samedi 14 juillet 2012

Julian Assange, les bactéries de la liberté, Barack Obama et la CIA



Je suis certain que la plupart des Américains sont très fiers de voir que Julian Assange a si peur d’être arrêté par les autorités US qu’il s’est réfugié à l’ambassade de l’Equateur, un minuscule et pauvre pays du Tiers monde, sans la moindre idée de comment son histoire finira. Il sera peut-être obligé d’y rester pendant des années. « Ca lui apprendra de déconner avec le pays le plus puissant du monde ! Tous les terroristes et anti-américains – prenez-en de la graine ! Ca coûte cher de déconner avec le pays de Dieu ! »

C’est tellement vrai. Et ça coûte effectivement cher. Demandez donc aux peuples de Cuba, du Vietnam, du Chili, de la Yougoslavie, d’Irak, d’Iran, de Haïti, etc., etc., etc. Et demandez aux gens de Guantánamo, Diego Garcia, et une douzaine d’autres centres de torture vers lesquels le pays de Dieu vous offre un billet gratuit.

Vous pensez que puisque le monde entier les observe, les Etats-Unis n’oseraient pas ouvertement torturer Assange s’ils lui mettaient le grappin dessus ? Demandez à Bradley Manning. Au minimum, l’isolement prolongé est une forme de torture. D’ici peu, il pourrait être interdit. Ce qui n’empêchera pas le pays de Dieu et d’autres états policiers de le pratiquer.

Vous pensez que puisque le monde entier les observe, les Etats-Unis n’oseraient pas ouvertement tirer sur Assange avec un drone ? Ils l’ont déjà fait sur des citoyens américains. Assange n’est qu’un vulgaire Australien.

Et l’Equateur et son président, Rafael Correa, en payeront le prix. Vous pensez que puisque le monde entier les observe, les Etats-Unis n’interviendront pas en Equateur ? En Amérique latine, intervenir est une seconde nature pour Washington. Pendant la Guerre Froide, on disait que les Etats-Unis pouvaient renverser un pays au sud de sa frontière avec un simple froncement des sourcils. Le dissolution de l’Union Soviétique n’a rien changé parce que le problème pour les Etats-Unis n’a jamais été l’Union Soviétique en tant que telle. Le problème pour les Etats-Unis était la menace d’un bon exemple d’alternative au modèle capitaliste.


Par exemple, le 21 janvier 2000 en Equateur, où près de deux tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, un très grand nombre de paysans indiens se soulevèrent par désespoir et marchèrent sur Quito, la capitale, où ils furent rejoints par les syndicats et certains jeunes officiers de l’armée (la plupart des militaires sont d’origine indienne). Cette coalition présenta une liste de revendications économiques, s’empara des bâtiments du Congrès et de la Cour Suprême, obligeant le président à démissionner. Il fut remplacé par un junte issu des rangs de la nouvelle coalition. L’administration Clinton s’en alarma. A part le réflexe d’hostilité conditionné de l’Amérique pour tout ce qui pourrait passer pour une révolution de gauche, Washington avait aussi le projet d’installer une grande base militaire à Manta (qui fut fermé plus tard par Correa). Et la Colombie – déjà gangrenée par des mouvements de gauche – se trouvat juste à côté.

Les Etats-Unis sont rapidement intervenus pour éduquer les dirigeants de la coalition Equatorienne sur les réalités de l’impérialisme sur le continent. L’ambassade américaine à Quito... Peter Romero, Secrétait d’état adjoint aux affaires latino-américaines... Sandy Berger, conseiller à la sécurité nationale du Président Clinton... le sous-secrétaire d’Etat Thomas Pickering... ont tous passé des coups de fil aux officiels équatoriens pour menacer de couper les aides, accompagnés de cette mise en garde : « l’Equateur se retrouvera isolé ». Et ils les informèrent que les Etats-Unis ne reconnaîtraient jamais un gouvernement constitué par la coalition, qu’il n’y aurait pas de paix en Equateur tant que l’armée ne soutiendrait pas le vice-président et que le vice-président devait poursuivre les « réformes » néolibérales - le genre d’ajustement structurel du FMI qui avait justement joué un rôle majeur dans le soulèvement précédent.

En l’espace de quelques heures, les chefs de toutes les armées équatoriennes déclarèrent leur soutien au vice-président. Les dirigeants du soulèvement se réfugièrent dans la clandestinité. Et ce fut la fin de la révolution équatorienne de l’année 2000. (1)

Rafael Correa a été élu pour la première fois en 2006 avec 58% des voix, et réélu en 2009 avec 55% des voix pour son mandat actuel qui se termine en août 2013. Les grands médias américains sont de plus en plus critiques envers lui. La lettre suivante envoyée au quotidien le Washington Post en janvier par l’ambassadeur de l’Equateur aux Etats-Unis est une tentative pour clarifier certaines choses.
Nous sommes outragés par l’éditorial du 12 janvier « Le voyou de l’Equateur », qui aborde une plainte déposée par notre président, Rafael Correa, après qu’un quotidien ait affirmé qu’il était coupable d’avoir donné l’ordre à des soldats de tirer sur des citoyens innocents pendant la tentative de coup d’état avortée de 2010. Le président a demandé au journal de publier les preuves ou de se rétracter. Lorsqu’ils ont refusé, il a porté plainte, comme le ferait n’importe quel citoyen.

Aucun journaliste n’a été emprisonné ou condamné à une amende au cours des cinq années de la présidence de Correa. Les critiques formulées par les médias – justes et injustes, parfois méchantes – contre le gouvernement sont quotidiennes. L’affaire qui concerne le quotidien est en appel. Lorsque le jugement sera rendu, a dit le président, il abandonnera tout ou une partie des dédommagements obtenus si le journal se rétracte. Je crois que c’est une solution couramment adoptée dans les affaires de diffamation aux Etats-Unis.
Votre auteur emploie des phrases odieuses telles que « république bannière », mais la réalité de l’Equateur d’aujourd’hui est celle-ci : pour la première fois depuis des décennies, nous sommes une démocratie très populaire, stable et progressiste.
Nathalie Cely, Washington
Pas d’abri contre les drones de la justice ou les bactéries de la liberté

Le président Afghan Hamid Karzai a récemment déclaré qu’il avait eu une dispute avec le Général John Allen, le haut commandant US en Afghanistan, sur les attaques par drones des Etats-Unis en Afghanistan, après une nouvelle frappe meurtrière aérienne qui a tué nombre de civils. Karzai a demandé à Allen une question très sensée : « Faites-vous la même chose aux Etats-Unis ? » Le président Afghan a ajouté : « La police intervient partout et tous les jours aux Etats-Unis. Elle ne fait pas appel à l’armée de l’air pour venir bombarder. » (2)

La question de Karzai à Allen était une question rhétorique, bien sûr, car peut-on imaginer que des officiels américains puissent bombarder une ville américaine sous prétexte que quelques méchants s’y trouvent ? En réalité, la chose est tout à fait imaginable parce qu’elle s’est déjà produite.

A Philadelphie, Pennsylvanie. Le 13 mai 1985, une bombe larguée par un hélicoptère de la police a incendié tout un pâté de maisons, détruisant 60 maisons, et tuant 11 personnes, dont plusieurs jeunes enfants. La police, le bureau du Maire et le FBI étaient tous impliqués dans cet effort pour déloger les militants d’une organisation appelée MOVE de la maison où ils habitaient.
Les victimes étaient toutes noires, bien sûr. Alors reformulons la question. Peut-on imaginer que des officiels américains bombardent une maison à Beverly Hills ou un quartier chic de Manhattan ? Restez à l’écoute.

Et que peut-on imaginer d’autre s’agissant d’une société hyper militarisée, qui est en guerre avec une bonne partie de la planète, qui est convaincue qu’elle a Dieu et l’Histoire à ses côtés ? Eh bien, la société de transport public de Boston, MBTA, a récemment annoncé qu’en coordination avecHomeland Security, elle prévoit de lâcher des bactéries mortes dans trois stations pendant les heures de fermeture des lignes cet été afin de tester les détecteurs d’agents biologiques, que les terroristes pourraient lâcher dans le métro. La bactérie, bacillus subtilis, n’est pas infectieuse, même vivante, selon le gouvernement. (3)
Cependant, là aussi il existe un précédent. Pendant cinq jours, en Juin 1966, l’armée a mené un test appelé « Une étude de la vulnérabilité des usagers du métro à New York City après une attaque clandestine avec des agents biologiques ». Des milliers de milliards de bacillis subtilis, variante niger, ont été lâchées dans le métro aux heures de pointe, en provoquant des nuages. Le rapport du test note que « lorsque le nuage a enveloppé les usagers, ils ont brossé leurs vêtements, puis regardé vers les grilles d’aération [situées au niveau de la rue] puis ont poursuivi leur chemin. » (4) Le vent provoqué par le passage des rames a éparpillé les bactéries le long des voies ; après le passage de deux trains seulement, les bactéries s’étaient répandues de la 15eme rue à la 58eme rue. (5) On ne sait pas combien de personnes sont tombées malades après avoir servi de cobayes involontaires parce que l’Armée des Etats-Unis, pour ce que l’on sait, ne s’est pas du tout intéressée à la question.

Pour le test prévu à Boston, le public n’a pas été prévenu des dates précises ; on ne sait pas non plus pendant combien de temps les bactéries seront présentes dans les stations ni quels sont les risques encourus pour les usagers avec un système immunitaire déficitaire.

Il faut noter que le test mené dans le métro de New York n’était pas le premier. L’Armée a reconnu qu’entre 1949 et 1969, 239 zones habitées dans tout le pays, y compris dans les territoires d’outre mer, ont été tapissées de différents organismes au cours de tests destinés à mesurer les voies de dissémination par air, les effets de la météo, les doses, le placement optimum des sources, et d’autres facteurs. Ces tests sont censés avoir été interrompus en 1969. (6)

Les officiels du gouvernement ont constamment nié que les agents biologiques pouvaient avoir un impact sur la santé malgré l’abondance d’arguments irréfutables et scientifiques qui démontrent qu’une exposition à de fortes concentrations d’organismes apparemment inoffensifs pouvait provoquer des maladies, au minimum dans les catégories les plus faibles de la population – les personnes âgées, les enfants, et les personnes atteintes de différentes maladies. « Un micro-organisme qui ne peut pas provoquer des troubles, ça n’existe pas, » a témoigné George Connell, assistant au directeur du Centre de Contrôle et de Prévention des Maladies, devant le Sénat en 1977. « Avec la bonne dose au bon endroit et au bon moment, et avec la bonne personne, il se passera forcément quelque chose. » (7)

Les Etats-Unis ont aussi utilisé des armes biologiques à l’étranger, de manière répétée, pas pour faire des test pour dans un but agressif. (8) Alors que répondra le pays de la haute (double) morale lorsque de telles armes seront employées contre lui ? Ou lorsque des drones étrangers s’abattront sur des villes américaines ? Ou lorsque de l’équipement de haute-technologie américaine sera saboté par une cyber-attaque comme les Etats-Unis avouent désormais l’avoir fait contre l’Iran ? Il y a un an, le Pentagone a déclaré que « le sabotage informatique par un pays tiers constituerait un acte de guerre... Si vous sabotez notre réseau électrique, il se pourrait qu’on vous envoie un missile par la cheminée, » a déclaré un officiel militaire américain. (9)
« Le vrai hypocrite est celui qui ne se rend plus compte qu’il est un hypocrite, celui qui ment en toute sincérité » - André Gide, 1869-1951

Barack Obama, sa mère et la CIA

Dans son autobiographie, Les Rêves de Mon Père, Barack Obama raconte comment il a pris un emploi après sa sortie de l’Université de Columbia en 1983. Il décrit son employeur comme « un cabinet de consultants auprès de sociétés multinationales » à New York, et ses fonctions comme « assistant à la recherche » et « rédacteur financier ».

Etrangement, Obama ne mentionne pas le nom de son employeur. Cependant, un article du New York Times du 30 octobre 2007 identifie la société comme étant Business International Corporation. Aussi étrange est le fait que le Times n’ait pas cru bon de rappeler à ses lecteurs ce que le quotidien lui-même avait révélé en 1977, à savoir que Business International Corporation servait de société écran aux employés de la CIA dans différents pays en 1955 et 1960. (10)
Le journal britannique, Lobster (« Homard » - NdT) – qui, malgré son nom saugrenu, est une publication internationale respectée sur le monde du renseignement – a révélé que Business International dans les années 80 faisait la promotion des candidats favoris de Washington en Australie et aux îles Fidji. (11) En 1987, la CIA renversa le gouvernement de Fidji au bout d’un mois au pouvoir parce que ce dernier avait déclaré les îles comme une zone libre du nucléaire, ce qui signifiait que les navires US à propulsion nucléaire ou transportant des matières nucléaires ne pouvaient plus faire escale. (12) Après le coup d’état, le candidat soutenu par Business International, beaucoup plus conciliant à l’égard des desiderata nucléaires de Washington, fut remis au pouvoir – R.S.K. Mara fut premier ministre ou Président des îles Fidji de 1970 à 2000, sauf pendant une période d’un mois en 1987.

Dans son livre, non seulement Obama ne mentionne pas le nom de son employeur, il ne mentionne pas non plus à quelle date il y a travaillé, ni quand il a quitté. Il se pourrait que ces omissions ne signifient rien, mais dans la mesure où Business International a une longue histoire de connivences avec le monde des services secrets, des opérations clandestines et des tentatives d’infiltration de la gauche radicale – dont Students for a Democratic Society (SDS) (13) – il est raisonnable de se demander si Obama n’aurait pas quelque chose à cacher sur ses propres liens avec ces milieux-là.
Plus étonnant encore est le fait que sa mère, Ann Dunham, a été pendant les années 70 et 80 employée, consultante, boursière ou étudiante d’au moins cinq organisations étroitement liées à la CIA au cours de la guerre froide : Ford Foundation, Agency for International Development (AID), Asia Foundation, Development Alternatives, Inc., et East-West Center of Hawaii. (14) Pendant une bonne partie de cette époque, elle a travaillé comme anthropologue en Indonésie et à Hawaï, bien placée donc pour recueillir des informations sur les communautés locales.

Comme un exemple des connexions de ces entreprises avec la CIA, prenons la révélation de John Gilligan, Directeur de AID sous le gouvernement de Carter (1977-81). « A un moment donné, de nombreuses agences locales d’AID étaient infiltrés de haut en bas par des gens de la CIA. L’idée était de placer des agents dans toutes les activités que nous avions à l’étranger, gouvernementales, volontariat, religieuses, toutes. » (15). Et Development Alternatives Inc est une organisation pour laquelle travaillait Alan Gross lorsqu’il a été arrêté à Cuba, accusé de faire partie de l’opération de déstabilisation du gouvernement cubain.

Comment les propriétaires de la société jouent avec leur bien

La Cour Suprême des Etats-Unis vient de confirmer la constitutionnalité de la loi sur l’assurance santé du Président Obama, la loi Affordable Care Act ("loi sur la santé abordable" - NdT). De nombreux progressistes sont très contents et considèrent cette décision comme une victoire pour la gauche.

Selon cette nouvelle loi, les gens peuvent en bénéficier de plusieurs manières, selon les critères suivants :
Leur age ; si leurs revenus sont inférieurs à 133% du seuil de pauvreté fédéral ; si leurs parents ont une assurance santé ; s’ils sont fumeurs ou non ; l’état de résidence ; leur état de santé ; s’ils sont habilités à acheter des assurances santé sur les nouveaux marchés appelés « bourses » ; et de nombreux autres critères... Ils peuvent obtenir une assurance de santé dans « un marché d’assurances concurrentiel » (soulignez « concurrentiel ») ; ils peuvent éventuellement postuler à différents types de crédits et réductions fiscales s’ils répondent à certains critères... Les auteurs de la loi affirment qu’elle fera économiser des centaines de milliers de dollars de médicaments aux bénéficiaires de MediCare en étendant la couverture. Ils disent que « elle oblige les sociétés d’assurance à rester honnêtes en établissant des règles claires qui limitent les principaux abus de la profession. »

Voilà à quoi ressemble une assurance santé aux Etats-Unis d’Amérique, au 21eme siècle, d’une complexité à occuper toute une armée d’avocats pendant les années à venir. A 150 km de là, dans la République de Cuba, les choses sont un peu différentes. Si vous êtes malade, vous allez voir un médecin. Vous avez automatiquement droit à tous les soins disponibles. Le médecin vous soignera du mieux qu’il pourra. Les compagnies d’assurance n’ont rien à voir là-dedans. D’ailleurs, il n’y a pas de compagnies d’assurance. Vous ne payez rien. Fin de l’histoire.

Sans aucun doute, la loi Affordable Care Act fera reculer de plusieurs années la lutte pour une couverture universelle de la santé. Sans aucun doute, c’était bien l’objectif recherché.

William Blum

Traduction par VD pour le Grand Soir avec probablement les fautes et coquilles habituelles malgré toutes les assurance prises
(1) Washington Post, January 23, 2000, p.1 ; ’The coup in Ecuador : a grim warning’, World Socialist Web Site, February 2, 2000 ; Z Magazine (Massachusetts), February 2001, pp.36-7(2) Washington Post, June 12, 2012
(3) Beacon Hill Patch (Boston), ’MBTA to Spread Dead Bacteria on Red Line in Bio-Terror Test’, May 18, 2012
(4) Leonard Cole, Clouds of Secrecy : The Army’s Germ Warfare Tests over Populated Areas (1990), pp.65-9
(5) New York Times, September 19, 1975, p.14
(6) ’Biological Testing Involving Human Subjects by the Department of Defense’, 1977, Hearings before the Subcommittee on Health and Scientific Research of the Committee on Human Resources, US Senate, March 8 and May 23, 1977 ; see also William Blum, Rogue State, chapter 15
(7) Senate Hearings, op. cit., p.270
(8) Rogue State, op. cit., chapter 14
(9) Wall Street Journal, May 30, 2011
(10) New York Times, December 27, 1977, p.40
(11) Lobster magazine, Hull, UK, #14, November 1987
(12) Rogue State, op. cit., pp.199-200
(13) Carl Oglesby, Ravens in the Storm : A Personal History of the 1960s Antiwar Movement (2008), passim
(14) Wikipedia entry for Ann Dunham
(15) George Cotter, ’Spies, strings and missionaries’, The Christian Century (Chicago), March 25, 1981, p.321

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