Je suis né ici et toi là-bas
Je suis né sous un soleil chaud
Et toi sous un soleil froid
Nos chemins se sont croisés
Aujourd’hui
Tu vis où je suis né,
Je vis où tu es née
Et nous avons inversé les chemins
Mais je te raconte
je partage pour que tu saches !
J’ai connu le temps d’enfance,
Le rythme de ses passions.
J’ai flâné le long de la rivière
Juste avant l’heure de la prière
J’ai fait monter haut dans le ciel
Mon cerf-volant
Il a dépassé l’arc-en-ciel
J’allais dans les bois
Chercher les goyaves
J’ai volé les cocos-befs
Et j’aimais faire ruisseler
Entre mes doigts d’enfant
L’eau de pluie.
Quand arrivait le dimanche
J’allais à la messe et à la confesse
J’écoutais le curé faire son prêche
Le mardi j’allais avec ma tante au temple
Je n’aimais pas ce Dieu bossu et cornu
Qu’ils adoraient, il ressemblait au diable
Je n’aimais pas qu’ils m’imposent les mains
Ni que je devais psalmodier des monosyllabes
J’aimais le mercredi car je chantais dans la chorale
De l’église adventiste, et j’étais amoureux…
Je me fiançais à Odile, à Octavia, puis à Maryline
J’ai vu dans le soir les lucioles
Eclairer leur âme
Et ma mère me lisait la carte du ciel
Lors de nuits sublimes.
Je rêvais en silence des étoiles
J’entendais des voix dans la nuit
« les morts nuisent aux vivants »
J’ai côtoyé les mauvais esprits
Mais j’en étais prémuni
On a volé ma magie
Je les ai maudits
J’ai haï le jappement lugubre
De ces chiens dans la nuit.
J’ai joué à des jeux d’enfants
J’ai ri en toute innocence
J’ai grandi pour un essor mesuré
Fait des rêves qui se réfléchissaient
Sur ma candeur, j’étais ailleurs
Et je fus solitaire, même déjà là.
J’ai rêvé du pays aux quatre saisons
Sur mon abécédaire j’ai vu la neige tomber
La grêle chuter du ciel et tout fracasser
J’ai vu le vent pousser les gens dans la rue
Et en hiver se réchauffer auprès de la cheminée
J’ai aussi vu les arbres verdir avec l’arrivée du printemps
J’ai vu les arbres porter leurs fruits en été
Et la terre s’éteindre en hiver.
J’ai rêvé de ce pays aux belles images sur mon abécédaire
Et, j'ai vu les saisons défiler…
Puis, je suis parti à la rencontre de ton pays,
Ce jour augural où je fus dépecé
Et où je palissais à me sentir.
Il fallait me voir débarquer de l'avion avec ma chemise cintrée,
Mon pantalon patte d’éléphant et mes chaussures pingouins
J’étais beau et à la mode
Mais en arrivant ici, en y repensant je devais être ridicule
Un petit négrillon débarquant de sa jungle
J’étais beau, mais personne ne me regardait
J’étais devenu transparent
Il ne voyait pas le nègre que j'étais,
Ce fut mon premier contact avec l'altérité, avec l'autre, avec cette terre aux quatre saisons, et ce fut un jour sombre dans ce ciel gris, des maisons des tours, du béton, des avenues...
Je cherchais l'arbre, quelque chose à quoi me raccrocher, je quittais mon île aux deux saisons, et je foulais l'enfer. Rien ne paraissait beau, tout était froid et vide, les gens tristes, le regard terne, non, je suis mort ce jour là ! Mes parents m'ont tué, ils m'ont coupé mes racines, séparé de mon premier amour, de mes premiers baisers consentis et non volés, de mes premiers malélivés offerts et non achetés ou forcés. Ils ont coupé mes branches.
Et je me suis retrouvé balayé par ce vent froid, cloîtré dans un studio du 15 e arrondissement, j'ai échappé au taudis, là où l’on enfermait les nôtres, et dans ce quartier nous étions les seuls noirs, et je cherchais des yeux, saluais dès que je voyais un au Felix Potin.
J’ai connu le mépris dans leur regard
J’ai vu des parents qui ont empêché leurs enfants de jouer avec moi.
Même dans le square, je jouais seul avec mon ballon.
C'était mon compagnon et mon ami, puis j'avais mes livres.
Je me plongeais dans mes encyclopédies. Je dépassais le big-bang.
Je reformulais les théories : l'univers connu n'est qu'un atome, d'une cellule, il fait parti de quelque chose de plus grand que lui. Je contestais les théories…
En fait, j’avais mes livres, un ballon et mon esprit pour vivre avec moi et je devais me suffire dans ce pays sans repère. Je n’avais plus mes longues promenades dans les bois à aller chercher les goyaves, plus de ciriques à pêcher, je n’avais plus mes jeux d’enfants.
Evariste Zephyrin
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