dimanche 28 mars 2010

Wilson Bigaud s'en est allé



Wilson Bigaud était l'un des derniers survivants de l'exaltante expérience de création artistique du Centre d'Art, fondé en 1944 par l'américain Dewitt Peters, principal artisan de la formation et de l'émergence des premiers grands plasticiens haïtiens. Avec sa mort, la peinture haitienne perd l'un de ses plus grands représentants, alors qu'elle était déjà orpheline d'autres grosses pointures internationalement connues. Resplendissants de réussite, André Pierre, Gesner Armand, Néhémy Jean, Louisiane St-Fleurant et Alix Roy (victime du tremblement de terre) sont décédés ces dernières années.

Haïti: Le célèbre artiste Wilson Bigaud, 85 ans, l'un des maîtres de la peinture haïtienne, est décédé des suites d'un malaise, le lundi 22 mars 2010, aux premières heures dans sa résidence de Vialet, une section communale de Petit-Goâve (68 km au sud-ouest de Port-au-Prince).Opéré des yeux et souffrant d'hémorroïdes, il avait dû cesser de peindre depuis l'été dernier.

Le créateur était dans la fleur de l'âge et à peine remis d'une maladie l'ayant mentalement affecté, lorsqu'il avait définitivement abandonné son Port-au-Prince natal pour s'installer à Petit-Goâve. Dans la tranquille localité de Vialet, il a passé les 55 dernières années de sa vie.

En 1945, âgé de dix-sept ans, il est l'un des premiers à s'inscrire au Centre d'Art qui vient d'ouvrir, et il commence à peindre sous la direction du professeur Borno. Tout de suite, il devient un chef de file de cette jeune peinture haïtienne qui s'affirme et, à l'égal de Hector Hyppolite, Philomé et Sénèque Obin, Préfète Duffaut, Castera Bazile, etc..., il contribue au renom croissant de l'art haïtien à l'étranger.

Le nom de Wilson Bigaud, qui naquit le 29 janvier 1931 à Port-au-Prince, restera pour toujours intimement associé à la cathédrale de Sainte-Trinité, à Port-au-Prince. Avec d'illustres contemporains, comme Castera Bazile et Rigaud Benoît, il réalisa, en effet, les impressionnates fresques murales de l'église anglicane détruite par le séisme du 12 janvier dernier.

Il obtient trois premiers prix dans le cadre d'expositions organisées par le Centre d'Art et le Foyer des Arts Plastiques. Sa toile intitulée "Paradis" remporte le deuxième prix en 1950, lors d'une exposition internationale à Washington. Ce tableau est actuellement la propriété du Modern Art Museum de New York. Pour des raisons de santé, il cesse néanmoins de peindre pendant plus de dix ans, jusqu'en 1962...

Pour certains, Wilson Bigaud n'est qu'un passé que l'on retrouve dans les salons huppés de Pétion-ville, au Musée d'Art Moderne à New York, au Musée d'Art Haïtien du Champ de Mars et dans les grandes collections étrangères; passé jonché de "paradis terrestres", "d'enfers", de "jardins merveilleux" et d'autres sujets considérés comme typiques de l'art naïf pictural haïtien. Si dans ce domaine il n'a rien à envier à un Jasmin Joseph, Philippe Auguste, André Normil, c'est pourtant grâce à ses peintures décrivant la vie de tous les jours qu'il passera à la postérité, à sa chaleur aussi, à son humour et à son exubérance qui font qu'Haïti est unique dans la Caraïbe. On sent chez lui l'amour charnel de sa patrie et de ses frères. Doté d'un talent remarquable, il est aussi cet observateur impartial à qui ne peuvent échapper l'ironie et la saveur des tribulations de la vie quotidienne.



Wilson Bigaud, c'est une encyclopédie de la vie haïtienne. Tout est passé en revue. Minutieusement. Dans une cinquantaine d'années, c'est très certainement dans ses toiles de Bigaud que l'on retrouvera l'Haïti de notre époque: enjouée et dramatique, simple et dure, déroutante, inconsolable et contrastée. Son oeuvre est une fresque magistrale et saisissante, une chronique savoureuse qui évoque tour à tour la campagne et la ville. C'est le témoignage attentif et sincère d'un artiste lucide qui regarde vivre en laissant vivre, qui nous raconte son pays, tantôt en paysan, tantôt en citadin, mais toujours en toute simplicité:

* la végétation tropicale, la faune, la culture des champs, le déboisement, la konbit et le repas en commun;
*
lakay payzan, les villages, les villes, la marchande d'oranges, de griots, le spéculateur de café, le boutiquier, le cireur de souliers;
*
les ravages du transistor en province, les installations électriques et hydrauliques dans les rues, dans les maisons;
*
les bienfaits du ventilateur électrique, du réfrigérateur à kérosène, de la lampe à gaz, les tèt bobèch et les lampes à huile;
*
la pêche, la chasse, la plage, l'étal du boucher, l'abattoir, le dispensaire, l'église, les bars, les bals, les bagarres, l'hôpital, les bordels, les parties de dés, de cartes, les fêtes paroissiales;
*
le curé, le gendarme, le houngan, l'autorité, les protestants, les francs-maçons, les trembleurs, le humfort, les Témoins de Jéhova, l'initiation des hounsis, le baptême, la première communion, le mariage, le mariage gâté, le mariage en voiture, à pied, à cheval;
*
les lavandières, les tafiateurs, les amis, les bourgeois, les mendiants, les chiens, les avions, le port;
*
les ânes, le carnaval, le Palais National, les rues, la danse, les marchés, les jeux des enfants, les cabris, les tchoul, les maoulés;
*
la Fête-Dieu, la visite au Houngan, le débit de clairin, l'arrestation des voleurs, la veillée funèbre, l'enterrement, le chant du coq, la gaguère, le joueur de banjo, les souris et les rats;
*
les petits matins, la préparation de la cassave, les raras, les tambours et les vaccines;
* la souffrance, la laideur, la misère, les richesses, la vanité et la vanité des choses, la beauté et la joie.


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