dimanche 17 avril 2011

En Haïti, les déjections servent à se chauffer et cuisiner

PORT-AU-PRINCE - L'idée a déjà fait ses preuves en Chine et en Amérique centrale mais commence juste à être développée en Haïti: produire du gaz servant à la cuisine en recyclant les excréments humains. Un concept simple et révolutionnaire dans ce pays en proie au choléra et à la déforestation.


Appelée "biodigesteur", cette invention requiert peu d'infrastructures: des toilettes, sèches ou non, raccordées à un puit hermétique fait de briques, lui-même relié à un bassin.

Sans air, les bactéries contenues dans les selles décomposent 85% de celles-ci en produisant en même temps du gaz méthane, explique Martin Wartchow en pointant son briquet au-dessus d'un petit tuyau sortant de la citerne. Une puissante flamme s'embrase aussitôt.

"Les 15% restants de déchets organiques sont rejetés avec de l'eau dans une zone végétale où ils seront dégradés", poursuit cet hydrologue travaillant à Port-au-Prince pour l'ONG brésilienne Viva Rio.

"Aucun produit chimique n'est utilisé et au final, l'eau qui est recueillie est totalement propre", poursuit-il en plongeant sa main dans un bassin rempli du liquide filtré. "On élève même des poissons dedans", pointe l'ingénieur.

Récemment achevée dans un centre de Viva Rio qui reçoit plus de 600 petits Haïtiens chaque jour, l'installation présentée doit ultimement être reliée à une cantine en construction. "Pour remplacer le charbon de bois", souligne-t-il.

Un défi majeur: par manque d'énergie bon marché dans cet Etat, le plus pauvre de l'hémisphère nord, les Haïtiens cuisinent quasi exclusivement en se servant de charbon de bois.

Avec pour conséquence, une déforestation massive: la partie occidentale de l'île d'Hispaniola (que se partagent Haïti et la République dominicaine) n'est désormais recouverte que de 1,5% de forêts, contre 80% lorsque Christophe Colomb l'a découverte au XVe siècle.

"Les Nations unies ont payé plein d'enquêtes pour trouver des solutions pour remplacer le charbon: il suffisait d'aller voir au Nicaragua ou en Chine", plaisante l'humanitaire. 70.000 biodigesteurs ont en effet été construits dans le territoire d'Amérique centrale... et mille fois plus dans le géant asiatique.

Autre point positif: ce dispositif permet de traiter simplement et efficacement les excréments. Comme l'a prouvé l'épidémie de choléra, qui a fait plus de 4.700 morts à ce jour, l'absence de réels systèmes d'égouts est dramatique en Haïti.

"Depuis l'épidémie on a eu beaucoup de demandes de cliniques qui jusque là rejetaient ces déchets dans les canaux", indique l'hydrologue.

En tout, 70 biodigesteurs ont déjà été construits en Haïti par Viva Rio et autant sont en projets.

Mais une fois construit, tout n'est pas gagné, comme le montre l'exemple du camp de Santos 17, en banlieue de Port-au-Prince, où vivent 2.700 personnes.

Des biodigesteurs ont été installés en février aux côtés des nouveaux abris temporaires en bois et tôles. Problème: la cuisine qui est censée être raccordée au gaz produit par les toilettes du camp n'est pas accessible.

"C'est l'ingénieur de l'OIM (Organisation Internationale des Migrations) qui a la clé", bredouille Jean-Max Fortune, le responsable municipal du camp. De toute manière, les réchauds attendus ne sont pas arrivés, dit-il avec nonchalance, ajoutant qu'il faut encore éduquer les gens à ce système".

Sa case à trois mètres de ladite cuisine, Roselyne Colas avoue ne pas comprendre l'utilité de la chose. En désignant le réchaud installé dans la cabane de 18 m2 qu'elle partage avec sept autres membres de sa famille, la jeune-femme corpulente déclare: "Je fais la cuisine avec du charbon".

AFP

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