mardi 19 janvier 2010

Non ! Dieu n’a pas lâché Haïti. Ce sont les hommes qui ont mis ce pays à genoux.



A la mémoire de mon ami, Jean Rosier Descardes, anthropologue, juriste, avocat à la Cour, enseveli sous des décombres, quelque part à Port-au Prince, le 12 janvier 2010.

La secousse tellurique, suivie de l’effroyable hécatombe qui a frappé Haïti le 12 janvier dernier, a incontestablement donné des idées à certains esprits illuminés. Aussi, prophètes de malheur, prédicateurs et autres visionnaires de mauvais sorts n’ont trouvé mieux que de se livrer à leurs habituelles élucubrations ou supputations naïves, et de pointer du doigt l’auteur présumé de tous les malheurs qui ne cessent de s’abattre depuis la nuit des temps sur le peuple haïtien : Dieu, et…, paradoxalement, son antithèse, le diable.

Pour les uns, c’est « Dieu qui aurait lâché Haïti ». Il pourrait même avoir choisi l’heure de la catastrophe sismique, prétend un prêtre catholique d’origine haïtienne: « Imaginons un peu, dit-il, si c’était arrivé par exemple à 5 heures du matin, les résultats seraient plus catastrophiques. Dans tout ça, on voit, malgré tout, la main de Dieu. Dieu a vraiment un amour spécial pour ce peuple. ». A contrario, d’autres, à l’instar du télévangéliste américain Pat Robertson (ex-candidat à la présidentielle aux Etats-Unis), voient dans ce drame haïtien, l’influence du diable, en vertu d’un pacte que les Haïtiens auraient signé avec ce dernier, pour les libérer de la colonisation française il ya deux siècles : « ils ont promis (au diable) : nous te servirons si tu nous délivres de la domination française. C’est une histoire vraie. Et le diable a répondu : ok, accord conclu. Depuis cette période, ils sont frappés par des malédictions successives. ».

En réalité, ce n’est pas la première fois que l’on convoque la religion pour justifier le sort d’Haïti, que certains individus, en fonction de leurs croyances, considèrent comme relevant d’une « malédiction » ou « d’une punition divine ». D’autres iront jusqu’à remettre en question l’indépendance de la Première République noire, conquise de hautes luttes, en 1804, au motif que son émancipation précoce serait entachée de malédiction, et par conséquent, source de tous les maux séculaires de ce pays, pudiquement classé parmi l’un des plus pauvres de l’hémisphère nord, sinon de la planète. Encore une fois, les références bibliques vont servir d’arguments aux adeptes invétérés des causalités originelles : « les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers », concèdent ces oiseaux de mauvais augure.

En somme, cela reviendrait à se demander si ça valait vraiment la peine qu’Haïti s’émancipe trop tôt pour se retrouver à postériori dans la situation actuelle qui le condamne à être le dernier des derniers.

Nous laisserons à tous ceux qui imputent cyniquement ou naïvement le drame haïtien à Dieu ou au diable, la liberté de leurs opinions et convictions religieuses.

Cependant une question que ces derniers passent sous silence: et les hommes dans tout ça ? Faut-il les dédouaner à si bon compte, et rejeter tout sur la Nature, Dieu, ou le diable ?

Non ! Haïti n’est pas damné par la Nature, mais ce sont plutôt les hommes qui l’ont condamné par leur cynisme, leur égoïsme et leur appétit insatiable, avant que les aléas de la géologie ne viennent parachever, ce 12 janvier 2010, l’infamie de tous ceux qui versent aujourd’hui des larmes de crocodile sur sa dépouille.

Intervenant comme un coup de grâce, cette catastrophe naturelle n’a fait que décupler les nombreuses catastrophes initialement générées par les humains. C’est dire qu’en premier ressort, ces derniers ont plus causé de tort à ce pays en 200 ans, que la Nature, en une minute de secousse tellurique.

Rappelons ici que d’autres pays (Cuba, Japon, USA…) ont connu par le passé, ou sont régulièrement victimes de catastrophes équivalentes, parfois pires. Mais s’ils ont pu y faire face, c’est parce qu’ à l’opposé d’Haïti, pays démuni en tous points de vue et surtout exsangue, ils se sont donné les moyens matériels, financiers et techniques pour prévenir, ou le cas échéant, amoindrir les conséquences périlleuses des secousses telluriques.

Pour l’instant, Haïti pleure et enterre ses enfants. Il est une coutume africaine qui veut que toute polémique soit mise en sourdine pendant que le cadavre est encore tout chaud. Car, s’il y a un temps pour pleurer, il ya un autre pour demander des comptes.
Mais, le moment venu, tous ceux qui ont mis Haïti à genoux - autochtones et allochtones-devront répondre un jour de leur crime envers Haïti devant le tribunal de l’Histoire, et rendre des comptes au peuple haïtien, singulièrement :

Pour avoir maintenu Haïti dans une la paupérisation accrue l’obligeant à s’endetter- à hauteur de 21 milliards de dollars actuels auprès des grandes banques occidentales, afin d’indemniser les 40 000 propriétaires esclavagistes de Saint –Domingue, lors de la proclamation de son l’indépendance en 1804.

* Pour avoir mis sous coupe réglée, et enserré sous les fourches caudines des institutions financières, un peuple entier, l’étranglant par une politique néolibérale qui le contraignit à payer une odieuse dette dont il n’a jamais vu la couleur de l’argent prêté.

* Pour avoir transformé le peuple haïtien en mendiants des couloirs de la diplomatie internationale, le cantonnant outrageusement dans une situation infrahumaine aggravée par la famine, l’analphabétisme, la violence, et l’exil du tiers de la population.

* Pour avoir soutenu, encouragé et protégé des dirigeants haïtiens kleptomanes, cyniques, et de surcroît, prédateurs impénitents de leur peuple pendant plusieurs décennies

* Pour avoir délibérément institué une ploutocratie à visage inhumain, permettant à 1% d’entre elle de contrôler plus de 50% des maigres ressources d’Haïti.

Mais, pour l’heure, il est question de solidarité envers le peuple haïtien. Evidemment, il n’est pas question de mépriser les aides d’où qu’elles viennent, ni de diaboliser les milliards de dollars sous lesquels croule Haïti depuis une semaine ; une manne financière provenant surtout de ceux qui hier, pyromanes et affameurs de ce peuple, s’improvisent aujourd’hui ses pompiers. Comble de cynisme ou hommage du vice à la vertu ? Jean-Claude Duvalier (alias Bébé Doc), ex-dictateur haïtien réfugié en Europe, se propose d’aider son pays meurtri en débloquant des millions de dollars sur son compte en Suisse. Ce n’est un secret pour personne que ces sommes abyssales (900 millions de dollars au bas mot) ont été volées au peuple haïtien par la famille Duvalier pendant 29 années de règne de père en fils.

Par ailleurs, comment expliquer que toute cette masse d’argent qu’on déverse aujourd’hui, aussi « généreusement » sur Haïti, n’ait pas été mise à sa disposition depuis toutes ces années, afin de lui permettre de réduire sa pauvreté endémique ?

Mais, l’exemple irakien étant présent dans tous les esprits, il faut espérer que cette générosité spontanée ne soit pas un prétexte de plus, pour le partage du « gâteau » Haïti par les grandes entreprises occidentales, et surtout étasuniennes, obligeant à nouveau ce pays à s’endetter pour longtemps. Il faut encore espérer que les Etats-Unis qui ont une longue tradition d’occupation d’Haïti ne saisissent cette occasion dramatique pour réinvestir l’ancienne « perle des Caraïbes ».

Or, il est évident que meilleure façon de venir durablement en aide à Haïti est avant tout, de doter ce pays d’institutions politiques crédibles et honnêtes, d’infrastructures économiques et socio-sanitaires efficaces et pérennes, en permettant surtout aux Haïtiens de prendre en main leur destin sans ingérence étrangère.

Jusqu’à quand continuera t- on, à la moindre catastrophe naturelle d’accourir au chevet d’Haïti en le maintenant sous perfusion internationale ?

Dans ces moments douloureux pour Haïti, j’ai très mal à mon Afrique à défaut d’en avoir honte.
Où se trouve la « mère Afrique » pendant que ses enfants pleurent, gémissent à Port-au -Prince, Léôgane, Jacmel , Jérémie,…Où est-elle pendant que presque toutes les nations, petites, moyennes et grandes se pressent dans les Caraïbes ?

En Haïti, c’est une partie de nous-mêmes qui est éplorée et, au –delà de notre solidarité naturelle, il s’agit pour nous, d’un impératif devoir de mémoire envers les descendants de Gagniwou Gahoussou (arrière-grand père dahoméen du grand Toussaint Louverture) issu de la famille royale d’Allada.

Mais comme d’habitude, se contentant de simples formules de convenance diplomatique de « sincères condoléances », l’Afrique brille par son absence en Haïti. Et ce n’est pas la proposition aussi farfelue que fantaisiste du Président sénégalais Abdoulaye Wade - se prenant pour Marcus Garvey - de transférer les survivants haïtiens en Afrique qui dédouanera les despotes qui nous gouvernent.

Mais, rien d’étonnant à cette démission et carence de nos dirigeants africains qui ont en partage avec leurs homologues haïtiens, le mépris, l’humiliation, l’exploitation et le pillage de leurs peuples.

Le peu de dignité qui reste encore aux dictateurs africains doit les conduire à rapatrier des banques suisses, les colossales sommes extorquées à leurs propres peuples, afin de soulager les peines de nos frères Haïtiens. Les sociétés civiles ainsi que plusieurs associations africaines (médecins, infirmiers, ingénieurs…) sont mobilisées et ne demandent qu’une aide logistique pour se rendre en Haïti. Les panafricanistes doivent faire pression sur leurs dirigeants pour qu’ils mettent à disposition les avions présidentiels achetés à prix d’or, mais cloués au sol, et qui servent dans le pire des cas à transporter femmes, enfants et maîtresses, pour des voyages d’agrément en Europe ou aux Etats-Unis.

Pour ma part, je n’ai jamais désespéré du peuple haïtien, ce peuple travailleur, imaginatif et créateur, qui recèle de multiples talents de par le monde. Haïti va se reconstruire tôt ou tard. Ce peuple historique qui revient de loin en a vu d’autres. Haïti ne disparaîtra pas. Tombé aujourd’hui, ce pays où la Négritude se mit debout pour la première fois, selon Aimé Césaire, sait mieux que quiconque qu’il n’est pas vrai que l’œuvre de l’homme est terminée.

A condition qu’après cette apocalyptique journée du 12 janvier, rien ne soit plus comme avant, et qu’au lieu d’être considérée comme une « punition divine », cette tragédie soit l’opportunité d’un grand défi et d’un nouveau départ pour Haïti chéri.

Espérons que les Haïtiens de l’intérieur, comme ceux de la diaspora saisiront justement cette opportunité pour reconsidérer, d’abord, leur rapport à eux-mêmes, ensuite, à leur environnement, à leurs compatriotes, et enfin à la gestion de la chose politique, afin qu’Haïti renaisse de ses cendres et retrouve la voie de la dignité, de l’honneur et du respect tracée par ses pères fondateurs, telle qu’inaugurée par Toussaint Louverture, il y a deux siècles.


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Pierre Lawoetey AJAVON est Docteur 3ème cycle en Ethnologie, et Docteur d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines (Anthropologie des Sociétés Orales). Enseignant-chercheur en Histoire et en Anthropologie, il est auteur de plusieurs articles dans des revues spécialisées.
Son dernier ouvrage « Traite et esclavage des Noirs, quelle responsabilité africaine ? » est paru aux éditions Ménaibuc à Paris en 2005.



Pierre Lawoetey AJAVON
lawoetey@voila.fr

Janvier 2010

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