P-au-P, 25 juil. 2011 [AlterPresse] --- L’aide humanitaire concentrée à Port-au-Prince suite au séisme dévastateur du 12 janvier 2010 et les initiatives centralisées à la capitale dans le cadre de la reconstruction amènent à une concentration plus élevée de la population dans cette ville, confirment des experts.
« C’est clair que la zone métropolitaine a atteint sa saturation », affirme le statisticien-démographe, Jacques Hendry Rousseau. Le secteur qui regroupe les communes de Port-au-Prince, Delmas, Carrefour, Pétion Ville, Tabarre et Cité Soleil, croit au rythme annuel de 4,5% l’an, souligne t-il.
« La concentration devient très importante et c’est une évidence rien qu’à la lumière de la présence physique dans les rues de Port-au-Prince. Et… on se rend compte que les quartiers populeux fourmillent d’individus », observe t-il.
Plus de 18 mois après la catastrophes qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts et emporté 120% du PIB, les tendances migratoires ont abouti à un scenario qui laisse présager le pire, alors que les habitudes de construction n’ont pas évolué.
L’incroyable revient au galop
« Avant le séisme la densité dans l’aire métropolitaine était de 12 000 habitants par kilomètre carré et ceci a été (…) étroitement lié à la sévérité des dégâts du séisme », rappelle l’expert.
Au lendemain de la catastrophe si 600 mille personnes ont quitté l’aire métropolitaine principalement pour les villes de provinces, plus de la moitié était revenue 6 mois plus tard, attirée par l’aide humanitaire, notamment le Cash for Work. Mais à côté de cela, les perspectives de reconstruction ont joué un grand rôle.
Dans « Aide alimentaire, Environnement et migration en Haïti, après le 12 janvier », une étude publiée en mai 2011, Hancy Pierre rappelle que la migration a toujours existé en Haïti mais ne suscite l’attention qu’en période de crise. Selon lui la question de la migration est avant tout liée aux soucis économiques, très marqués dans les provinces.
« De nouvelles villes secondaires viennent jouer les fonctions commerciales et culturelles, en l’occurrence Pétion Ville et Tabarre, en raison du phénomène d’excroissance de la capitale. Port-au-Prince…est considéré comme un lieu de prestige. Ainsi le discours sur les opportunités de reconstruction d’Haïti a des effets significatifs sur le projet des ruraux de migrer vers Port-au-Prince », indique Hancy Pierre.
En réalité, à l’intérieur de la capitale et ses périphéries, la population a aussi énormément bougé. A Tabarre, 4 personnes sur 10 habitaient une autre commune de la zone métropolitaine avant le séisme, selon une enquête réalisée par le Fonds des Nations Unies pour la Population(UNFPA) . Une commune comme Pétion Ville a accueilli 14% des déplacés du secteur.
« Ce qui est important de souligner c’est que cette concentration urbaine s’accompagne de l’émergence de certaines poches de pauvreté dans les quartiers défavorisées à la périphérie urbaine », affirme Rousseau, soulignant que cette population croît « en dehors de l’habitat ».
Renforcement du chaos
Alors que les expulsions forcées et autres mauvaises conditions de vie ont notamment fait fuir des résidents de camps, certains sont revenus à la faveur des promesses de logements gratuits.
« Jusqu’à présent, on ne nous a rien dit. Ils ont dit qu’ils allaient donner de l’argent et des tentes, mais ils ne l’ont pas fait », raconte Myrlene Osias qui occupe un abri de fortune dans un camp à Carrefour Feuilles.
La maison qu’elle louait à Savane Pistache, toujours à Carrefour Feuilles, a été détruite lors du séisme, indique t-elle. Depuis quelques mois elle est venue s’installer dans un camp qui se vidait de certains de ses occupants, croyant qu’elle recevrait de l’aide pour se bâtir une maison.
« Ce n’est pas un endroit pour vivre, reconnait-elle. Les gens balancent les déchets n’ importe où. L’odeur est insupportable. Là bas, pas loin, il y a une latrine qui déborde et il n’y a personne pour la vider... On ne peut pas élever des enfants dans ces conditions. Ils grandissent et deviennent des délinquants… Je n’aime pas cette vie ».
En général les camps sont érigés au sein même ou non loin des quartiers d’origine. Mais l’exemple le plus inquiétant est celui de Canaan , une zone squattérisée au Nord de Port-au-Prince, et qui du jour au lendemain est devenu le plus gros bidonville du pays.
« Canaan n’est pas reconnu comme un camp de personnes déplacées par le Gouvernement d’Haïti. La terre a été déclarée ‘d’intérêt public’ par un décret présidentiel promulgué le 22 mars 2010 et le statut de ses résidents doit encore être clarifié », affirme le Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires de l’ONU (OCHA) dans son bulletin février-mars 2011.
Faute d’emploi, la plupart des 60 mille personnes habitant le site sont arrivés après le séisme et « beaucoup ont commencé à cultiver les terres autour de leur abri ou sur des zones inhabitées, afin de nourrir leur famille ».
La capitale est non seulement en train de s’étendre de manière incontrôlée mais aussi d’accentuer sa vulnérabilité notamment sur le plan environnemental. Les constructions anarchiques dans les hauteurs et le long du littoral rendent la capitale très vulnérable en période pluvieuse. Ceci a été démontré en juin dernier lorsque la ville a subi de sévères inondations au passage d’une onde tropicale.
Le pire à venir ?
« Avec la bidonvilisation, l’eau de pluie tombe sur du béton, des tôles des maisons et n’a même pas le temps de s’infiltrer dans le sol. L’eau dévale ainsi sur la ville. Or nous avons également construit au coeur de son exutoire », explique le ministre sortant de l’environnement, Jean Marie Claude Germain, évoquant les Cité de Dieu, Cité de L’eternel, bidonvilles situées le long du littoral.
« Et le phénomène actuel c’est que la capitale est prise en sandwich entre l’exutoire bouché et les constructions anarchiques en montagne. Et si on veut que la capitale demeure au même endroit, il faut des solutions drastiques, et même des délocalisations de personnes »
A coté des risques climatiques, les risques sismiques sont encore très forts, notamment pour la région métropolitaine. Selon les recherches, la faille Enriquillo qui traverse la capitale dans pratiquement toute sa longueur n’a pas encore libéré l’énergie qu’elle accumule depuis plus de deux siècles.
Cette situation soulève une fois de plus la nécessité de penser la reconstruction en tenant compte des grands problèmes du pays où des gravats laissés par le séisme restent encore à enlever, alors que les promesses faites à New York, soit 10 milliards de dollars, sont délivrées à la petite semaine.
Selon Jacques Hendry Rousseau l’aménagement du territoire est plus que jamais une « priorité ».
Le président de la République Michel Martelly, a dévoilé la semaine dernière son plan de logement basé sur 3 axes. Il s’agit de développer de nouveaux quartiers à l’intérieur et en dehors de la zone métropolitaine, restructurer et urbaniser les quartiers existant et densifier ceux qui sont déjà urbanisés en construisant en hauteur.
Cependant, si le président a signalé que ces axes seront intégrés « dans un cadre global d’aménagement du territoire », jusqu’ici les projets présentés, notamment « Kay pa m » , ne sont pas destinés aux pauvres et la question de l’aménagement du territoire n’est toujours pas concrétisée dans un plan.
« La reconstruction ne devra pas profiter qu’à Port-au-Prince. La reconstruction signifiera également de nouveaux pôles de développement, des opportunités économiques certaines, et un code de construction définitif », fait savoir Martelly, promettant qu’une fois son gouvernement formé ce code définitif pourra être présenté et appliqué.
Plus de deux mois depuis son investiture, le président n’est pas arrivé à un accord avec le législatif pour mettre en place son gouvernement. Les différends politiques entourant le processus de validation du nouveau candidat à la primature, Bernard Gousse, semblent indiquer que le statu quo perdurera encore et la reconstruction gardera du plomb dans l’aile.
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