Ainsi donc, il ne faudrait rien dire. Comme si la pathétique chute aux enfers de DSK pouvait éclipser la honteuse pantomime de justice à laquelle nous avons assisté ces derniers jours. Clearstream, l’autre raison d’avoir honte.
Ainsi donc, il ne faudrait rien dire. Faire comme si la justice pouvait passer dans un silence assourdissant, comme si nous étions dans un procès ordinaire. Comme si la pathétique chute aux enfers, dans les bas-fonds de la loi new-yorkaise de DSK pouvait éclipser la honteuse pantomime de justice à laquelle nous avons assisté ces derniers jours dans notre propre pays. Clearstream, l’autre raison d’avoir honte.
D’abord, rappelons une évidence. Jamais, en France, nous avons vu des enquêtes policières et judiciaires menées au seul profit d’un homme, le Président de la République, Nicolas Sarkozy. Il a été en fait le vrai chef d’une enquête qui lui a permis d’abattre celui qu’il considérait comme son principal rival. Chef de la police, patron des procureurs, il a instrumentalisé dans la plus grande indifférence, avec des moyens en hommes considérables, une affaire à son seul profit politique. L’accusation est grave ? Même pas.
Elle est d’une telle évidence qu’elle crève les yeux. Elle est un peu comme la lettre d’Edgar Allan Poe. Elle est là, devant nous, et nous ne la voyons pas. Nous sommes aveuglés par le trop plein de lumière, l’excès de bruits en tous genres entourant cette affaire qui oscille entre John le Carré et le théâtre de boulevard. Certes, les accusés ne sont pas des anges. Mais là n’est pas la question. Il faut se pencher sur les béances de l’instruction, sur les négligences, le refus d’aller fouiller des pistes oubliées, ou, plus exactement, délibérément obstruées par les plus hauts instances de notre pays.
Donnons quelques exemples : en 2004, quand Imad Lahoud, notre génial informaticien (que les services secrets s’arrachent alors car le gros malin a promis d’aider à la capture de Ben Laden, pas moins) , se perd en gesticulation autour de ces fameux listings, qui rencontre-t-il ? Qui sont ses interlocuteurs ? Jean-Louis Gergorin, bien sûr, mais aussi, et surtout, des collaborateurs directs et très proches des deux plus grands patrons des renseignements généraux de l’époque : le commissaire Brigitte Henri, grande spécialiste des affaires troubles d’Yves Bertrand, numéro Un des RG, proche de Chirac, et le commissaire Casanova, proche de Bernard Squarcini, alors numéro deux des RG, aujourd’hui patron de la DCRI, et surtout membre du cercle intime du Président Sarkozy.
A l’époque, les deux hommes se livrent une guerre impitoyable pour le contrôle des informations au profit de leurs mentors respectifs dans la perspzective de l’élection présidentielle de 2007. Un détail ? Donc, en d‘autres termes, Imad Lahoud livrait "en live" ses infos à qui voulait bien l’écouter. Le listing Clearstream était entre toutes les mains depuis le début, et donc manipulable par de nombreuses sources. Cette guerre secrète et oubliée est au cœur de l’affaire Clearstream. Mais elle a été totalement étouffée.
J’ai suivi au plus près, durant de longs mois, cette croquignolesque bacchanale politique, (j’en ai même fait un livre, "La guerre des Trois", chez Fayard), les acteurs en sont témoins, et je suis scandalisé par ce procès inique. Imad Lahoud, donc, au moment même où ce malheureux Jean-Louis Gergorin va livrer son "affaire d’Etat" au juge Van Ryumbeke, en mai 2004 -vous me direz que pour un corbeau, aller se confier à un magistrat considéré comme un modèle d’intégrité n’est pas le signe d’un comploteur, mais plutôt d’un pigeon – notre ami Lahoud rencontrait tout le monde, dans tous les camps.
Il n’y avait donc aucun secret pour tous ceux qui ont pour mission la cueillette des secrets. Le listing Clearstream était connu de tous et tout le monde l’avait. La DGSE, la DST, les RG, et donc, forcément les autorités de tutelle. Michèle Alliot-Marie à la Défense, et sans doute aussi Nicolas Sarkozy qui n’était plus à l’Intérieur, mais qui avait des relais d’une extraordinaire puissance au sein de la place Beauvau. Les juges n’ont pas voulu ouvrir cette boîte de pandore. La vérité judiciaire y est pourtant enfouie. Voir Villepin en "deux ex machina" est une belle blague. Pas forcément à son honneur, d’ailleurs. A l’époque, Dominique de Villepin, ministre de l’Intérieur, est un ministre de pacotille. Il est même considéré comme un intrus par la haute hiérarchie policière, toujours attachée à Sarkozy Vous suivez ?
Le listing Clearstream a, c’est sûr, été manipulé par Imad Lahoud, ce brillant mathématicien et incroyablement sympathique, mais ses commanditaires ne sont peut-être pas à la barre du tribunal. Quelques mois avant le procès, ce dernier se répandait dans Paris, annonçant qu’il était en train de négocier son témoignage avec des amis du Président pour charger Villepin et, en échange, pour protéger sa famille. Un pacte secret scellé dans l’ombre des juges ? Il faut se méfier, évidemment des élucubrations de Lahoud. Il a tellement menti. Mais quelque choise ne tourne pas rond dans ce procès. Quelque chose qui s’appelle un déni de justice. Il y a un bon vieux relent de procès stalinien, en ce moment au tribunal de Paris.
Serge Raffy - Le Nouvel Observateur
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.