dimanche 20 février 2011

Martinique: de la protection de la mangrove à la protection de la société


Le pays d’Edouard Glissant – récemment disparu -, carrefour du Tout-Monde, résiste à la destruction promise par la « globalisation » c'est-à-dire la logique du système capitaliste…


Le rôle de l’Assaupamar en Martinique
L’Assaupamar est une association de protection de l’environnement. Si l’on s’arrête là, ce pourrait sembler banal. Sauf que cette organisation née dans un territoire français d’outre-mer, a du se battre et s’affirmer dans un contexte de type colonial  où le droit commun est sujet à d’étranges interprétations.
Dans la colonie,  l’environnement, comme le reste était l’objet d’une prédation, d’une exploitation s’apparentant à un pillage, sans respect ni concertation auprès des habitants.
Mais la résistance populaire a su s’organiser…

A l’origine d’un combat :  la protection de la mangrove
Dans les années 1970 de grands projets notamment agricoles menacent la mangrove. A cette époque on ne conçoit guère encore son importance écologique, le rôle de poumons que ce milieu peut avoir, particulièrement dans notre petite île. La mangrove est surtout vue comme une nuisance. Ne sert-elle pas d’ailleurs de dépotoir ? N’est-ce pas un  lieu à faire disparaitre ?  Assainir est le maître-mot . Pourquoi ne pas construire à la place de gigantesques cubes en béton – des hôtels de standing – «  les pieds dans l’eau » ? Place au bétonnage à tout va, au « rationalisme » des projets, c’est-à-dire à tout ce qui peut être considéré comme un investissement rapportant de juteux bénéfices à court terme..
Pourtant un certain nombre de personnes, et ce dans toutes les couches de la société, se rend compte de l’effet néfaste d’une disparition ou même d’un affaiblissement de la mangrove.
Les promoteurs, comme à leur habitude,  pensaient alors qu’il suffisait de quelques promesses, comme des créations d’emplois, pour duper le peuple.
Ils eurent tort.
Ce sont des manifestants déterminés de plus en plus nombreux qui se groupèrent bientôt,. Un âpre combat débutait. où l’on vit éclore les modes d’action les plus originaux, comme par exemple la plantation de cocotiers à Rivière Salée ! Le Maire, Monsieur Elisabeth, partie prenante du projet destructeur de mangrove, fit appel aux gendarmes. Cette intervention de  la force coloniale au service de puissants intérêts ne sera pas oubliée. Plus tard, la carrière politique de Elisabeth en pâtit largement !
Te se bwa, bwa se dlo, dlo se lavi. (*)
L’ampleur du combat, les succès,  l’appui reçu dans toute la Martinique vont en 1980-81, faire évoluer l’association première, l’Assaupasu (Association pour la sauvegarde du Patrimoine du Sudvers une nouvelle entité : l’Assaupamar (Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais). D’emblée une dynamique était enclenchée.
1982 : Occupation de terre à Corps de garde à Sainte-Luce. Le Tribunal donne raison à l’Assaupamar en annulant l’arrêté préfectoral concernant le barrage de Crève-Cœur.
1983 : Coup d’arrêt au projet destructeur de festival pop qui devait réunir 150000 étrangers au François.
           Coup d’arrêt au projet de port de plaisance à la Point Bois d’Inde aux Trois-Ilets.
            Lutte victorieuse contre le projet d’implantation d’un hôtel  de 4000 chambres à la Monnerot Nord  au         
           François.
C’est à partir de cette époque que la question de la terre devient de plus en plus cruciale. Les POS vont être l’objet de la lutte qui s’engage. Parallèlement une campagne pour la préservation de la forêt humide se développe.
1985 : Replantation de la forêt du Morne d’Arlet (Anses d’Arlets).
           Arrêt du massacre du site du Macouba et du projet d’aquarium sur le même site.
L’association met la question de la gestion des ordures ménagères à l’ordre du jour.
1988-89 : Manifestations comme celles du convoi pour la Terre Martiniquaise, ou celle du convoi de la Mer et   
                de la Terre.
                Sortie de Fonds-Canonville sur les carrières, vers le Tombeau des Caraïbes et la décharge publique.           
               Participation d’un chef Caraïbe.
1990 : Organisation de manifestations de défense comme celle concernant la plage de l’Anse Azérot à Sainte-    Marie, la mangrove à La Fayette à Rivière Salée, l’opposition à un projet « défi moto » sur la Montagne Pelée.
          On appelle à l’occupation des terres à Vaudrancourt, à Ducos.
          Au lotissement des Abricots on occupe 52 logements
L’association dans ses congrès affine analyses et propositions dans une optique tout à la fois de préservation des écosystèmes et de légitimité. On remet ainsi le premier Madjumbé d’or consacrant le meilleur jardin créole.
1991-2011 : L’Assaupamar va pérenniser son action en plusieurs directions :
La protection du littoral par une action de réappropriation, de droit au libre accès, car elles appartiennent au domaine public.
La protection des ensembles boisés par le combat de projets destructeurs comme la défense de la forêt sèche sur les pentes de l’Anse à l’Ane. Forêt indispensable contre l’aggravation des risques d’inondation.
Le combat contre les projets immobiliers, pour la sauvegarde du patrimoine foncier.
La défense des terres agricoles que ce soit à Génipa, à la Mansarde ou à Pointe Batterie.
La protection de la sécurité et de la santé des Martiniquais : problème de la diffusion de la dioxine, de la pollution de certains incinérateurs, pollution électromagnétique, problème des chiens errants/
Les actions se succèdent. Mais rapidement une corrélation s’établit : actions sur le terrain et actions en Justice. Car ce qui apparait comme un juste droit à défendre, comme par exemple le droit d’accès au bord de mer, la sauvegarde du bien public, est considéré, par la justice coloniale, comme une simple atteinte à la propriété. Quand les militants de l’Assaupamar enlèvent  les clôtures illicites, les forces de l’ordre ne viennent pas les aider. Elles viennent tout au contraire, pour les arrêter et les faire inculper !
Aujourd’hui encore les responsables de l’association, inculpés, attendent le résultat de leur demande d’appel devant les tribunaux. Deux ans d’un âpre combat procédurier où les avocats, avec talent, ne se privèrent de mettre à nu la justice coloniale et ses incohérences.
Certes les réflexions et les propositions de l’Assaupamar, au sein des diverses commissions où elle est admise, peuvent sembler  écoutées. Mais cela s’avère souvent un semblant de concertation. C’est le « filtre » d’une pléthore d’ « administratifs » qui en fin de compte « décide ».
Restant en relation avec des associations de sauvegarde de l’environnement de la France, un des responsables du Fond National pour l’Environnement, lors d’une visite en Martinique, s’étonne ainsi de voir que ce qui nécessiterait en métropole un simple courrier administratif doit faire ici l’objet d’une longue démarche procédurière souvent devant les tribunaux.
Visiblement la Justice ne s’applique pas de la même manière dans les colonies !
Pourtant l’Assaupamar est indépendante du jeu politicien. Elle peut se retrouver tantôt aux côté d’élus de droite, tantôt aux côtés d’indépendantistes ou d’élus de gauche. Cela dépend des objectifs. Ceux de l’association, eux, ne changent pas : préservation des écosystèmes enjeu majeur du développement durable et solidaire nécessaire à la Caraïbe. Contrairement à ce que l’on dit parfois, elle ne s’attaque pas spécifiquement aux békés. Elle s’en prend  à ceux qui détruisent notre île, toutes couleurs ou religions confondus !

Des projets pour un grand projet
L’association fait partie du K5F, collectif de syndicats et d’associations né lors du grand mouvement social de février- mars 2009. Elle y défend particulièrement les avancées qui permettent une meilleure prise en compte de l’environnement de  l'île. Ainsi lorsque l’on évoque des investissements dans l’hôtellerie, l’assaupamar si elle s’oppose à des opérations pharaoniques et destructrices, s’inscrit,  elle, dans le projet d’un tourisme écologique, harmonieux avec l’environnement.
Mais le K5F, organisation de circonstance ayant un catalogue de revendications relativement limité même si celles-ci paraissent justes, n’est-il pas un corset un peu étroit pour une association qui a encore tant de choses à proposer.
L’avenir, de toutes façons, par les projets qu’elle développe déjà au service du peuple, appartient à l’Assaupamar.

19 Février 2011 Par Michel ARMAGUEDON



(*) La terre c’est le bois, le bois c’est l’eau, l’eau c’est la vie.

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