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jeudi 22 juillet 2010
Lettre de René Depestre...
Lézignan, vendredi 2 juillet 2010
Monsieur Lélio Brun
Le village/Barbazan
Cher Lélio,
Voici les petits textes que j’ai écrits dans les derniers temps sur Haïti. C’est un modeste apport à la réflexion que suscite l’après-séisme. De nombreux intellectuels d’Haïti ont donné leur opinion sur la refondation de la société haïtienne. Leur parole, hélas ! ne trouve pas de relais dans le personnel politique. Aucun signe de renouvellement n’apparaît dans la conduite des gens au pouvoir. On est bien loin du sursaut collectif qu’on attendait. Lyonel Trouillot fait état d’un processus d’ONGénisation de la vie sociale. Haïti échappe de justesse à la mise sous tutelle de l’ONU- du G 20 ou du F.M.I, pour tomber corps et âme sous la dépendance brouillonne et chaotique des ONG qui en nombre considérable- s’activent à son chevet…
Les ONG les plus importantes ont fait leurs preuves dans les sociétés en détresse. Elles préparent la société civile internationale de demain. Leur civisme mondial est appelé, face aux dérives de la mondialisation, à servir de support démocratique à un dessein de civilisation qui serait commun à la mondialité de la condition humaine. C’est dire à quel point la créativité des ONG peut être bienfaisante en Haïti où se trouve aujourd’hui sa plus forte densité au kilomètre carré du monde. Autant ce record peut engendrer des effets délétères à défaut d’une politique concertée de coordination des initiatives de ces associations d’aide humanitaire.
Donc, plus que jamais, Haïti a besoin d’avoir à sa direction un Etat de droit et une société civile capables de coordonner l’action désordonnée des ONG. Il y a urgence à la naturaliser en l’intégrant intelligemment à l’effort de refondation des infrastructures, des institutions, des mentalités. Un Conseil général des ONG s’avère indispensable sous le leadership d’un président et d’un parlement haïtiens démocratiquement élus. Sans être un pouvoir légal de tutelle ou de protectorat, l’activité des ONG, privée de toute autorité nationale de coordination , instaure chaotiquement en Haïti un fourre-tout institutionnel qui aggrave l’état de dépendance sous-développante qui caractérise le parcours historique de la société haïtienne.
Ceci dit, il faut voir comme un atout exceptionnel, même pléthorique, la présence d’associations compétentes et généreuses, qui s’efforcent de remédier à la vulnérabilité structurelle des institutions d’Haïti. Un deuxième atout, de façon décisive, s’ajoute au précédent. L’existence, à défaut d’Etat-nation et de souveraineté nationale en bonne et due forme, d’une nation-culturelle-debout, avec la chance de pouvoir compter sur une double force de création : l’intelligentsia du dedans , et celle du dehors, une diaspora bien intégrée à de puissantes sociétés civiles du Nord (U.S.A, Canada, France, l’occident européen…). Les travaux de cette double intelligentsia, dans l’aventure de la refondation d’Haïti, sont en mesure de rendre intelligibles les complexités et les étrangetés de l’histoire des Haïtiens. En peinture, en littérature, par le cinéma, la musique, la danse, il y a moyen de mettre les spécificités d’Haïti en harmonie avec les grands mouvements existentiels de la planète. Le vouloir –vivre- collectif contre vents et marées, contre dictatures et séismes, satrapies « macoutiques » et « chimères » des temps de la zombification, un vivre-ensemble-jamais-vu-à-l’haïtienne peut ouvrir un horizon d’équilibre démocratique, de civilité, de bien être collectif, dans son rapport à l’ubiquité culturelle croissante des sociétés civiles du monde. A travers l’optimisme de ces mots, j’ai conscience de placer très haut la barre du renouveau sans précédent des esprits et des sensibilités que je souhaite aux Haïtiens.
Je te laisse imaginer combien j’enrage- dans le vieil âge d’homme- de ne pouvoir porter ma voix, en créole, sous les tentes et dans les autres lieux de désolation et de solitude que l’après-séisme fait dramatiquement au peuple d’Haïti.
Un abrazo affectueux de ton vieil ami,
René Depestre
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