J’ai suivi la campagne présidentielle alors que j’étais en tournage aux États-Unis : à Washington, en Géorgie, à Harlem sur fond de cataclysme.
Ce n’est pas un hasard si la déferlante Django arrive au moment où Barack Obama prête serment pour la seconde fois.
Quand je pense à Washington, où le musée de l’histoire des Afro-Américains est en construction, je ne peux m’empêcher de comparer l’Amérique à la France. En 1913, le jeune Afro-Américain Eugène Bullard rêvait de droits de l’homme et s’embarquait pour cette terre promise. Un siècle plus tard, les jeunes Afro-Français rêvent de l’Amérique et donneraient tout pour quitter leur pays. Ils sont écœurés.
Pourquoi ? Parce qu’ils ont l’impression que la France continue de leur cracher au visage. Ils ont le sentiment d’être trahis. La preuve ?
En France, qui choisit-on pour faire respecter la « diversité » dans les médias ? Ceux qui plaignent les dépravés accusés de violer des Afro-Américaines, ceux qui accusent la justice d’outre Atlantique de traiter ces pervers comme sont traités les «malfrats de couleur».
En France, qui a le droit de parler au nom des victimes ? Les descendants de bourreaux.
En France qui occupe les tribunes de la télévision publique ? Les enfants gâtés sans talent ni cervelle qui ricanent de ceux qui ont tant souffert.
Injustice, imposture. Que se passe-t-il donc ?
Pour attendre les résultats, Obama s’était installé dans la ville de Chicago, bastion de la communauté afro-américaine, et là, songeur, il joua au basket pendant des heures.
Après l’élection, le discours que j’ai entendu à la radio, dans ma Dodge, sur l’Intersate, du côté de Columbus, résonnait étrangement.
Obama insistait sur l’égalité. J’ai monté le son. Je me rappelle très bien cette voix particulière.
L’Amérique est une famille, disait-il. Quelles que soient vos origines, quelle que soit la couleur de votre peau, vous avez le droit d’occuper toutes les fonctions. Vous pouvez devenir ambassadeur. Vous avez le droit d’être élu président.
Egaré sur les terres du Ku Klux Klan, à des milliers de kilomètres d’un vieux pays où les Afro-descendants n’ont aujourd’hui aucune chance d’être président ni seulement ambassadeur, ni même d’exister, ces mots semaient le trouble dans mon esprit.
Je me suis senti très américain tout d‘un coup. Et j’avoue que j’ai cherché pendant un bon moment une seule raison de rentrer en France.
Une France dont nous espériions tant qu’elle change.
Le 6 mai 2012, lorsque François Hollande est arrivé au Bourget, de jeunes Afro-Français l’attendaient.
Jusqu’à l’autoroute, ils ont couru aux côtés de la voiture. Le chauffeur n’osait accélérer. Lui n’osait baisser la vitre.
A-t-il au moins compris ce que cela voulait dire ? Et quand il est arrivé par l’avenue de Villiers place du général-Catroux, en direction de la Bastille, les a-t-il seulement vues, ces chaînes brisées illuminées ?
Quand on est président, est-ce qu’on tourne encore la tête ?
Je filmais dans les ghettos de Columbus, du côté de Talbotton avenue, là où Eugène Bullard a vécu jusqu’à ce que les cavaliers du KKK ne viennent entourer sa maisonnette pour lyncher son père.
Sur un mur, trois portraits étaient peints : Kennedy, Martin Luther King, Obama. J’ai frissonné à l’idée que deux sur trois avaient été assassinés.
Bien sûr, en France, il y a Christiane, il y a George, il y a Victorin.
Mais quelle est leur marge de manœuvre réelle ?
Heureusement, il y Django. Django parle de Dumas, d’un d’Artagnan à la peau noire jeté aux chiens, de chaînes brisées, celles de la place du général-Catroux.
Il nous dépeint Stephen, l’archétype du vendu et du traître, surjoué à la perfection par Samuel Jackson.
Depuis dix ans, la France raciste de la « discrimination positive » et de la « diversité » en a produit à la chaîne, si j’ose dire, des Stephen mâles et des Stephen femelles ! Tous plus bêtes, incompétents, vicieux, vaniteux et corrompus les uns que les autres. C’est sur ce terreau-là que les idées de l’extrême droite ont prospéré et que la France a vieilli.
Les choses vont-elles durer ainsi ? Le gouvernement socialiste osera -t-il miser sur les Stephen prosternés, les béni-oui-oui, les imposteurs, les colons de la mémoire, dans la continuité des régimes précédents, ou jouera-t-il enfin la carte de Django ? La dernière carte qui lui reste avant que tout n’explose pour de bon. Tant ceux qui sont discriminés et humiliés depuis si longtemps sont fatigués de tout ce mépris.
L’accueil triomphal que la France réserve en ce moment à Django, film bouleversant, la seconde investiture d’Obama, ce coup de projecteur miraculeux sur la mémoire de l’esclavage, c’est peut-être le signe que tout n’est pas perdu. Mais le compte à rebours à commencé.
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