lundi 20 juin 2011

De la crise sociale à la crise politique





De l’avis général, le plan dit de « sauvetage », élaboré sous l’égide de plusieurs pays européens et du FMI il y a un an, s’est soldé par un échec. Si elles sont multiples, les causes de la double faillite du pays et des bailleurs de fonds internationaux n’étaient que trop prévisibles.


Un an de rigueur : débâcle sociale


L’éventail de « réformes » déployé par un plan de rigueur imposé aux autorités helléniques en échange d’une aide internationale — par ailleurs indirecte et précautionneuse — ont entièrement porté sur le pouvoir d’achat des classes populaires et des classes moyennes. Des taxes vertigineuses ont ainsi frappé la nourriture, les carburants ainsi que la plupart des biens de consommation. Parallèlement, les coupes dans les budgets sociaux ont mis à la charge des ménages un nombre croissant de dépenses jusque-là prises en charge totalement ou partiellement par la collectivité. Le gel ou la réduction des salaires ont achevé de faire reculer la consommation. Pour assurer le remboursement des emprunts, l’économie aurait dû soutenir une croissance minimale de 5% annuels pendant une décennie.

… et effondrement économique

Or, elle est entrée en récession, avec un taux de croissance négative de -2% en 2010. L’activité des plus grandes industries du pays s’est effondrée, chutant de 50% en quelques mois dans l’important secteur de la construction. Conséquence directe de cette dégringolade tous azimuts des revenus, celle de la recette fiscale, qui devait être mise à contribution pour couvrir la dette astronomique du pays, camouflée des années durant par le gouvernement conservateur qui a précédé celui de M. Giorgios Papandréou, dirigeant du PASOK (Parti socialiste panhellénique). La discipline de la finance internationale, docilement acceptée par ce dernier, n’a guère mis à contribution les plus riches. La “ploutocratie”, qui n’a cessé d’être favorisée depuis des années par des mesures de plus en plus tolérantes vis-à-vis de l’évasion des capitaux, a continué à placer son argent à Chypre ou dans d’autres paradis fiscaux. Les banques n’ont cessé de manier des matériels financiers douteux ; le destin du pays a été livré aux spéculateurs.

La rigueur ou l’insurrection

C’est dans ces conditions sociales et économiques cataclysmiques que Français, Allemands et financeurs publics et privés conditionnent un nouveau “plan” de sauvetage à une rigueur redoublée. Celui-ci se heurte désormais à une opposition frontale de la population. Depuis une semaine, des scènes d’émeutes urbaines ont lieu sur la place Syntagma, face à l’imposant édifice qui abrite le Parlement grec. Sur le plan politique, le Premier ministre Papandréou doit faire face à une fronde au sein de son propre parti. Plusieurs parlementaires PASOK ont annoncé leur démission, et le chef de l’exécutif a dû démettre une proche, la ministre de l’Économie Louka Katseli, au profit de son grand rival Evangelos Venizelos. « Seuls des dictateurs pourraient appliquer de telles mesures », avertit l’une des banderoles les plus notables déroulées dans le centre de la capitale. Un slogan qui fait écho à un refus général des nouvelles mesures d’austérité : un sondage récent a montré que celles-ci étaient rejetées par 90% des personnes interrogées.

« Il va y avoir des morts »

Pris entre l’implacable exigence de rigueur exprimée aussi bien à Paris qu’à Berlin et à New York et un mouvement de contestation qui gagne en ampleur et en organisation, miné par des rivalités internes, le gouvernement hellène ne dispose plus de réelles marges de manœuvre. Une atmosphère encore tendue par des déclarations fracassantes, telle celle de M. Alan Greenspan, ancien Gouverneur de la Banque fédérale des États-Unis d’Amérique, qui affirmait que les probabilités d’un défaut de la Grèce étaient « si élevées qu’on peut dire qu’il n’y a pas d’autre issue ». « Il va y avoir des morts », scande-t-on en retour dans les rangs des manifestants, qui sont de plus en plus nombreux à parler de« renversement » ou de « révolution ». La discipline des grandes centrales syndicales, souvent dénoncées par les révoltés, tempère pour l’instant la montée de la violence. Pour combien de temps ? S’ils sont parfois appelés « Aganaktismenoi », traduction grecque d’« indignés », les citoyens n’adoptent guère le registre festif et pacifique qui a caractérisé les rassemblements espagnols. Dans un pays où le sentiment national est puissant, le diktat des puissances européennes et du FMI en faveur d’une vente de l’ensemble des biens nationaux aux capitaux étrangers est plus mal accepté encore que les privilèges de la “ploutocratie”. La Grèce, aujourd’hui, est au bord de l’insurrection.

Geoffroy Géraud-Legros


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