Sans visage et anonymes, immigrées et sans qualification, les femmes d'entretien constituent des proies faciles et sont souvent victimes des avances sexuelles de leur employeur.
Il y a près de trente ans, j’ai travaillé comme femme d’entretien dans les bureaux d’une entreprise d’électronique. J’étais enceinte de plusieurs mois, mais on ne me donnait pas plus de seize ans. Un jour, alors que je nettoyais les toilettes des hommes, un responsable est entré dans la cabine voisine de la mienne et a commencé à se soulager, ne tenant aucun compte du panneau “Fermé pour nettoyage” accroché à la porte ni de mon corps noir à quatre pattes en train de laver les toilettes. Totalement invisible: voilà comment on se sent quand on est domestique.
L’unique salle de bains que je nettoie aujourd’hui est la mienne. Mais je n’ai pas oublié l’humiliation de passer inaperçue. J’ai repensé à cet incident en lisant qu’Arnold Schwarzenegger avait un fils illégitime d’une ancienne employée de maison et que le patron du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, était accusé d’agression sexuelle sur une femme de chambre d’un hôtel new-yorkais. Ce qui lie ces hommes, c’est le pouvoir politique, mais c’est aussi une attitude séculaire de l’élite vis-à-vis du personnel d’entretien féminin (souvent de couleur): la conviction que ces femmes, que leur invisibilité rend vulnérables, sont là pour leur consentir des faveurs sexuelles.
Notre culture offre de multiples variantes de ce scénario: de la domestique intrigante qui couche pour s’introduire dans une famille fortunée à la femme d’entretien qui croit naïvement que ses rendez-vous avec son employeur sont les prémices d’une histoire d’amour, en passant par la malheureuse gouvernante contrainte d’avoir des relations sexuelles avec son patron pour garder son emploi. Reportages, films et romans abondent sur le sujet. L’histoire finit toujours tragiquement: il se lasse d’elle, elle part avec son enfant non désiré, ou se suicide. Elle peut recevoir un peu d’argent en compensation de ses ennuis mais elle sort rarement gagnante de l’aventure. La vie continue, comme cela a été le cas pendant dix ans dans l’affaire Schwarzenegger.
Les allégations portées contre Dominique Strauss-Kahn, champion du capitalisme mondial au FMI, envoient un message particulièrement fort car cette institution est chargée de mettre en place des politiques visant à réduire la pauvreté, prévenir la crise et soutenir le développement durable, toutes politiques qui influent directement sur le bien-être des femmes dans le monde en développement, du genre des femmes impliquées dans les affaires de Dominique Strauss-Kahn et d’Arnold Schwarzenegger, notamment. On sait par la presse que la mère du fils de ce dernier vient du Guatemala et que la femme de chambre de 32 ans qui a accusé DSK de tentative de viol, d’agression sexuelle et d’acte sexuel criminel est originaire d’Afrique de l’Ouest. Aux Etats-Unis, le nettoyage des bureaux, des hôtels et des logements est de plus en plus le domaine d’immigrées non qualifiées. A Chicago, où j’ai vécu pendant des années, les Polonaises étaient omniprésentes dans les sociétés de gardiennage des luxueux gratte-ciel de la ville. Au Texas, où je vis aujourd’hui, les Latino-Américaines représentent la majorité du personnel d’entretien résidentiel et commercial. Elles sont au bas de l’échelle, où elles servent des gens aisés. Et certains des hommes pour qui elles travaillent seraient ravis qu'elles soient sexuellement à leur service.
A un moment ou à un autre de leur vie, les femmes font l’expérience de la marginalisation et de la discrimination. Les affaires Schwarzenegger et Strauss-Kahn nous rappellent que, même si notre situation a beaucoup évolué, nous ne sommes jamais que des domestiques.
S. Eudora Smith
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