vendredi 6 mai 2011

Des dirigeants trop fermés à la question de la diversité - Le football français face à l'affaire des quotas



Les récentes révélations du site Mediapart, présentant le verbatim d'une réunion entre responsables du football français datant du 8 novembre 2010, ont suscité une émotion nationale. Excuses du sélectionneur Laurent Blanc, sanction contre un responsable de la Fédération française de football (FFF), enquête diligentée par le ministère de la jeunesse et des sports, demande de démission du sélectionneur national si les faits étaient confirmés par l'enquête lors de l'émission de TF1 "Téléfoot" : la parenthèse enchantée de 1998 est refermée ! Et pourtant, est-ce véritablement une surprise ?

Il faut bien le dire, dans cette affaire, tout était écrit d'avance. Entre l'incurie des dirigeants du football français dont aucun n'est issu d'une diversité extra-européenne depuis la démission de Lilian Thuram en décembre 2010, la charge des médias et la réaction de l'opinion obnubilée par un lien fantasmatique entre football et "identité nationale", tous les ingrédients sont réunis pour une telle implosion. L'événement historique incontestable que constitue la victoire du 12 juillet 1998, prolongé par le succès lors de l'Euro 2000 trouve sa parfaite antithèse avec le fiasco de l'été 2010, dont l'affaire en cours est l'une des conséquences les plus visibles. La génération "black, blanc, beur" va-t-elle laisser place à une génération "blanc, blanc, blanc" ?
Bien sûr, hormis la phase finale de la Coupe du monde 2006, la spirale des résultats catastrophiques est l'élément moteur de cette déconfiture. L'insuccès révèle les manques et les contradictions tout en nourrissant l'inquiétude qui rejaillit sur le moral des Français. Mais ce n'est pas tout. Depuis les propos de Jean-Marie Le Pen dès l'Euro 1996 et de quelques autres personnalités stigmatisant une équipe "black, black, black", un racisme ordinaire se diffuse autour des matches de football sur cette omniprésence des "Noirs" (ponctuellement des "musulmans", rajoutent certains) au sein de l'équipe de France. Malgré le développement de campagnes de lutte contre le racisme en France sous l'égide de la Licra et en Europe à travers le réseau Fare, une peur de "l'invasion" et de la "racaille" s'exprime sans fard. Aussi maladroits que culturalistes (sans même s'en rendre compte !), les dirigeants du football français sont au diapason de l'opinion du moment.
A l'instar de l'ensemble de la société, ceux qui président aux destinées du football français se montrent incapables de prendre acte de la diversité. Ils restent sourds aux phénomènes de multi-appartenance, conséquences d'un passé colonial et d'une histoire des migrations toujours méconnues. Invisibles dans certains secteurs de la vie publique, "Blacks" et "Beurs" sont omniprésents sur le terrain sportif, espace quasi unique de réussite sociale pour de nombreux jeunes de nos outre-mer ou de nos quartiers.
Ce constat n'est pas nouveau : dès ses origines, le football a révélé des générations issues de l'immigration ou des colonies qui ont trouvé grâce aux yeux des Français : Gusti Jordan, l'Autrichien naturalisé (que l'Action française soupçonnait de ne "pas assez mouiller le maillot" bleu en 1938), Larbi Ben Barek, surnommé la "Perle noire de Casablanca" (conspué par le public italien lors d'un Italie-France à Naples en 1938), Raymond Kopa, fils de Polonais ayant connu la mine, Michel Platini, fils d'immigrés italiens et président de l'UEFA.
Autant de noms qui ont précédé la génération de Zinédine Zidane et Lilian Thuram, le plus populaire et le plus capé des Bleus à ce jour. Avec les quotas, combien auraient marqué l'histoire ? Avec l'esprit des "quotas" qui gagne les têtes biens faites de la "fédé", il n'y aurait pas eu de "génération polak", de saga "ritale", de joueurs hispano-portugais, de multigénérations arabo-pied-noires, d'épopée afro-antillaise... La dernière fois que les quotas ont été appliqués, c'était en Algérie dans les années 1930 pour les joueurs maghrébins dans les équipes de colons. S'il existe aujourd'hui des doubles nationalités, c'est le fruit de l'histoire !
Si le choix possible pour les binationaux irrite nos dirigeants, il ne faut pas oublier que, lorsque cela servait le football français, on n'en parlait guère... et que les "meilleurs" jouent pour la France. C'est un faux problème. Au temps des colonies, on était bien content de compter au sein du Onze de France sur quelques Noirs, quelques Arabes ou quelques pieds-noirs pour faire briller une équipe bien pâle.
Bien content aussi, au temps des immigrations, de trouver des jeunes joueurs comme Marius TrésorGérard Janvion, Michel Platini, Jean TiganaManuel AmorosLuis FernandezWilliam Ayache ou Bruno Bellone, capables de faire briller la France en 1984 aux Jeux olympiques et lors de l'Euro, ou pendant les Coupes du monde 1978, 1982 et 1986. Parler du "modèle ibérique" tout de blanc vêtu apparaît comme une négation de l'essence même de ce qui fait la richesse des Bleus assimilés hier encore à un "Brésil métissé".
Faut-il faire comme les Italiens qui prennent en grippe Mario Balotelli, leur seul joueur noir, et empêche sa sélection ? Toute cette agitation est la conséquence d'un aveuglement des responsables de la FFF qui sont depuis longtemps incapables de regarder leur propre histoire en face.
Les discours commodes et lénifiants du "Tous Bleus, tous unis" n'ont pas tenu le choc face aux difficultés. Loin d'être une bulle antiraciste, le football s'avère ainsi un foyer de division, renvoyant chacun à sa différence. La FFF refuse depuis des années de valoriser ces questions, de promouvoir le récit migratoire en son sein, de mener (ou de soutenir) avec sa "Fondation" des actions citoyennes susceptibles de porter leurs fruits en ces temps de doute. De parler de son histoire, tout simplement ! Les campagnes de communication et le marketing mis en oeuvre par des consultants ad hoc ces dernières années sonnent aussi creux qu'une campagne pour lessive qui laverait toujours plus blanc que blanc : tout cela, on le retrouve dans les propos tenus lors de cette réunion du 8 novembre. Pour ces messieurs, un Noir, un Arabe et un Asiatique ne sont pas de véritables "Français", même s'ils sont nés en France. Si cet état d'esprit a pu "heurter certaines sensibilités", il révèle le chemin qui reste à parcourir pour décoloniser les imaginaires. La faute est sévère, donc carton rouge, Messieurs !

Pascal Blanchard est président du groupe de recherche Achac qui a coréalisé l'exposition "Ces Bleus venus des quatre coins du monde", au stade Charléty en 2010, et coréalisateur du film "Des Noirs en couleur" (2007)
Yvan Gastaut est coordinateur de l'exposition "Allez la France ! Football et immigration" à la Cité nationale de l'immigration (mai 2010-janvier 2011).
Pascal Blanchard, historien spécialiste de l'histoire de la colonisation et Yvan Gastaut, historien

Chronologie et repère

Jeudi 28 avril
Mediapart publie un article intitulé "Foot français : les dirigeants veulent moins de Noirs et d'Arabes". Le site d'information évoque une réunion de la direction technique nationale (DTN) du 8 novembre au cours de laquelle aurait été évoquée la mise en place de quotas dans les centres de formations.
Vendredi 29 avrilLa ministre des sports, Chantal Jouanno, ouvre une enquête. La Fédération française de football (FFF) et le sélectionneur des Bleus, Laurent Blanc, récusent les accusations de discrimination.
Samedi 30 avrilMediapart publie les minutes de la réunion du 8 novembre 2010. Le directeur technique national, François Blaquart, est suspendu de ses fonctions.
Mardi 3 maiDébut des auditions des membres de la DTN, présents lors de la réunion du 8 novembre, par la double commission d'enquête de la FFF et de l'inspection générale de la jeunesse et des sports.
Mercredi 4 maiMohamed Belkacemi, chargé du développement du football dans les quartiers, reconnaît avoir enregistré la réunion du 8 novembre "pour témoigner en interne des propos inqualifiables" et l'avoir transmis au directeur général adjoint de la fédération, André Prévosto, dès le 9 novembre.
Jeudi 5 maiAprès Lilian Thuram, le champion du monde de 1998 Patrick Vieira réclame, dans un entretien au Monde, le départ des personnes présentes à ladite réunion et se déclare"scandalisé" par les propos de son ancien coéquipier Laurent Blanc. L'audition de Laurent Blanc par la commission d'enquête de la FFF et celle du ministère des sports réunies pourrait avoir lieu vendredi 6 ou samedi 7 mai.
"Traîtres à la nation ? Un autre regard sur la grève des Bleus en Afrique du Sud", Stéphane Beaud, La Découverte, 286 p., 18 euros.

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