lundi 13 février 2012

Déclaration de membres société civile antillaise



Parce que nous, Antillais, membres de la société civile, sommes filles et fils de terres françaises depuis la première moitié du XVII° siècle.

Parce que nous ne voulons pas aussi que notre appartenance à la communauté des citoyens français, essentielle pour beaucoup d’entre nous et seulement fonctionnelle pour d’autres, se solde par la négation de cette histoire particulière qui nous a constitués et que cette expérience inédite qui s’est déroulée sous le soleil de la Caraïbe, qui est aussi d’une certaine manière celle de la France, ne soit jetée dans les poubelles de l’Histoire.

Parce que nous pensons que le principe de la « République une et indivisible », qui en son abstraction politique peu paraître juste à beaucoup d’entre nous, ne doit pas porter atteinte à la diversité culturelle et que la mise en avant de l’expression « Français de souche » ne doit donner aucune supériorité à certains citoyens sur d’autres, fussent ces derniers minoritaires, ni en ce qui nous concerne, étouffer notre identité d’Antillais.

Pour tout cela, nous ne voulons pas qu’en notre nom les responsables de Martinique et de Guadeloupe accueillent le ministre de l’Intérieur, Monsieur Guéant, lors de sa prochaine visite dans nos îles respectives. Certes, le ministre est libre, en tant que représentant de l’Etat qui administre ces territoires, de les visiter. Mais nous, membres de la société civile, parce que nous sommes plus qu’une population administrée dans des territoires ultra-marins, mais des peuples réels au sens où Rousseau distinguait entre le « peuple politique » un dans son identité républicaine et le « peuple réel » dans sa diversité, nous voulons manifester fermement notre désaccord avec les dirigeants actuels de l’Etat français quant à la politique antirépublicaine qu’ils mènent à propos des questions d’identité nationale. Tel est notre honneur.

Parce que pour nous, Antillais, la République française à laquelle nous sommes attachés est celle qui se fonde sur des principes généreux comme ceux des droits de l’Homme et autres idéaux universalisables définis au XVIII° siècle, cette république qui, à deux reprises, a aboli l’esclavage dans nos pays et que nos ancêtres, comme nous aujourd’hui, ont vénérée. Or, nous savons que l’Etat français n’a pas toujours été à la hauteur de ces idéaux proclamés. Pensons aux expéditions coloniales, aux tortures, aux exterminations, à tous ces peuples humiliés et écrasés, au nom même de la supériorité de la culture européenne et enfin au régime de Vichy qui fut l’allié incontestable du nazisme. Certes, l’esclavage a été aboli définitivement en 1848, mais l’Etat s’est présenté comme un Etat qui au nom d’une république généreuse, « octroie » des droits alors que ces droits étaient déjà inscrits dans la personne même des esclaves et que c’est encore en leur nom qu’aujourd’hui nous trouvons la force de nous opposer à maintes formes de domination.

L’abolition de l’esclavage n’a pas mis fin au régime colonial et nous avons en mémoire les tueries perpétrées en Mai 1967 par les forces armées à Pointe-à-Pitre. Cette longue période coloniale s’est accompagnée aussi d’une idéologie assimilationniste faisant l’éloge de la « mission civilisatrice de la France » et entretenant chez nous un complexe d’infériorité, une sorte de mépris de notre « négritude » ou de notre « créolité ». Sous la troisième République, des « républicains » comme Jules Ferry ont osé proclamer qu’il y a des civilisations supérieures qui ont le droit de dominer des peuples inférieurs, et ont pu ainsi justifier des entreprises colonialistes redoutables dont des peuples d’Asie et d’Afrique ont fait les frais.

Pour toutes ces raisons et parce que nous sommes ce que nous sommes, les propos du ministre de l’intérieur, M. Guéant, concernant les civilisations supérieures, ne peuvent que nous choquer. Il est vrai que rien n’interdit de comparer les civilisations –en n’oubliant pas comme disait Paul Valéry qu’elles sont mortelles- et certaines peuvent mettre l’accent sur des valeurs nobles, universalisables. Mais ces valeurs, fussent-elles supérieures, n’implique pas qu’il y ait des civilisations supérieures. Chaque civilisation a ses splendeurs et ses misères car chacune exprime une expérience inédite de l’aventure humaine sur terre. La civilisation européenne a produit de hautes valeurs comme celle de l’égalité et de la démocratie mais elle a aussi produit la traite négrière, l’esclavage transatlantique, la Shoah –cela fait beaucoup tout de même- et en ce sens, elle n’a aucune leçon d’humanité à donner à personne.
Plus grave encore, le passif des discours et autres dérives xénophobes et obscurantistes de membres importants du Gouvernement, voire même du président de la République, est important :
Il y a tout d’abord la création dès l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy en 2007, de ce fameux ministère de l’immigration et de l’identité nationale rappelant une période sombre de l’histoire récente et qui en filigrane, laissait insidieusement entendre que les immigrés, perçus par le pouvoir exécutif comme « non assimilables », étaient une menace pour une supposée identité nationale clairement définie.
Il y a ensuite le tristement célèbre « discours de Dakar » où le président de la République avait osé affirmer que « l’Homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » ; propos d’un obscurantisme et d’un ethnocentrisme stupéfiants.
Que penser aussi du « discours de Grenoble » prononcé en juillet 2010 par Nicolas Sarkozy sur le thème de la sécurité, liant immigration et délinquance comme une relation évidente de cause à effet ? Stigmatisant les Roms, et opposant désormais deux catégories de citoyens, les Français de « souche » et ceux issus de l’immigration ? Car il ne peut en effet en être autrement lorsque l’on va jusqu’à proposer la « déchéance de nationalité » pour des crimes commis par des citoyens d’origine immigrée, mais citoyens à part entière avant tout ! 
Faut-il donc rappeler que l’ex ministre de l’Intérieur Brice, Hortefeux fait exceptionnel dans l’histoire politique française, a été condamné en première instance pour injures à caractère racial, même si depuis il a fait appel de ce jugement ?
Et l’on ne compte plus tous les « dérapages » verbaux à caractère xénophobes commis récemment par l’actuel ministre de l’Intérieur Claude Guéant : N’a-t-il pas fait part à maintes reprises de ses inquiétudes quant à «l’accroissement » du nombre de musulmans en France jugés « trop nombreux » ? N’avait-il comparé l’intervention française en Lybie à une véritable « croisade » ? N’a-t-il pas récemment stigmatisé les Français d’origine comorienne vivant à Marseille, et rendus responsables de la recrudescence de la délinquance dans cette ville ? N’a-t-il pas ordonné la réquisition d’un train – effarant symbole – pour l’expulsion manu militari de centaines de Roms vers la Roumanie, sans aucune considération humaine ?
A l’évidence, le Ministre de l’intérieur par ailleurs Ministre des cultes, se perçoit sans doute comme l’ultime défenseur d’une « France vernaculaire » pourtant introuvable, et est en proie à une obsessionnelle fantasmagorie de l’invasion étrangère. Au point de mettre tout en œuvre pour ralentir fortement toute immigration légale : sa circulaire visant à dissuader les étudiants étrangers qui le souhaitent, à débuter leur carrière professionnelle en France en est le triste exemple et ce, quand bien même les étudiants concernés trouveraient un emploi et créeraient de fait de la richesse sur le territoire national. Dans la même logique, on trouve aussi le durcissement des conditions d’accès à la naturalisation des personnes immigrées présentes en France depuis plusieurs générations, et ayant pourtant fait la preuve de leur volonté d’intégration, quelquefois en risquant leur vie !
Nous sommes attachés à une autre France que celle voulue par Monsieur Sarkozy et le Gouvernement actuel et nous nous sentons méprisés dans notre identité liée à une histoire dont nous avons héritée. Mais au-delà et du fait même de cette implication qui nous est propre, nous avons une responsabilité vis-à-vis de tous les peuples du monde également méprisés : celle d’être le porte-parole de l’affirmation de leur dignité. Nous lançons donc un appel solennel à toutes celles et tous ceux qui demeurent indéfectiblement attachés aux valeurs humanistes, de tolérance, et universelles : En guise de protestation pacifiste, nous invitons tous nos compatriotes des Antilles à être très ostensiblement vêtus entièrement de noir, couleur symbolisant le deuil de ces valeurs, durant toute la durée du séjour de Claude Guéant aux Antilles.


Premières signatures :

Pour la Guadeloupe : David Dahomay, Dany Joseph, Jacky Dahomay, Christian Saad, Hubert Jabot, Dominique Domiquin, Marlène Mélisse-Miroite, Claude Morton, Roger Toumson, Ernest Pépin, Gauthier Tancons, Alex Chalcou…Jean-Claude Courbain…
Pour la Martinique : Gustavo Torres, Alain Menil, Hector Elisabeth, Myriam Cottias, William Rolle, Manuel Norvat, Roland Sabra

Signer la pétition de la société civile antillaise en ligne à l’adresse http://www.izuba.info/petition/

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