre 1991, Jean- Baptiste Aristide est renversé par une junte militaire dirigée par le général Raoul Cédras, aidé par la CIA et le gouvernement de George Bush. Rétabli par Clinton, il fut destitué par George Bush fils le 29 février 2004 sous la pression de militaires français et de marines américains, avant-garde d’une force internationale envoyée par l’ONU pour ramener l’ordre dans la capitale, la Minustah.
La double mémoire de la France
On le constate, la première République noire n’a jamais été laissé en paix, ballottée entre la pax americana et les Lumières françaises, elle se cherche depuis 206 ans. Pour Louis Cabanes: Le séisme haïtien a un triste mérite: soulever la question de la blessure coloniale française. La mémoire coloniale de la France a toujours été double: la légende «dorée» de l’épopée coloniale, (..) à connotation raciste à peine voilée, d’une part; les drames de la décolonisation et de ses guerres longtemps non reconnues comme telles, avec leurs massacres, tortures et traumatismes pour les populations, colonisés comme colonisateurs contraints à un retour vers une métropole presque toujours devenue terre étrangère, d’autre part.[...] Deux siècles après la rupture irréversible entre Haïti et son ancienne métropole, la fracture n’est toujours pas ressoudée et la mémoire française peine à faire place, dans son vaste patrimoine postcolonial, en Haïti. (...) Le constat reste sévère: la fracture coloniale (..) a pris naissance avec la réaction de Paris face à la rupture unilatérale de 1804. Et elle demeure ouverte depuis maintenant deux siècles.(1)
On comprend, alors, la réaction d’exaspération des Haïtiens à la vue de cette nouvelle «réoccupation» sous couvert d’humanitaire. Les Etats-Unis ont décidé unilatéralement, sans consultation des Nations unies, de s’installer en Haïti. Même l’Europe décide d’envoyer des troupes.. «Pour Berthony Dupont, le peuple haïtien doit prendre la reconstruction du pays en main», exhorte l’éditorialiste de l’hebdomadaire Haïti Liberté. Il dénonce d’une façon très virulente l’hypocrisie des pays occidentaux, qui, selon lui, continuent de coloniser insidieusement l’île. (...) «Il est important de nous organiser, écrit-il, d’engager consciemment et résolument une entreprise historique qui soit une urgence du quotidien pour changer l’avenir du pays. Nous ne sommes pas un "peuple objet", qui n’arrive pas à penser, à s’organiser, voire à diriger son destin national. Une telle perspective est plus que jamais à l’ordre du jour depuis la terrible tragédie qui vient de frapper le pays (le 12 janvier 2010). Nous qui, par nos actes passés, avons montré que nous ne voulions plus être des esclaves des nouveaux colons, nous devrons nous rallier autour des forces progressistes révolutionnaires du pays, même quand elles sont embryonnaires.»
«Haïti vient de compter deux cent six années d’indépendance, et le pays continue à souffrir de tous les maux de l’esclavage et du colonialisme, à la suite de la domination brutale et insidieuse des pays impérialistes. Il est clair que la présence de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti [Minustah] depuis le coup d’Etat de 2004 est là pour rassurer les capitalistes, notamment les Etats-Unis, bastion et principale force du colonialisme contemporain. (...) Les manifestations du 28 juillet 2009 contre l’occupation du pays, celle du 1er janvier 2010 et l’organisation d’une assemblée populaire le 10 janvier 2010, sont des preuves que le peuple haïtien n’est pas un peuple objet. (...) L’horreur - et l’étendue de la destruction sismique - est insupportable, révoltante. Le peuple haïtien, qui a tant souffert ces six dernières années de l’inconscience et de la cupidité de ses dirigeants, ne méritait pas un tel cataclysme. Il va falloir reconstruire, physiquement, une capitale, si ce n’est une bonne partie du pays. Il nous faudra alors énormément de courage et de volonté pour surmonter cette cruelle adversité d’autant que les pays capitalistes exploiteurs des richesses du sous-sol haïtien vont venir hypocritement à notre secours. Non pas que nous rejetions d’un revers de la main leur aide, non, mais nous la voulons fraternelle, désintéressée. Nous souhaitons qu’elle ne soit pas l’occasion rêvée de nous assujettir à leur domination, car nous n’avons que nos mains nues et notre dignité pour reconstruire un pays détruit.»(2)
Comme si cela ne suffisait pas, on apprend qu’un pillage d’enfants est en train de se faire pratiquement d’une façon clandestine. Le drame haïtien nous donne l’opportunité d’intervenir une fois de plus pour rapporter en honnête courtier, les faits qui ont concouru au malheur de Haïti et qui concourent eu égard à une «traite des enfants» qui, sous couvert «d’humanitaire» tente de sauver des enfants par l’adoption par des familles européennes notamment françaises rappelant le triste épisode des mercenaires de l’Arche de Zoé qui ont vu le président de la République aller au Tchad les soustraire contre toute justice, à la justice tchadienne. L’étude suivante nous permet de comprendre mieux que mille discours la solidité des liens au sein de la famille. Le sociologue Camille Kuyu écrit: Fruit de l’héritage historique, la famille haïtienne est, comme la famille africaine, foncièrement communautaire. En 1946, M.L. Van den Berghe écrivait à propos des Noirs dans les Etats du Sud des Etats-Unis: «Ces Nègres que trois générations seulement séparent de l’esclavage officiel...ont conservé de façon incroyable les caractéristiques éternelles de leur race. Leurs cabanes de bois croulantes abritent les mêmes histoires, les mêmes pointes aiguës de rires, une marmaille rieuse, quelques poules étiques et un nombre sensiblement égal de chiens faméliques et galeux. J’ai interrogé cent mamans dans les champs de coton et fait rire autant d’enfants. Le rappel de l’Afrique était hallucinant. Partout, je retrouvais la même joie du présent, une égale insouciance de l’avenir, d’identiques inflexions de voix et jusqu’aux mêmes onomatopées ´´»(3)
La famille haïtienne
Les Négro-Africains des Amériques sont partagés entre la gestion de leurs héritages africains et l’adaptation aux contraintes de leur environnement actuel. «Le concept de parenté», écrit Lévi-Strauss, «doit être saisi à travers la terminologie car le langage est à la fois le fait culturel par excellence et celui par l’intermédiaire duquel toutes les formes de la vie sociale s’établissent et se perpétuent». Les différentes langues ont des termes pour traduire la réalité sous-jacente au concept de parenté.(...) Chez les Beti, l’avuman est l’affirmation de soi, c’est-à-dire le sentiment collectif d’appartenance à telle communauté de destin par solidarité organique et, en même temps, un désir de reconnaissance par les autres. (..) Chez les Mahi du Bénin, le terme mene ou nonvi désignent à la fois les parents, l’appartenance et l’identification à un bien que l’on partage. Chez les Fon du Bénin, la parenté est «le partage par les membres du groupe de ce qu’ils ont en commun». La famille africaine est donc avant tout communautaire et se définit par la notion de partage. Il en est de même pour la famille haïtienne. Elle regroupe d’abord des parents consanguins et par alliance. C’est ce qui ressort de nos enquêtes de terrain: «Les cousins collatéraux et utérins sont considérés comme des frères. Les alliés font aussi partie de la famille. L’ancêtre, c’est-à-dire le plus vieux, est le chef de cette communauté»(3)
«.(...): Il y a en Haïti des personnes qu’on appelle des pakapala, qui sont considérés comme des membres de la famille et qui partagent tous les événements de la famille». «La parenté ne se réduit pas à la famille nucléaire. Même le voisin fait partie de la famille. Il y a encore des endroits en Haïti où les enfants sont les enfants de tous. On peut blâmer un enfant, voire le fouetter, s’il commet une bêtise». La solidarité est une réalité pour les parents, qu’il s’agisse des parents biologiques ou pas. La conception haïtienne de la famille ainsi décrite se reflète dans la composition du ménage qui rappelle, lui aussi, le ménage africain.
Le ménage haïtien comprend non seulement les époux et leurs enfants mineurs, mais aussi tous les parents vivant avec eux sous le même toit. Parmi ces parents, il convient de citer les enfants «adoptés de fait» et les enfants recueillis, dits «restavek». La notion occidentale d’adoption est inconnue dans les coutumes haïtiennes. Il existe une adoption de fait, basée sur la solidarité. L’enfant a alors droit au bien-être, à l’éducation, etc. Mais il garde son nom et ses liens avec sa famille d’origine. Nos interlocuteurs haïtiens nous ont parlé de cette coutume en ces termes: «L’adoption n’est pas connue dans les coutumes haïtiennes. Elle est le fait surtout des étrangers et des Haïtiens de l’extérieur. L’adoption de fait est toutefois courante. On parle de ‘li pran li’. On prend un enfant et on s’en occupe. Cela reste généralement dans le cadre de la famille. Il est des cas où l’on prend des enfants des voisins. Mais c’est rare. La tutelle est ignorée par la coutume.» «La famille haïtienne est toujours liée. La solidarité familiale est toujours une réalité. Souvent, en cas du décès de la mère, une tante peut prendre en charge l’enfant. Car c’est comme si c’était son propre enfant. Il s’agit d’une adoption de fait. On pouvait se passer de l’adoption légale». Le recueil d’enfants dits ‘restavek’ est fréquent. Il s’agit, notamment des enfants des parents pauvres. Certains n’ont même pas d’acte de naissance. Ils sont pris en charge par des familles en échange de travaux ménagers. Ils sont envoyés à l’école le soir. Il arrive que l’enfant soit considéré comme membre de la famille. En définitive, la famille haïtienne épouse encore largement les contours des communautés parentales africaines. (...) Plusieurs siècles après leur déportation en Amérique, des Africains devenus Haïtiens par la force des circonstances sont reconnaissables comme Africains aussi par d’autres traits que leur origine physique. Nos enquêtes en Haïti nous permettent d’affirmer que les héritages africains y sont encore nombreux et vivants.(3)
On ne comprend pas alors, dans ces conditions, le discours occidental qui veut que ce sont des enfants abandonnés ou orphelins ce qui contredit l’extrême force des liens qui lient la famille au sens large et l’esprit de solidarité qui fait que personne n’est laissé sur le bord de la route qu’il soit enfant ou vieillard. Pourtant le scandale des enfants «kidnappés» en catastrophe de Haïti a quelque chose d’obscène. Il rappelle la curée des hyènes qui viennent se repaitre des bêtes blessées.
En l’occurrence, l’anomie la plus totale est constatée à Haïti. Les Haïtiens sont harassés par ce coup du sort. Les «organisations» ne perdent pas leur temps, elles organisent le pillage de la sève haïtienne Le violent séisme du 12 janvier met en lumière le sort des enfants démunis et orphelins d’Haïti. L’Unicef redoute un trafic d’enfants dans le pays ravagé par le séisme considéré comme l’une des pires catastrophes de l’humanité. Pas moins de quinze enfants ont été apparemment volés dans des hôpitaux après le séisme. L’organisation qui redoute un trafic d’enfants dans le pays appelle au gel des adoptions. «Nous avons pour l’instant des informations sur, disons, à peu près 15 enfants ayant disparu d’hôpitaux et cela avec des personnes qui ne sont pas de leur famille», a indiqué Jean-Luc Legrand, conseiller régional de l’Unicef. L’Unicef entend immédiatement mettre en place des procédures d’identification et de réunification rigoureuses de manière à s’assurer que les enfants soient effectivement réunis avec leurs familles et pas avec des prédateurs.(4)
Pour Jean-Jacques Dikongué cela rappelle «l’Arche de Zoé». Ecoutons-le: «L’urgence, une période propice au rapt d’enfants: Haïti sera-t-il le nouveau Tchad? Tout a été détruit sauf les dossiers d’adoption», nous rappellent les médias pour ainsi justifier les arrivées massives d’enfants haïtiens en territoire hexagonal pour ce qui est de la France. En 2007, lorsque l’affaire Arche de Zoé dévoile ses dessous, et qu’il est mis en évidence que cette arche avait pour vocation d’aller extraire des enfants au Tchad et au Soudan au mépris de toutes les règles et des droits des parents qui sont encore là pour extirper des mains de la justice tchadienne les contrevenants. (...) L’Arche de Zoé sort impunie d’un crime et pour cause, il ne s’agit que d’enfants africains qu’on voulait sauver à l’insu du plein gré de leurs parents. (...) Aujourd’hui, les premiers contingents d’enfants arrivent en France, bien sûr, avec toutes les assurances que les procédures d’adoption sont arrivées à leurs termes. (...) Espérons que les Haïtiens ne subissent pas un séisme dans un autre par le vol des enfants que l’on enlève à leurs familles sous le prétexte de l’urgence et de l’humanitaire. (5)
(*) Ecole nationale polytechnique
(*) enp-edu.dz
1.Louis Cabanes: Haïti, l’amnésie d’une colonie française 25.01.2010. Pascal Blanchard Nicolas Bancel La fracture coloniale, Edits La Découverte.2005
2. Berthony Dupont Nous ne voulons plus être un peuple objet 15.01.2010 Haïti Liberté
3.Camille Kuyu: Parenté et famille en Haïti: les héritages africains
http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=3299
4.http://www.maximini.com/fr/haiti/actualite/info-antilles/info_antilles.asp?num=2023722110
5.Jean-Jacques Dikongué
http://www.camer.be/index1.php?art=8676&rub=11:1
Pr Chems Eddine CHITOUR (*)
source
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