"Les gaffes de la police": comme l'atteste la manchette du quotidien de droite Daily Mail, les graves émeutes qui ont secoué le quartier multiethnique de Tottenham, dans le nord de Londres, l'un des plus pauvres de la métropole, illustrent la crise qui frappe le Metropolitan Police Service (Met), la police de la capitale. L'image du bobby, îlotier débonnaire, flegmatique et sans arme, est de nouveau bien ternie.
Misère sociale, chômage, vexations racistes au quotidien, culture de violence et haine de la police expliquent les durs affrontements entre forces de l'ordre et plusieurs centaines de jeunes, toute la nuit du samedi 6 au dimanche 7 août, dans cette zone sensible où la majorité de la population est d'origine antillaise. Si le calme est revenu à Tottenham, des affrontements sporadiques ont eu lieu dans la soirée de dimanche dans d'autres quartiers sensibles comme Shepherd's Bush et Enfield.
TROP-PLEIN DE SCANDALES
28 policiers ont été blessés et 55 personnes ont été arrêtées lors de l'émeute de Tottenham. Plusieurs immeubles ont été incendiés et de nombreux magasins dévalisés par des jeunes casseurs, masqués ou cagoulés, certains venus d'ailleurs. Les émeutiers ont mis le feu à un autobus, à deux voitures de police et à de nombreuses voitures de particuliers.
Ces violences ont éclaté après plusieurs jours d'une vive tension provoquée par la mort, le 4 août, d'un homme de 29 ans, Mark Duggan, abattu par des tireurs d'élite du Met. La police avait coincé le taxi dans lequel se trouvait le suspect, apparemment armé, sous surveillance dans le cadre d'une opération de lutte contre les gangs antillais. Samedi en fin d'après-midi, plusieurs centaines de personnes ont manifesté devant le commissariat de Tottenham sans incidents majeurs. Ce rassemblement a dégénéré au cours de la soirée via les réseaux sociaux comme Twitter.
Le décès de Mark Duggan a soulevé une émotion d'autant plus grande que, ces derniers temps, on frôle le trop-plein en termes de scandales au sein de la police londonienne. Les émeutes arrivent à un très mauvais moment pour le Met, soupçonné de corruption dans le cadre de l'affaire des écoutes du News of the World. La police a perdu coup sur coup son chef, Sir Paul Stephenson, et son principal adjoint. Deux enquêtes, l'une parlementaire, l'autre policière, portent sur les paiements effectués par des journalistes du groupe Murdoch à des policiers en échange d'informations sur des personnalités. Par ailleurs, le procès du policier accusé "d'homicide involontaire" sur la personne de Ian Tomlinson, un vendeur de journaux, à la veille de la tenue du G20 à Londres en 2009, d'une hémorragie abdominale après avoir été violemment poussé, doit s'ouvrir prochainement.
RENFORTS DES COMTÉS VOISINS
L'effet de ces dysfonctionnements peut expliquer l'ampleur du saccage de Tottenham. La police est mise en cause parce que les forces de l'ordre ont apparemment patienté longuement avant d'intervenir. Décapité au sommet, le Met, plus importante force de police du royaume, a dû faire appel à des renforts venus des comtés voisins en raison de la vacance du pouvoir et d'un mauvais étalement des congés.
"Il n'y a aucune justification pour les agressions auxquelles la police et le public ont été confrontés et pour les dégâts causés", a commenté le premier ministre, David Cameron, en vacances en Italie, à propos du plus sérieux affrontement racial au Royaume-Uni depuis les troubles d'Oldham en 2001. Les responsables politiques de tous bords ont condamné ces violences. L'opposition travailliste n'a pas manqué toutefois d'exploiter cette émeute raciale dans un quartier extrêmement défavorisé frappé par le chômage, le désœuvrement des jeunes, la drogue et le commerce des armes. Le Labour voit dans ces violences l'effet de la politique d'austérité draconienne du gouvernement de coalition conservatrice-libérale-démocrate.
Ces incidents rappellent les violences dans le même quartier en 1985 au cours desquelles un policier avait été tué à coups de machette. Le royaume était alors plongé dans la récession thatchérienne provoquée par la baisse des dépenses publiques. Les mêmes causes produisent les mêmes effets…
Marc Roche
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