jeudi 3 mars 2011

Zemmour, et l’impunité variable du racisme



Émoi chez les purs et durs de la liberté d’expression : le chroniqueur Eric Zemmour, qui porte courageusement les couleurs du «politiquement incorrect» dans trois murmurants médias des catacombes (le Figaro,France 2 et RTL) vient d’être condamné pour provocation à la haine raciale. Il avait déclaré à la télévision que «la majorité des trafiquants sont des Noirs et des Arabes, c’est un fait» (allégation qui constitue un non-sens statistique), et que les employeurs ont «le droit» de refuser d’embaucher des Noirs et des Arabes (ce qui est faux, la discrimination à l’embauche est un délit). Procès. Relaxe pour la première phrase, condamnation (2000 euros avec sursis) pour la seconde.

Dans l’heure, M. Mariani, ministre des Transports en exercice, n’ayant manifestement pas d’autre urgence, se fend d’un communiqué condamnant le jugement, regrettant que «les professionnels de l’antiracisme préfèrent se constituer partie civile, plutôt que d’assumer un débat public à la loyale sur les sujets qui préoccupent nos concitoyens, qu’il s’agisse de la délinquance, du fondamentalisme islamiste, des prières de rue, ou de la gangstérisation de certains quartiers sensibles». Mariani juge la condamnation «d’autant plus regrettable qu’elle risque d’inciter une gauche morale durablement discréditée, à imposer un climat permanent de chasse aux sorcières».

Dans la foulée, le parti au pouvoir fait savoir qu’il a invité Zemmour à débattre sur «le trop-plein de normes», et plus particulièrement sur «la production d’une norme de pensée, qu’on qualifie souvent de pensée unique» (on attend avec impatience que l’UMP invite pareillement des petits délinquants sur «le trop-plein de normes sécuritaires»). L’invitation était, paraît-il, antérieure à la condamnation. Mais personne n’en avait alors entendu parler. Et elle n’a pas été annulée.
D’un gouvernement qui compte dans ses rangs un ministre lui aussi condamné pour injure raciale (Hortefeux), et que saisit la panique devant l’ascension de Marine Le Pen dans les sondages, on ne pouvait pas attendre autre chose. L’invitation de Zemmour est un signe, un petit signe, dans le feu d’artifice de signes sémaphoriques adressés à l’électorat du FN (dont le nouveau «grand débat» sur la laïcité). Un de plus. La poignée de cerises qu’on rajoute au kilo, pour faire bon poids. Zemmour ainsi érigé en martyr par le pouvoir, que font les médias qui l’emploient ? Rien, naturellement. Ils ne vont tout de même pas se montrer plus respectueux de la justice que le gouvernement lui-même. Chacun des trois a d’excellentes raisons de ne rien faire.

Du côté du Figaro, le directeur Mougeotte raconte avoir «convoqué Zemmour par lettre pour lui faire part de [son] émotion et lui rappeler les principes éditoriaux du Figaro, en particulier la lutte contre le racisme et l’antisémitisme»«A l’époque j’envisageais une sanction. Eric Zemmour m’a répondu et réitéré son adhésion totale à ces deux principes et a regretté ses propos si ces derniers avaient été mal interprétés. Dès lors, il n’y avait pas motif à sanctions et il n’y en a pas plus aujourd’hui», explique le directeur du journal du groupe Dassault. A RTL, on se contente d’expliquer qu’«indépendamment de sa condamnation, on lui a rappelé d’être attentif au respect des valeurs de la station». Et à France 2, où la pression des syndicats est forte (un communiqué estime que Zemmour n’avait «pas sa place sur les antennes de France Télévisions»), on insiste sur«l’attachement du service public aux valeurs humanistes et républicaines»,en précisant que «le président de France Télévisions a demandé à l’ensemble des directeurs de chaînes du service public de veiller à ce que de tels propos ne soient plus tenus sur nos antennes».

Tel gouvernement, tels médias. Venant de RTL ou du Figaro, rien à dire : ces organes privés captent ou conservent leurs lecteurs ou leurs auditeurs comme ils le souhaitent. Mais France 2 ? Y répandre le poison raciste semaine après semaine, est-il dans les missions du service public ? Il est vrai que tous les racismes ne sont pas affectés d’un coefficient égal d’impunité. Zemmour aurait-il pris les juifs comme cible de son «incorrection politique», au lieu de cogner sur les Noirs et les Arabes, qu’il serait déjà tenu à l’écart de l’antenne, comme l’est (justement) Dieudonné. On exagère ? Il n’est pourtant que de voir comment le même groupe de luxe LVMH a déployé envers le parfumeur Jean-Paul Guerlain, dérapeur anti-Noirs, une indulgence égale à sa sévérité envers le couturier Galliano, suspendu quelques heures seulement après un dérapage antisémite et anti-asiatique présumé, à la terrasse d’un café.

DANIEL SCHNEIDERMANN

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