23 ans après l’assaut de la grotte d’Ouvéa, Philippe Legorjus, ancien patron du GIGN, a confié aux Nouvelles Calédoniennes que des indépendantistes kanaks auraient bien été exécutés.
L’assaut de la grotte d’Ouvéa est toujours dans les mémoires néo-calédoniennes. 23 ans après des faits dont l’issue reste toujours obscure, Philippe Legorjus a jeté un pavé dans la mare. Dans les colonnes des Nouvelles Calédoniennes de jeudi, l’ancien patron du GIGN a affirmé que des indépendantistes kanaks avaient été exécutés en 1988. "Je n’ai pas assisté aux exécutions mais j’ai vu des choses. Par exemple la manière dont Alphonse Dianou a été traité après l’assaut. Il est mort d’un manque de soins", a déclaré l’ancien militaire. "Pour les autres (deux Kanaks, ndlr), les debriefings ont bien montré qu’il y avait eu exécution. Effectivement", a-t-il ajouté.
Le 22 avril 1988, le gendarmerie de Fayaoué, sur l’île d’Ouvéa, avait été prise d’assaut par un commando du FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak Socialiste) mené par Alphonse Dianou. Quatre gendarmes avaient été tués dans l’attaque, une quinzaine de personnes avait été prise en otage dans la grotte de Gossanah, deux jours avant le 1er tour de la présidentielle 1988.
Le 5 mai 1988, à trois jours du second tour, l’opération "Victor" était déclenchée par les autorités françaises, provoquant la mort de deux militaires et de 19 Kanaks. Une action qui avait provoqué une vive émotion en Nouvelle-Calédonie autour des conditions très controversées de leur mort. "A Ouvéa, c’est le pays tout entier qui nous observait. Avec, à sa tête, un président de la République et un Premier ministre, engagés, l’un contre l’autre, dans une féroce bataille électorale", a raconté Philippe Legorjus à L’Express, en mai 1990.
Un entretien qui tombe à pic ?
"Il y a eu une loi d’amnistie dans le mois qui a suivi. Je trouve cela aberrant", déclare Philippe Legorjus. S’il n’avait pas pris part directement à l’opération, il était assis à la table des négociations quelques jours plus tard. En avaient découlé les accords de Matignon, signés entre indépendantistes kanaks et "caldoches" loyalistes, et l’amnistie interdisant tout procès. Interrogé sur la question de l’amnistie, quelques années plus tard, Michel Rocard, alors Premier ministre, avait déclaré que s’il n’avait pas signé d’amnistie, il aurait été obligé de condamner des officiers français…
Une affaire qui a chamboulé sa vie et ses conceptions, le poussant même à quitter la gendarmerie peu de temps après le drame d’Ouvéa. "Aucune raison d’Etat ne vaut la mort d’un homme. C’était devenu trop petit pour moi. Pas les hommes, mais le système", expliquait-il pour justifier son départ du GIGN. Sur cette affaire, il a écrit un livre "La Morale et l’action", dont Mathieu Kassovitz a tiré un film au casting prestigieux (Sylvie Testud, Malik Zidi, Philippe Torreton) et intitulé "L’Ordre et la morale".
Ses déclarations interviennent d’ailleurs dans un contexte très particulier, à quelques mois de la sortie, le 21 septembre, du film de Mathieu Kassovitz "L’ordre et la Morale". "(Ce film) est très beau et reflète bien la réalité",concède Philippe Legorjus, dont le personnage est interprété par Kassovitz lui-même. S’il reconnaît que le scénario original était "trop caricatural", il dit apprécier la version finale qui rend le film beaucoup plus "équilibré". Un entretien qui tombe également à pic pour mettre un coup de projecteur sur un film dont le budget initial (8 millions d’euros) a doublé et dans un contexte de recherche d’apaisement avant l’application des accords de Nouméa.
"Les habitants d’Ouvéa ne doivent plus rester en marge de l’histoire"
Louis-José Barbançon © DR
Pour l’historien Louis-José Barbançon, ce qui est le plus important, c’est que les habitants d’Ouvéa, 23 ans après le drame, ne restent pas en marge de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. "Les gens d’Ouvéa ne doivent plus être tenus à l’écart, car ils ont eu un rôle capital dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie", explique-t-il. "Dans la signature des accords de Matignon, il y a le sang d’Ouvéa, des Kanaks et des gendarmes. Ils ont le droit à ce film, pour ne pas rester toujours des marginaux, ceux par qui le scandale est arrivé. Parler d’Ouvéa, c’est indispensable. Leurs enfants ne doivent pas vivre avec ce poids."
Consulté par les scénaristes, il n’a en revanche jamais eu l’occasion de rencontrer Mathieu Kassovitz lors de la préparation du film. S’il a suivi de loin les polémiques liées au tournage, Barbançon garde un oeil sur l’affaire. Il regrette que le fils de Dianou n’ait pas voulu participer et que le FLNKS ne se soit pas plus impliqué. "Le FLNKS n’a rien fait pour que le film se fasse car il ne s’y retrouve pas. Roch Wamytan (ndlr : président du FLNKS qui avait signé les accords de Nouméa) était même contre le fait qu’il y en ait un", explique l’historien qui rappelle que Dianou était avant tout un membre de l’Union Calédonienne, alors dans un cycle de guerre. "Si l’UC a le pouvoir depuis 20 ans, c’est parce que les gens se souviennent de son rôle dans Ouvéa, qu’il y a eu des membres de l’UC tués dans la grotte".
Quand on l’interroge sur l’influence que peuvent avoir les déclarations de Legorjus et le film de Kassovitz, Louis-José Barbançon ne se mouille pas : "Tout dépend de l’état d’esprit de chacun. Ouvéa a montré ce qu’il ne faut plus faire, les limites au-delà desquelles il n’est plus possible d’aller, l’admissible et le non admissible. C’est un marqueur de réflexion, la limite indicative pour tout futur gouvernement national.
"Il y a un avant et un après-Ouvéa dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie et ses rapports avec la métropole",rappelle Barbançon. Ce sont désormais aux Néo-Calédoniens dans leur ensemble de créer une histoire commune en choisissant l’indépendance ou le maintien dans la République française entre 2014 et 2018.
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