jeudi 24 janvier 2013

L’Amérique, en crise : L’institutionnalisation de la tyrannie



Les Républicains et les conservateurs étasuniens sont toujours en train de combattre l’État tout-puissant (Big Government), sous sa forme d’État-providence. Ils n’ont apparemment jamais entendu parler de sa forme d’État policier militarisé et, s’ils en ont entendu parler, ils sont à l’aise avec celui-ci et ne s’y objectent pas.

Les républicains, incluant ceux de la Chambre des représentants et du Sénat, sont satisfaits du gouvernement qui initie des guerres sans les déclarer ou sans même l’accord du Congrès et assassine avec des drones des citoyens de pays avec lesquels Washington n’est pas en guerre. Que les agences de “sécurité” fédérales espionnent les citoyens américains sans mandat et enregistrent chaque courrier électronique, site internet visité, écrit sur Facebook, appel de téléphone mobile et chaque achat par carte de crédit leur importe peu. Les républicains du Congrès étasunien ont même voté pour le financement de cette gigantesque structure dans l’Utah où les informations sont emmagasinées.

Mais il ne faudrait surtout pas que l’État tout-puissant fasse quoi que ce soit pour un pauvre.

Les républicains ont combattu le concept de sécurité sociale depuis que Franklin D. Roosevelt l’a promulgué dans les années 1930 et ils ont combattu le Medicare depuis que le président Lyndon Johnson l’a promulgué en 1965 dans le cadre des initiatives de la Grande Société.

Les conservateurs accusent les libéraux d’“institutionnaliser la compassion”. Dans le numéro de Février 2013 de Chronicles, John C. Seiler Junior,  voue aux gémonies cette Grande Société de Johnson, comme étant “une force majeure pour transformer une nation ayant encore un brin de liberté républicaine en État centralisé, bureaucratisé, dégénéré et en banqueroute que nous subissons aujourd’hui”.

Il ne vient pas du tout à l’esprit des conservateurs qu’en Europe, démocratie, liberté, avantages sociaux, personnes riches et services nationaux de santé coexistent, mais que quelque part la liberté américaine est si fragile qu’elle peut-être mise sens dessus-dessous par un programme limité de santé publique qui n’est accessible du reste qu’aux personnes âgées.

Il ne vient pas non plus à l’esprit des républicains conservateurs qu’il est bien préférable d’institutionnaliser la compassion que d’institutionnaliser la tyrannie.

L’institutionnalisation de la tyrannie est le résultat des régimes Bush/Obama de ce début de XXIème siècle. Cela, et non pas la Grande Société, constitue la grande rupture avec la tradition américaine. Les républicains de Bush ont détruit presque toutes les protections constitutionnelles de la liberté établies par les pères fondateurs. Les démocrates d’Obama ont codifié le démantèlement organisé de la Constitution par Bush et ont enlevé aux citoyens la protection empêchant leur gouvernement de les assassiner sans autre forme de procès. Il n’a fallu qu’une décennie à deux présidents, pour faire des Étasuniens, les citoyens les moins libres des pays développés, voire, peut-être même, de la planète. Dans quel autre pays le chef de l’exécutif a-t-il le droit de tuer ses propres citoyens sans aucune procédure légale?

Cela rend malade d’entendre les conservateurs geindre sur la destruction de la liberté par compassion tandis qu’ils institutionnalisent la torture, la détention pour une durée indéterminée en violation de l’habeas corpus, l’assassinat de citoyens uniquement sur la base de soupçons et d’accusations infondées, la violation totale et complète de la vie privée, l’interférence avec le droit de voyager en raison de listes injustifiables d’“interdiction de vol” et de postes de contrôle routiers, la brutalité policière envers des citoyens et de ceux qui exercent leur droit de manifester, les coups montés pour faire taire les critiques et la réduction de la liberté d’expression.

En Amérike aujourd’hui (NdT: Roberts utilise volontairement l’ortographe “Amerika” afin de germaniser le mot), seule la branche exécutive du gouvernement fédéral bénéficie d’une certaine vie privée. La vie privée est institutionnelle et non pas personnelle, demandez à l’ancien directeur de la CIA David Petraeus. Tandis que la branche exécutive détruit la vie privée de tout le monde, elle insiste sur le privilège de la sienne. La sécurité nationale est invoquée pour masquer les activités criminelles de la branche exécutive du gouvernement. Les procureurs fédéraux mènent des procès contre des accusés où les preuves contre eux sont classifiées et ne sont pas divulguées à leurs avocats. Des avocats comme Lynne Stewart ont été emprisonnés pour ne pas avoir suivi les ordres des procureurs fédéraux de violer le secret professionnel.
Les conservateurs acceptent le monstrueux État policier qui a été érigé, croyant que cela les protège du “terrorisme musulman”. Ils n’ont même pas la présence d’esprit de voir qu’ils sont désormais ouverts au terrorisme de leur propre gouvernement.

Considérez par exemple le cas du soldat Bradley Manning. Il est accusé d’avoir fuité des informations confidentielles qui révèlent des activités criminelles du gouvernement, ses crimes de guerre et ce malgré le fait que tout militaire a le devoir de révéler des crimes de guerre. Pratiquement tous les droits constitutionnels de Manning ont été violés par le gouvernement des États-Unis. Il a été torturé. Afin de le forcer à admettre les accusations falsifiées portées à son encontre et à impliquer Julian Assange de Wikileaks, le droit de Manning à un procès rapide a été violé par près de 3 ans de détention préventive et des ajournements de procès imposés par les procureurs. Maintenant la juge, colonel Denise Lind, qui donne plus l’impression de faire partie de l’équipe de procureurs que d’être une juge impartiale, a décrété que Manning ne peut pas utiliser comme preuve le propre rapport du gouvernement stipulant que l’information coulée n’a pas porté atteinte à la sécurité nationale. Lind a aussi jeté par dessus bord le principe légal du mens rea  (NdT, l’intention criminelle) en jugeant que le motif de Manning pour fuiter l’information au sujet des crimes de guerre des États-Unis, ne peut pas être présenté comme preuve à son procès. (Judge limits motive evidence in Wikileaks case)

Le Mens Rea dit qu’un crime requiert une intention criminelle. En faisant fi de ce principe légal, Lind a empêché Manning de démontrer que son motif était de faire son devoir en vertu du  code militaire et de révéler des preuves de crimes de guerre. Cela permet aux procureurs de transformer un acte conforme à la déontologie en un crime : avoir aidé l’ennemi en révélant des informations classifiées.

Bien entendu, rien de ce que Manning a révélé n’a aidé l’ennemi en quoi que ce soit, car l’ennemi, ayant souffert de crimes de guerre, était déjà parfaitement au courant de leur existence.

Les démocrates d’Obama ne sont pas plus perturbés que les républicains conservateurs à l’idée qu’un jeune soldat américain faisant son devoir, se retrouve au banc des accusés à cause de sa conscience morale. Dans le procès Manning, la définition de victoire du gouvernement n’a absolument rien à voir avec une quelconque idée de victoire de la justice. Pour Washington, la victoire signifie piétiner la conscience morale et protéger le gouvernement corrompu afin que ses crimes de guerre ne soient pas divulgués au grand jour.

Paul Craig Roberts

Article original en anglais : America in Crisis: The Institutionalization of Tyranny, publié le 21 janvier 2013.
Traduction : Résistance 71

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