mercredi 12 janvier 2011

Haïti: La reconstruction prendra dix ans

Un an après le séisme qui a fait plus de 200 000 morts et 1,5 million de sinistrés en Haïti, l’heure est au bilan qui paraît décevant au regard des efforts de chacun. L’heure est aussi à la détermination de priorités, afin que 2011 soit le début d’une ère nouvelle pour l’ancienne perle des Antilles.
 
Lucie Dancoing - Parismatch.com


Le 12 janvier 2010, à 16 heures 53 minutes, heure locale, la faille Enriquillo-Plaintain Garden s’est réveillée, pour la première fois depuis 240 ans, provoquant un séisme de magnitude 7,3 sur l’échelle de Richter en Haïti. Durant 45 petites secondes, la terre a tremblé. Bilan: 222 570 tués, 300 572 blessés, selon le bilan de l’ONU, et un million et demi de déplacés qui vivent encore sous des tentes, dont 700 000 dans la capitale Port-au-Prince. Parmi les édifices anéantis, treize ministères (tous sauf un) et le palais présidentiel, tuant des milliers de fonctionnaires parmi les victimes. En moins d’une minute, l’île caribéenne a perdu l’équivalent de 15 mois de PIB, selon une estimation de la «Revue humanitaire», qui a additionné le coût des dégâts à la perte d’activité. Outre les dégâts matériels et humains effroyables, le séisme a frappé au cœur un pays déjà fragile institutionnellement, pauvre –le plus pauvre du continent américain- et déjà attelé à réparer les dégâts de ces précédentes catastrophes, dont la dernière en date: les cyclones de 2008, qui avaient détruit 100 000 maisons, laissé 800 000 sans-abri et provoqué de violentes émeutes de la faim.

Ce mercredi, cela fait donc précisément un an que ce terrible tremblement de terre a eu lieu, suivi d’une épidémie de choléra et de manifestations post-électorales –un scrutin dont les résultats définitifs n’ont toujours pas été proclamés. Le pays peine à se relever. Les Haïtiens survivent grâce à l’aide extérieure des ONG, des agences des Nations unies, des collectivités locales, et des dons, mais son paysage ressemble encore à celui que le séisme a laissé. Le million et demi de sinistrés vit toujours dans les petites tentes qui jonchent les rues de la capitale, voire dans des abris de fortune «en dur» construits à la hâte par les habitants qui s’impatientaient de l’avancement de la reconstruction. Vingt millions de mètres cubes de gravats sont débarrassés au jour le jour, majoritairement à la main, par les habitants. «Port-au-Prince n’est plus une ville, c’est un immense bidonville, témoigne Francis, un habitant du quartier Carrefour-Feuille, dont les propos sont rapportés par Médecins du Monde (MdM). Le séisme, les hommes politiques, le choléra, on vit à travers l’enfer ici.»

10 milliards de dollars de promesses de dons… pas tenues

Au lendemain de la catastrophe, pas moins d’un millier d’ONG plus ou moins recensées, beaucoup d’organisations confessionnelles (Haïti compte plus de 400 Eglises enregistrées) se sont précipitées pour venir au secours de la population. Six mois plus tard, les ONG étaient encore «plus de 350 en activité sur le site, dont soixante seulement enregistrées auprès des autorités locales et agissant plus ou moins en coordination avec elles», selon la «Revue Humanitaire». Pour autant, les humanitaires sont débordés et retardés par chaque nouvelle urgence qui s’impose; et la reconstruction tant espérée semble trop loin pour être vraie. En mars dernier, la conférence de New York par les bailleurs internationaux et les Etats membres des Nations unies avait abouti à 10 milliards de dollars de promesses de dons, dont 5,3 milliards dans les deux ans. Un succès puisque le Plan d’action pour le relèvement et le développement national (PNDA) avait évalué les besoins d’Haïti à 11 milliards de dollars. Finalement, seules quelques centaines de millions ont été décaissés. Avec les dons privés, le séisme a généré une manne d’urgence de 3 milliards de dollars, dont au moins les deux tiers dépensés la première année. Les ONG accusent les Etats et Institutions de ne pas avoir tenu leurs promesses, et ceux-ci s’en défendent. «Si les promesses faites en matière de reconstruction ne sont pas tenues, on peut imaginer, sans trop se tromper, ce qu’il adviendra demain: un second séisme, celui-ci économique et social, craint MdM. A chaque nouvelle catastrophe qui frappera le pays, seules des réponses ponctuelles et prises dans l’urgence seront apportées et le séisme du 12 janvier n’aura été qu’une tragédie de plus dans l’histoire d’Haïti.»

Des accusations totalement récusées par Niels Scott, office de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, qui a souligné qu’il était «contreproductif de dire que rien n’a été fait». «4 300 000 personnes ont reçu de la nourriture, 90% de la population a accès aux institutions de santé publiques, 1 200 000 personnes ont reçu de l’eau au quotidien», a-t-il argué, parmi d’autres chiffres, lors d’une conférence de presse organisée à la Mairie de Paris. De même, Pierre Duquesne, ambassadeur chargé des questions économiques, de la reconstruction et du développement au ministère des Affaires étrangères et européennes (MAE), a lancé lors de cette conférence: «La communauté internationale est au Rendez-vous.» Détaillant précisément les fonds versés, les dettes annulées et autres subtilités financières, Pierre Duquesne en est arrivé à la conclusion qu’un milliard quatre-cents millions de dollars ont été effectivement versés en 2010. «A l’échelle du PIB, cela reviendrait à 400 milliards de dollars pour la France. Cela me paraît conforme aux capacités» d’Haïti d’engranger de l’argent, a-t-il estimé. «Plus aurait été gâché.» En outre, l’ambassadeur a fait valoir que la reconstruction de première priorité n’était pas physique mais institutionnelle. «Le séisme n’aurait pas dû faire autant de dégâts s’il y avait eu moins de problèmes de fond» sur l’île. «La faille sismique a révélé les failles structurelles» de l’Etat, a-t-il poursuivi. Selon lui, il est important d’accepter l’idée que «la reconstruction prendra au moins 10 ans», citant pour exemple l’après-Tsunami en Indonésie, qui a pris «4-5 ans» alors que le pays avait «un Etat stable». Enfin, il a rappelé d’autres mesures non-négligeables et pas directement liées à la reconstruction physique, comme les 450 étudiants haïtiens envoyés dans les universités françaises. «On ne peut pas mesurer les efforts faits au tas de gravats ramassés», a-t-il conclu.

Transfert de compétences et replis des humanitaires

A un an de ce drame, au-delà de la poursuite nécessaire des secours (de nombreuses villes ont notamment été «délaissées», faute de temps), le principal enjeu pour cette petite République antillaise est de sortir de l’urgence humanitaire, sortir de la dépendance humanitaire. Or, nul repli des associations ne s’effectuera sans un préalable transfert de compétences à la population locale, qui est de fait l’un des objectifs clés de l’année qui débute. «Les besoins sur place sont immense et notre présence est toujours nécessaire, mais le rôle principal d’une ONG médicale n’est pas de travailler dans la substitution, avec une grosse équipe d’expatriés. Car pour aider à renforcer le système de santé local il faut avant tout travailler avec les équipes nationales, les former, transférer notre expertise (…) pour que nous puissions (…) passer la main et que nos projets perdurent», explique ainsi Marc, médecin coordinateur général pour MdM, qui compte d’ailleurs 1200 Haïtiens sur 1268 personnes travaillant pour elle en Haïti. «Haïti ne se relèvera pas sans la participation pleine et entière des femmes, des hommes et des enfants de ce pays. Le temps et venu de rompre avec la logique d’assistance qui a transformé Haïti en laboratoire», renchérit Michaelle Jean, gouverneure générale du Canda. Laënnec Hurbon, sociologue, spécialiste d’Haïti et directeur de recherche au CNRS, va même plus loin. Selon lui, la «catastrophe sociale provient d’abord de la fragilité d’Haïti», qui souffre d’une «pathologie du pouvoir» -l’Etat a connu 15 gouvernements de 1986 à nos jours, 26 ministres de la Justice, 16 conseils électoraux provisoires. La dictature a par ailleurs détruit le potentiel touristique de l’île, qui connaît des disparités sociales et culturelles criantes, et dont la chute de la paysannerie a provoqué une migration déstabilisante vers la capitale et l’étranger. Port-au-Prince concentre ainsi 3 millions d’habitants -alors qu’elle a une capacité de …150 000-, et 85% de l’activité économique. C’est pourquoi Laënnec Hurbon préconise la décentralisation du pouvoir et de l’activité, mais aussi un «effort de relèvement, surtout de la classe moyenne», qui a fui vers les Etats-Unis ou le Canada alors que le pays a besoin d’elle. Il prône aussi la promotion de la scolarisation universelle (15% seulement des établissements scolaires sont sous le contrôle de l’Etat, le reste étant privé). Et conclut: «Le tremblement de terre pause la question, pas uniquement pour Haïti, mais pour le reste du monde, de la manière dont l’homme doit et peut habiter la terre aujourd’hui».
L’ancienne perle des Antilles en chiffres
- Revenu par habitant: 660 dollars, soit dix fois moins qu’en République dominicaine voisine, cinquante fois moins qu’en France

- Plus d’un Haïtien sur deux vit avec moins d’1,25 dollar par jour (1 euro), 80% avec moins de 2 dollars

- L’espérance de vie d’un Haïtien à la naissance en 2010 est de 61,7 ans (contre 81,5 en France)

- Mortalité infantile en 2009: 59,69% (France: 3,60%)

- Mortalité maternelle: 630 décès pour 100 000 naissances en 2009 (France: 9,6)

- Indice de développement humain : 145 e place sur 182 pays

- Paradoxalement, sa monnaie s’apprécie. En janvier 2010, un dollar équivalait à environ 39,77 gourdes. En Août, il en valait 39,69.

- Par ailleurs, on estime que le séisme a créé 100 000 «emplois» humanitaire via l’opération «Cash and Food for Work» (qui échange de la nourriture, de l’eau, ou de l’argent, pour quiconque participe à la reconstruction)

(source : «Revue humanitaire», par Luc Évrard, journaliste, chef du service économie d’Europe 1. http://humanitaire.revues.org/index841.html ) Point final

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