Cessons de jeter la pierre à la jeunesse ! Aucun enfant ne naît en se rêvant naturellement futur salarié pauvre, chômeur, allocataire du RSA ou voyou. C’est quand l’environnement socioéconomique et politique ne permet plus de rêver d’autre chose que tous les leurres sont agités par notre mauvaise-bonne conscience.
Aucune nostalgie n’est de mise. Rien n’a vraiment changé. La société guadeloupéenne du temps de notre jeunesse, de nos pères et de nos ancêtres n’était pas moins coloniale que celle d’aujourd’hui. C’est bien à force d’accepter d’être coloniale qu’elle est aujourd’hui dans l’impasse.
C’est vrai, moins d’enfants atteignaient le Secondaire. Il était juste, cependant, qu’en 1957 les lycéens de Carnot fassent grève pour réclamer plus de professeurs et plus de salles de cours. Il était juste que des profs, des élèves, des parents se battent durant des décennies pour ouvrir l’accès du Secondaire, voire de l’Université au plus grand nombre. Ce n’était rien d’autre qu’une aspiration démocratique. Sur ce plan, il n’y a pas eu échec, mais succès contre l’élitisme colonial encore empreint de l’idéologie esclavagiste, afin que l’origine raciale et sociale ne soit plus un obstacle au droit à l’Instruction... Alors, cherchons l’erreur !
La question qui se posait hier se pose aujourd’hui avec encore plus d’acuité. C’est le rapport de l’Education, de la Formation en général, avec le pays voulu. Le combat des Guadeloupéens pour l’accès aux libertés démocratiques élémentaires aura obéré à la longue cette liberté fondamentale pour un peuple qu’est le droit à l’autodétermination. Nos luttes ont privilégié les enveloppes institutionnelles en laissant toujours l’Etat français maître des contenus.
La France s’accommoda fort bien d’une colonie de services avec un personnel autochtone. Le relais de classes moyennes, issues du pays, composées de fonctionnaires, de professions libérales, de quelques cadres d’entreprises de commerce ne gênait en rien la domination étrangère. Au contraire, ces classes moyennes fournissaient une représentation politique locale, dirigeants-alibis, sans pouvoir d’Etat. Rien de bien méchant, pourvu que les affaires de la France continuent de plus belle, que la production se limite strictement aux exportations nécessaires sous pavillon français, que la grande distribution soit monopole d’importateurs français et le pouvoir politique monopole français.
Conditionnés de la sorte à servir autrui, rien qu’autrui, sans ambition pour les nôtres,penser efficace voulait dire prendre ce qu’on nous donne. Les esprits se trouvaient amputés de ce qu’un pays pourrait imaginer pour lui-même. Comment pourrions-nous rêver, et nos enfants de même, d’être entrepreneurs, ingénieurs, chercheurs, inventeurs, artistes professionnels, femmes et hommes d’Etat, sans du coup vouloir s’expatrier ? Comment pouvions-nous nous faire inventeurs du pays qui nous manque ?
Non, ce n’est pas seulement l’Ecole coloniale qui propose comme perspective le RSA, l’émigration ou la délinquance, mais l’incapacité pour la Guadeloupe de se projeter librement, en émerveillant sa jeunesse et son peuple. Longtemps les patriotes guadeloupéens ont réduit la question guadeloupéenne à une question de statut juridique. Toujours inscrit dans la Constitution française, toujours finalement octroyé, quand bien même la revendication s’appuierait sur de fortes mobilisations populaires. Il faut définitivement admettre que les Guadeloupéens, pères, mères, jeunes, professionnels, élus politiques, citoyens de toute classe, sont ensemble – je dis bien : ensemble - responsables de la Guadeloupe telle qu’elle est ou sera.
L’économie, l’Education, l’Emploi, la Culture, la Santé, la Sécurité, la Solidarité Sociale l’Aménagement du territoire, la gestion de l’Environnement, l’exploitation de la terre et de la mer, tout ce qu’un pays à le devoir de prendre en charge pour s’appartenir, sont notre affaire. L’avenir de la Guadeloupe n’est pas naturellement une compétence de l’Etat français.
N’y-a-t’il pas de guadeloupéens capables de s’y atteler ensemble ? C’est cela la vraie question : il est urgent d’y répondre. Si nous savons y répondre, les jeunes entendront autre chose que le RSA ou des boulots de merde, dans un pays de merde. La RESPONSABILITE est aujourd’hui une plate-forme politique minimale, surtout un comportement collectif à assumer. Ça vaut mieux que de ressasser tout le mal que nous fait le méchant colonialisme français.
Frantz Succab
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