Le 27 mai 1848 en Guadeloupe est la résultante d’un long processus conflictuel, de massacres et d’exil, notamment lors de la première abolition de l’esclavage de 1794, une abolition que n’a pas connu la Martinique étant passée sous domination anglaise. La guillotine et la terreur ayant fonctionné à plein régime en Guadeloupe lors de la révolution française sous le gouvernement de Victor Hugues 1794-1798. Toutefois, l’esclavage sera restauré par Napoléon en 1802.
A la veille de l’abolition de 1848, la Guadeloupe est animée par plusieurs forces antagonistes qui s’affrontent et se confrontent. Tout d’abord, chez les planteurs, une volonté émancipatrice est à l’œuvre chez certains colons, les partisans de l’abrogation de l’esclavage, une dynamique qui entre en collision avec la position des autres planteurs s’arc-boutant sur la défense du système esclavagiste et de leurs privilèges.
Les tenants du système esclavagiste par le biais de leurs organes de presse comme : L’avenir de la Guadeloupe, le Commercial se livrent à de la propagande en propageant leur idéologie esclavagiste qui consiste à présenter l’esclavage comme un bienfait pour les esclaves. Ils s’opposent aux réformes assouplissant et humanisant le régime de l’esclavage, d’ailleurs ils ne voient pas se profiler la future abolition ou refusent de le voir.
En réaction au front abolitionniste, les esclavagistes ayant prééminence au Conseil Colonial durcissent le régime, faisant preuve d’une cruauté, dont on aurait du mal à s’imaginer.
Depuis les lois réformistes de 1830, les esclaves sont sous la protection directe des magistrats-contrôleurs, mais à l’aube de l’abolition, les châtiments corporels perpétrés sur les esclaves sont de plus en plus abominables, sans que nullement les maîtres ne soient inquiétés par la justice.
Les annales judiciaires guadeloupéennes regorgent de faits particulièrement bien détaillés, faisant état de sévices corporels des maîtres sur leurs esclaves, allant jusqu’à la mort de l’esclave.
En dépit des lois, les maîtres sont protégés par la justice coloniale collusoire et complice, une justice supposée protéger les esclaves.
Dans les faits, très peu de peines sont appliquées et celles appliquées sont d’une légèreté outrancière contre les propriétaires d’esclaves.
Cette situation est connue en métropole et donne du grain à moudre aux abolitionnistes français tels que Victor Schoelcher, Lamartine, Victor Hugo, Ledru-Rollin, ils s’en prévalent dans leurs argumentaires dénonçant ce système esclavagiste moribond et mortifère. Des arguments qui ont un impact très fort puisqu’ils contribuèrent fortement au décret du 27 avril 1848.
Les libres de couleurs subissent les contrecoups de la radicalisation des planteurs, désormais, ils se voient refuser l’entrée de certains cafés, on refuse de les servir. De nombreux incidents éclatent, dont celui du 1 mai 1846 à Pointe à Pitre où suite à l’altercation avec quatre libres de couleur, les cafés sont devenus des clubs privés, d’autres se sont mués en Cercle. La ségrégation sévit dans l’île et exacerbe les tensions.
En revanche, d’autres planteurs sentant le vent tourner vendent à tour de bras leurs esclaves dans l’île de Porto Rico ou dans les autres colonies proches de la Guadeloupe, afin d’en tirer un bénéfice tant qu’ils le peuvent encore.
Car, face au durcissement des planteurs et des exactions envers les esclaves, ces derniers résistent, les cas de marronage se multiplient, ce qui est rapporté également à Victor Schoelcher, constituant un autre argument décisif dans le plaidoyer abolitionniste.
Nombres sont les esclaves qui n’hésitent plus à braver leurs maîtres, allant jusqu’à les tuer en affrontement physique ou par empoisonnement par exemple.
On dénombre des cas d’empoisonnement de planteurs, de leur famille ainsi que de leurs esclaves domestiques, de leurs animaux en représailles aux mauvais traitements. Des incendies de cases à bagasses, de champs de cannes ou de locaux administratifs s’accroissent entre 1847 et 1848.
De plus, les esclaves ont vent des thèses abolitionnistes en France, ce qui les galvanisent d’autant plus dans leur lutte quotidienne et le marronage s’accentuent, de même que les fuites d’esclaves vers les autres îles voisines de la Guadeloupe.
De réels réseaux clandestins se sont créés pour acheminer les esclaves hors de Guadeloupe, avec des passeurs qui monnaient à prix fort la traversée. On les appelle les Embaucheurs, ce sont des libres de couleurs propriétaires d’embarcations ou des marins pêcheurs.
Ces afflux massifs d’esclaves guadeloupéens créent des déséquilibres dans les îles voisines, ce qui préoccupe les autorités coloniales de ces colonies.
Ainsi, en mai 1848 la colonie guadeloupéenne est une vraie poudrière qui menace à tout instant d’exploser à l’instar de la Soufrière, ce d’autant que les esclaves savent qu’un décret d’abolition a été pris, qu’ils attendent et qu’ils ne voient toujours pas venir.
L’arrivée dans l’île du gouverneur Layrle sera un autre facteur qui contribuera à l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe.
Ce gouverneur au fait de l’état des choses dans la colonie souffle le chaud et le froid. Aux esclaves, il leurs martèle qu’ils doivent être patients, que leurs bons maîtres à demander pour eux la liberté et qu’une fois libres, ils devront continuer à travailler, car c’est à cause d’eux, ayant mal fait usage de leur liberté de 1794, que l’on a été contraint de les remettre en esclavage en 1802.
Tandis qu’il culpabilise les esclaves, aux colons, il les exhorte à préparer l’émancipation des esclaves afin d’organiser le travail libre pour qu’ils ne soient pas perdant dans l’histoire.
Peu à peu, du côté des planteurs, on saisit que si une émancipation devait survenir, il était essentiel de tout contrôler afin de pérenniser leur domination économique et politique.
Ainsi, quand la Martinique se libère de l’asservissement esclavagiste le 22 mai et que le décret du gouverneur Rostolan est proclamé le 23 mai, cette abolition sert d’accélérateur, l’histoire s’emballe, dès lors en Guadeloupe, il est certain aux yeux de tous, que l’abolition est incontournable.
Le gouverneur Layrle pour contenir toute insurrection décrète l’état de siège dans la colonie et presse le Conseil Colonial d’abonder en son sens, puis dans la foulée, le gouverneur Layrle décrète l’abolition le 27 mai, après avis unanime du Conseil privé, ce que son homologue Rostolan n’a pas eu loisir de faire.
L’émancipation des esclaves qui s’ensuit, se fait de façon très cadrée au profit du pouvoir colonial, le 29 mai 1848, une fête républicaine de l’émancipation est organisée à Basse-Terre, une messe est célébrée à l’Eglise de St François en présence du gouverneur et de l’ensemble du corps des autorités coloniales, civiles et militaires, ainsi que les colons.
Un arbre de la liberté est planté à côté duquel jouxte un drapeau tricolore, que les esclaves ont confectionné.
Dans ces célébrations le facteur ou l’image de l'esclave-résistant est complètement gommé, à dessein.
Contrairement à la Martinique, l’abolition en Guadeloupe a été un bouleversement régulé en quelque sorte, par le pouvoir colonial, les colons quant à eux, ont opté pour une décision opportune dans un souci stratégique de survie, ils ont su au pied levé préparer à leur avantage le changement de régime.
Indéniablement l’abolition de l’esclavage du 27 mai 1848 en Guadeloupe est un aboutissement maîtrisé, le fruit d’un processus inéluctable.
Différents facteurs ont permis que cette abolition se fasse, à la fois dans et à l’extérieur de l’île, avec une interaction des uns sur les autres, les esclaves même si contrairement à ceux de la Martinique n’ont pas fait une révolte, il n’en demeure pas moins, que les esclaves guadeloupéens ont été acteurs de leur émancipation.
Emmanuelle Bramban
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