L'Inde a décidé mercredi de suspendre l'ouverture de la grande distribution aux multinationales étrangères, un revirement majeur dû au tollé de la classe politique et des petits commerçants hostiles à une réforme censée révolutionner le mode de consommation du pays.
Attendu depuis des années par les géants mondiaux tels que le français Carrefour ou l'américain Wal-Mart, le projet avait été annoncé en fanfare le 24 novembre, sans que le gouvernement ne le soumette au Parlement.
«La décision d'autoriser les investissements directs étrangers à hauteur de 51% dans le commerce de détail multimarques est suspendue jusqu'à ce qu'un consensus soit atteint au travers de consultations avec les différentes parties», a déclaré au Parlement le ministre des Finances, Pranab Mukherjee.
Cette décision visant à libéraliser un secteur juteux évalué à 470 milliards de dollars (350 milliards d'euros) par an --appelé à croître grâce à la croissance de ce pays émergent-- avait provoqué un tollé de l'opposition et au sein de la coalition gouvernementale dirigée par le Premier ministre Manmohan Singh.
Sous les huées, les travaux du Parlement ont été quotidiennement suspendus.
Des manifestations et des grèves de petits commerçants, inquiets pour la survie de leurs échoppes face aux hypermarchés, ont été organisées dans plusieurs grandes villes.
L'ouverture d'un magasin de gros Carrefour à Jaipur (ouest) avait aussi été perturbée par une manifestation de membres du parti conservateur hindou Bharatiya Janata Party (BJP).
Selon un récent sondage de l'Association indienne des chambres de commerce et d'industrie (ASSOCHAM) réalisé auprès de 2.000 personnes dans dix grandes villes, 80% des propriétaires de petites échoppes se disent opposés à l'arrivée des grandes chaînes étrangères.
Elles sont déjà présentes en Inde en tant que grossistes mais elles ne peuvent vendre directement aux consommateurs de ce pays de 1,2 milliard d'habitants.
La décision de suspendre ce projet, dont l'annonce avait été saluée par les géants mondiaux du secteur et même par l'administration américaine, porte un coup majeur à l'image du gouvernement de centre-gauche, selon des analystes.
«C'est un gros revers et cela ne va pas être bien perçu par les investisseurs étrangers», a mis en garde P. Phani Sekhar, un expert financier au sein de la maison de courtage Angel Broking.
L'une des leaders parlementaires du parti d'opposition BJP, Sushma Swaraj, a pour sa part salué la suspension de la réforme.
«Se soumettre au sentiment populaire n'est pas une défaite du gouvernement (...) C'est une grande victoire pour la démocratie», a-t-elle lancé.
Plus tôt mercredi, une réunion multipartite avait été convoquée pour mettre fin à la paralysie du parlement.
Le ministre des Finances a dit espérer que le Parlement reprenne normalement ses travaux pour les dix jours restant de la session d'hiver. Les parlementaires doivent notamment examiner des projets de loi majeurs, dont l'un, très attendu, porte sur la lutte contre la corruption.
On compte en Inde plus de 12 millions de «kiranas», ces petites échoppes traditionnelles où s'empilent du sol au plafond boîtes de conserves en tous genres, qui font vivre plus de 25 millions de commerçants.
Les partisans de la libéralisation du commerce de détail font valoir la création de millions d'emplois, la perspective d'une amélioration de la chaîne d'approvisionnement, d'une réduction des prix alimentaires et d'une baisse de l'inflation, qui flirte avec les 10%.
L'entrée de plein pied des grands groupes étrangers dans le secteur pourrait en outre, argumentent-ils, moderniser les techniques de stockage et les méthodes de transport, réduire le problème chronique du gâchis alimentaire et garantir une meilleure chaîne du froid.
afp
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