mardi 9 mars 2010

CARNET DE BORD À HAÏTI PAR LYONEL TROUILLOT 13


La presse écrite recommence timidement à fonctionner

La presse écrite recommence timidement à fonctionner. Déjà, il y a quelques semaines, un numéro spécial du quotidien Le Nouvelliste s'arrachait dans les rues. En ce début de semaine, on peut lire un numéro de la version hebdomadaire du Matin ... imprimé en République dominicaine. Les presses ont été affectées, et cela va être dur pour les deux quotidiens haïtiens de reprendre. Quant aux relations entre Haïti et la République dominicaine, elles sont, sur le plan économique, nettement en faveur de la RD, mais de nombreux Haïtiens sont surpris de la réaction de solidarité venue de l'autre côté de la frontière.

Dans certains camps, des divisions s'établissent, comme si, même dans l'exception, on reproduisait les vieilles normes anormales. Il y a des quartiers, dans certains camps, avec des dénominations qui rappellent la vie d'avant : Pétion-Ville et Cité Soleil. Il y a aussi des camps très pauvres, dont on parle peu... Plastique transparent et débris pour constituer des abris. Au moins un, vers le nord de Port-au-Prince. Certaines compagnies locales ou installées à Haïti multiplient les dons. Parmi elles, des compagnies de téléphonie mobile. Elles font quand même partie du groupe d'entreprises qui réalisent le plus de profit à Haïti. Elles ont même depuis longtemps contribué au délabrement de la compagnie d'État, la Teleco, qui n'est plus qu'un fantôme. Que dis-je ? Elle n'appartient plus à l'État, l'une des priorités du gouvernement était de la vendre. Il l'a vendue, et elle a été achetée, au moins en partie, par une entreprise privée, étrangère.

La saison cyclonique sera bien pourvue. Comme si on avait besoin de ça.

Haute intensité de main-d'oeuvre. Dans de nombreuses rues, tee-shirts jaunes, opération balayage. Ils sont nombreux sur des superficies pas très grandes. Et il y a beaucoup d'autres lieux où rien ne se passe. Les débris sont à la même place. Rien n'a bougé depuis que la Terre a fait tomber des maisons. En passant près des décombres, des restes d'odeur de mort, comme pour ne pas oublier qu'il y avait autrefois des vivants dans ces lieux, et que la chair pourrit. Dans les rues de Port-au-Prince, les fous. Du côté de l'ambassade de France, une femme a pris l'habitude de se laver dans la rue. Au haut de Delmas*, un homme à demi nu traverse la rue, casseroles et antennes, voyageant sans doute dans un vaisseau imaginaire. Le séisme a sorti les fous des asiles psychiatriques et il a créé de nouveaux traumatismes qui font peur et sourire.

La question de l'aide aux villes qui ont reçu le gros des citoyens ayant fui Port-au-Prince ne fait pas la une de l'actualité. On en parle, mais pas assez. Car il faudra bien qu'ils mangent, qu'ils soient logés, qu'ils reçoivent des soins, tous ces gens qui se retrouvent soudain à Jérémie ou dans le Plateau central. Affluence d'étudiants dans les ambassades, en quête de bourses. Les universités privées, comme l'université d'État, ne sont pas encore en état de fonctionner. Il y a des réunions, des plans, mais les étudiants ont peur. L'année est probablement perdue. Il ne faudrait pas que l'avenir le soit aussi. Alors, ils cherchent, guettent. Un appel à l'aide dont on ne mesure peut-être pas l'ampleur. La République n'a déjà pas assez de cadres. La seule exigence qu'on devrait leur faire est une garantie qu'ils retourneront mettre au service de leur pays ce qu'ils auront appris.

Les pluies. Belle avance sur la saison. Et l'annonce que la saison cyclonique sera bien pourvue. Comme si on avait besoin de ça, en plus du reste. Dans le désordre, des actions sérieuses et ponctuelles. Discrètement, Sean Penn et un groupe mènent une action rigoureuse en faveur des sinistrés. Voeu de silence ? Il y a d'autres actions de ce type qui sont louables. Mais le gros semble désormais s'orienter vers la reconstruction. Beaucoup de projets, d'initiatives dans ce sens, où se côtoient l'appât du gain et la volonté de bien faire, d'aider vraiment. En ces premiers mois de l'après, Haïti est devenue l'un des hauts lieux de combat entre le pire et le meilleur, le vice et la vertu, la cupidité et la fraternité.

* Arrondissement de Port-au-Prince
http://www.lepoint.fr/culture/2010-03-09/carnet-de-bord-a-haiti-par-lyonel-trouillot-13-la-presse-ecrite-recommence-timidement-a-fonctionner/249/0/431691

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