Deux rapports, publiés à quelques jours d'intervalle, confirment ce dont on se doutait déjà: l'épidémie de choléra qui a éclaté en Haïti l'automne dernier tire son origine d'une base de soldats népalais appartenant à la force de stabilisation de l'ONU, la Minustah.
Les deux études citent les mêmes éléments de preuve. Le camp des Casques bleus logeait dans le village de Meille, près d'un petit affluent de la rivière Artibonite - précisément là où sont apparus les premiers cas de choléra. La bactérie qui a sévi en Haïti est une copie conforme de celle que l'on trouve au Népal. Les Casques bleus népalais étaient arrivés en Haïti quelques jours avant l'apparition des premiers cas de choléra. En raison d'installations sanitaires déficientes, leurs eaux d'égout ont été déversées dans le ruisseau qui rejoint l'Artibonite.
La séquence dans le temps, la migration de la bactérie, sa structure génétique et la plomberie défectueuse de la base militaire, tout converge dans la même direction. Les auteurs de l'une des deux études en concluent que le camp de la Minustah est à l'origine de la contamination. Les auteurs de l'étude numéro deux, eux, sont plus timorés. «L'explosion de cas de choléra en Haïti a été causée par plusieurs circonstances convergentes et n'était ni la faute, ni le résultat d'une action délibérée, de quelque groupe ou individu que ce soit», écrivent-ils avec diplomatie.
Maintenant, une devinette: laquelle de ces deux études a été réalisée à la demande de l'ONU? Cette dernière, évidemment. L'ONU s'en est servie pour affirmer que les Casques bleus n'y étaient pour rien dans l'apparition de l'épidémie, et que «n'importe qui d'autre» aurait pu introduire la terrible bactérie en Haïti.
Faux, rétorquent les auteurs de l'autre étude, réalisée à la demande du gouvernement haïtien, et dont les résultats viennent d'être publiés dans une revue scientifique, Emerging Infectious Diseases Journal. La base népalaise était située dans un lieu reculé, et aucun autre étranger ne s'y trouvait au moment de l'apparition des premiers cas de choléra, écrivent-ils. Selon eux, le niveau de concentration de la bactérie de choléra était d'ailleurs si élevé que l'hypothèse d'un porteur asymptomatique est totalement exclue.
Traduction: au moins un soldat du camp militaire était atteint du choléra, ce que la Minustah a toujours nié avec véhémence. «L'affirmation selon laquelle il n'y avait aucun malade à la base népalaise n'est pas crédible», assure l'un des auteurs de l'étude, l'épidémiologiste Renaud Piarroux, que j'ai joint hier en France.
Ce dernier se garde bien d'accuser l'ONU de dissimulation, mais cela ne l'empêche pas de poser des questions. Des travaux ont été soudainement réalisés au système d'égout de la base népalaise, peu après l'apparition de l'épidémie. A-t-on voulu cacher quelque chose? Quelle est la part de mensonge et de dissimulation dans les dénégations de la Minustah?
La rumeur sur l'origine de la contamination courait en Haïti dès le mois de novembre. Elle a alimenté une vague d'hostilité à l'égard des Casques bleus népalais. On peut comprendre l'ONU d'avoir voulu les protéger. Mais au point de maquiller la réalité?
Rappelons qu'il ne s'agit pas ici d'une épidémie saisonnière de grippe. En sept mois, le choléra a fait près de 5000 morts. Des centaines de milliers de personnes ont été malades. Et la maladie est toujours présente dans ce pays qui se relève péniblement d'un séisme dévastateur.
«Quand un avion s'écrase, on fait une enquête pour comprendre ce qui s'est passé, même si l'on sait que le pilote ne l'a pas fait exprès!», s'indigne Renaud Piarroux. Avec raison, il appelle à la tenue d'une enquête judiciaire pour établir la chaîne des responsabilités d'une catastrophe dont Haïti n'avait vraiment pas besoin.
L'ONU préfère faire l'autruche et se contente d'appeler les Haïtiens à tourner la page. En persistant à nier l'évidence, elle alimente la méfiance que les Haïtiens nourrissent déjà à son endroit. Elle se prive de tirer des conclusions pour prévenir la répétition d'incidents semblables. Et surtout, elle prive les Haïtiens des plus élémentaires excuses auxquelles ils devraient avoir droit.
Agnes Gruda
12/05/2011
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