Chronique hebdomadaire de Philippe Randa
Il ne faut jamais abuser des bonnes choses. Des choses tabous encore moins. Et s’il y a bien un tabou entre tous de nos jours, c’est la démocratie parlementaire. Le nec plus ultra de la gouvernance, la seule autorisée. Médiatiquement, en tous cas. Malheur à ceux qui provoquent ses sourcilleux garde-chourmes.
La récente adoption par le Conseil des ministres français du projet de loi définissant la mise en œuvre d’un « référendum d’initiative populaire » entend le faire comprendre à tous.
Nos voisins helvètes peuvent directement proposer un texte de loi (initiative législative au niveau cantonal) ou une modification de la constitution (initiative constitutionnelle, au niveau fédéral et cantonal). Le texte est ensuite soumis à une votation populaire qui l’acceptera ou non. 100 000 signatures sont suffisantes pour que le référendum soit organisé et 50 000 électeurs pour faire adopter la loi.
Il en ira bien différemment du projet de loi français et l’on appréciera comme il se doit les termes « il suffit que », utilisé par le quotidien Libération à la lecture de la procédure à suivre : « Il suffit qu’un parlementaire dépose une proposition de loi. Que celle-ci soit soutenue par au moins un cinquième des parlementaires, puis contrôlée par le Conseil constitutionnel. Avec le feu vert des Sages, et dans un délai de trois mois, s’ouvre alors la collecte des signatures de citoyens inscrits sur les listes électorales qui peuvent approuver le texte par voie électronique. Si la proposition de loi franchit la barre des 4,5 millions de soutiens, elle retourne au Parlement et sera débattu par chacune des deux assemblées dans les douze mois. À défaut, le président de la République soumet le texte au référendum dans un délai de quatre mois » (22 décembre 2010).
Réclamé par nombre de partis politiques français – du Front national au Parti socialiste en passant par Europe Écologie-les Verts – le principe même ne pouvait finir que par être accepté. De là à ce qu’il soit appliqué, on comprend tout de suite que ce n’est guère dans les intentions de ceux qui nous gouvernent. Il s’agit donc simplement d’une nouvelle et énième loi qui ne sera probablement pas – sinon exceptionnellement – utilisée.
Elle permettra toutefois de calmer les esprits les plus vindicatifs sur le sujet, de « faire croire que », de ne pas réveiller les passions et pour ceux qui s’aventureraient à faire remarquer que ce projet de loi est plus proche du « foutage de gueule citoyen » que de véritable démocratie directe, gageons qu’on leur explique que les aménagements de cette loi sont une « exception française », donc forcément parée de toutes les vertues républicaines.
D’ailleurs, le député Vert François de Rugy, rapporteur d’une proposition de loi organique prévoyant d’appliquer le référendum d’initiative populaire, n’hésite pas à définir lui-même les limites politiquement correctes qu’il est inimaginable de franchir… Lorsqu’on lui fait remarquer que grâce au référendum d’initiative populaire, la Suisse a récemment voté le renvoi automatique des criminels étrangers, il précise aussitôt : « Les opposants à cet outil nous disent ainsi que c’est dangereux, démagogique, populiste. Nous, nous avions proposé qu’une procédure, avant d’être lancée, soit validée par le Conseil constitutionnel. Ce contrôle de constitutionnalité, au préalable, est un garde-fou et garantira contre les manipulations et les dérives ou, pour prendre un exemple, contre une tentative de faire voter sur le rétablissement de la peine de mort. Et on parle de 4 millions et demi de signatures : pour tout parti ou groupe parlementaire, il faudra une large alliance et des partenaires dans la société civile. »
Si les guêpes sont connues pour ne pas être « folles », nos élus auto-proclamés défenseurs d’une conception très particulière de la démocratie ne le sont pas non plus. Demander l’avis du peuple, oui, à condition qu’il soit le leur. Pour ne pas risquer de « déconvenues démocratiques », exercer un strict contrôle de ce qui doit être ou ne pas être voté, est le « minimum citoyen » indispensable. C’est-à-dire que rien ne puisse échapper un tant soi peu aux professionnels de la politique. « La volonté du peuple ne doit pas être confisquée par quelques dizaines de Ponce Pilate… », affirmait Charles De Gaulle.
Par 577 députés, est-ce vraiment préférable ?
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