jeudi 23 juin 2011

Grandir avec la violence pour modèle

"Un enfant sur dix victime de harcèlement à l'école""une fillette agressée au cutter par des CM2""massacré à coups de marteau par deux ados""viol d'une mineure de 13 ans : trois ados de 12 à 14 ans interpellés". On pourrait multiplier à l'infini ces exemples que relatent chaque jour nos médias.
Pour expliquer cette violence, journalistes et experts évoquent le plus souvent, au choix, des prédispositions génétiques, le laxisme de parents démissionnaires, la philosophie libertaire née de Mai-68, la pauvreté, la déliquescence de l'école, les spécificités ethnoculturelles de certaines populations immigrées, etc.
Curieusement, l'influence possible des images violentes n'est presque jamais soulignée. D'ailleurs, quand le sujet affleure, c'est toujours sur un air de déni. On nous explique alors, comme le psychanalyste Michael Stora, que les images "ne sont que des révélateurs de pathologies déjà existantes" et que les contenus violents possèdent "une dimension cathartique, permettant au spectateur de se purger de ses pulsions agressives".
Depuis cinquante ans, aucun sujet n'a été étudié avec autant de constance par les scientifiques du monde entier que celui de l'influence des images et jeux vidéo violents.
Dans une revue exhaustive, l'Académie américaine de pédiatrie a répertorié plus de 3 500 études pour la seule question de savoir si l'exposition à des contenus audiovisuels violents augmentait le niveau d'agressivité du spectateur. Seuls dix-huit travaux n'ont pas révélé d'influence. Tous les autres ont rapporté une association positive d'une magnitude équivalente à celle qui lie tabagisme actif et cancer du poumon. Pas une seule recherche n'a identifié d'effet cathartique, c'est-à-dire de diminution des comportements violents en présence d'images violentes.
A la lumière de ces évidences on comprend aisément que l'Académie américaine de pédiatrie affirme aujourd'hui sans détour, en accord avec tous les spécialistes du domaine que "les évidences sont. maintenant claires et convaincantes : la violence dans les médias est l'un des facteurs causaux des agressions et de la violence réelle. En conséquence, les pédiatres et les parents doivent agir (…) Le débat devrait être terminé."
En pratique, les images violentes agissent à trois niveaux :
  • La désensibilisation à la souffrance d'autrui ;
  • L'augmentation des sentiments d'angoisse et d'insécurité ;
  • L'exacerbation de l'agressivité.
Les études montrent clairement que l'enfant finit, à force d'être abreuvé de contenus violents par intérioriser les normes qui lui sont présentées. Ce processus opère, pour une large part, de manière inconsciente. Cela explique sans doute les résultats de travaux récents montrant, contrairement à une idée fréquemment admise, qu'il ne suffit pas d'accompagner l'enfant en lui parlant (ce que très peu de parents font de toute façon) pour effacer les effets néfastes des contenus violents sur l'angoisse et l'agressivité.
Il est sans doute important de rappeler à ce stade que les jeux vidéo ultraviolents destinés aux adultes sont largement utilisés par les enfants et les adolescents. De même, il est intéressant de répéter que les enfants de 4 à 14 ans passent deux heures et quart par jour devant la télé, dont une heure et cinquante minutes face à des programmes pour adultes joliment dénommés "tous publics".
Ce seul facteur télévisuel amène nos jeunes spectateurs à voir chaque année près de 1 800 meurtres et 9 000 actes violents. Dans la majorité des cas ces derniers apparaissent réalistes, moralement justifiés et dénués de conséquences judiciaires ou traumatiques. Comment penser sérieusement que ce déluge pourrait laisser indemne le cerveau d'un enfant ?
Selon une étude récente, chaque heure de programmes violents consommée quotidiennement à 5 ans multiplie par plus de quatre la probabilité qu'un enfant présente des comportements violents et asociaux à 10 ans.
Plus généralement, une simulation publiée dans le prestigieux journal de l'association américaine de médecine avait permis de conclure que "si, hypothétiquement, la technologie télévisuelle n'avait jamais été développée, il y aurait aux Etats-Unis chaque année 10 000 homicides de moins, 70 000 viols de moins et 700 000 agressions avec blessures de moins". Nous voilà loin d'un effet homéopathique.
Ces données nous semblent d'autant plus indiscutables que nous constatons chaque jour leur validité sur le terrain thérapeutique. L'écrasante majorité des parents qui sollicitent une consultation pour leur enfant évoquent des troubles émotionnels, attentionnels et/ou comportementaux. Ils se disent alors dépassés par les accès d'angoisse, de violence, de rébellion, et/ou d'hyperactivité de leur géniture. Quand on creuse un peu on s'aperçoit souvent que celle-ci est exposée quotidiennement à un incroyable bain de contenus violents (jeux, journal télévisé, films, séries).
De manière frappante, lorsque cette immersion est résorbée par un strict encadrement parental, on observe en quelques semaines une diminution substantielle de l'agitation, de l'anxiété, des accès de colère, des troubles du sommeil et des difficultés de concentration. Ce ne sont là certes, que des observations cliniques non quantifiées mais, encore une fois, elles corroborent parfaitement les conclusions des travaux les plus rigoureux de la littérature scientifique.
Ainsi, l'influence délétère des jeux vidéo et programmes audiovisuels violents sur le comportement de l'enfant est aujourd'hui clairement établie. Bien sûr, cela ne signifie pas que la télé soit responsable de toute la violence du monde. Cela indique "simplement", en opposition avec un discours encore trop répandu, que télé et jeux vidéo violents jouent un rôle important dans la genèse de la violence qui frappe nos écoles et plus généralement nos sociétés.
En agissant sur ces facteurs causaux, somme toute aisément accessibles, nous contribuerions à l'édification d'un monde significativement moins violent.
Michel Desmurget, chercheur Inserm, Sabine Duflo, psychologue clinicienne, Bruno Harlé et Marie-Aude Geoffray, pédopsychiatres hospitalier

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