vendredi 10 mai 2013

L’esprit de bienveillance.



Le gouvernement Français déclare vouloir enseigner, à l’école, durant tout le secondaire, l’esprit d’entreprise. Or, cet esprit explique le malaise actuel de la civilisation puisqu’il a pour fondations le lucre, la cupidité, l’individualisme, l’acceptation des inégalités entre les humains, inégalité résultant, pour les tenants de cette idéologie, d’un ordre divin. Ce qu’il faut enseigner, pour sauver la biosphère, c’est l’esprit de bienveillance, de gratuité, de solidarité, de compassion.

Après être passé de la tribu à la cité, puis de la cité à la nation, puis de la nation à l’humanité, il est temps d’accéder à la grande solidarité avec le vivant. Le biocentrisme n’a rien de régressif, de négateur des Droits humains. Il permet d’élargir le champ de la solidarité sans rien lui retrancher. Celui qui milite pour le vivant, pour la nature, pour éviter à l’animal la torture et à un milieu naturel la destruction, s’entendra rabrouer, par un interlocuteur pétri de l’esprit d’entreprise, par cette superbe sentence : « Il y a tant d’autres causes plus urgentes et plus essentielles ». Lesquelles ? Quels combats généreux mène cet interlocuteur grégarisé ?

Dans les médias, des gens dits sérieux attendent le retour de la croissance pour panser la plaie du chômage et dissertent sur les moyens de sacrifier le bien public au profit des entreprises.

Alors, l’enfer des animaux, l’agonie de la nature sont des sujets tabous. Que doit penser le troupeau ? Réponse des médias : « Les Français se préoccupent du chômage ». Adopter des mesures contre l’élevage concentrationnaire, limiter les pesticides, freiner l’urbanisation cancéreuse risqueraient de nuire aux profits et grandes affaires de ceux qu’habite l’esprit d’entreprise, dont on attend qu’ils daignent « créer des emplois ». Le système est pervers mais sa massive propagande n’a rien à envier à celles des régimes totalitaires du siècle passé. Qui osera dire, dans les médias sous contrôle, qu’une entreprise privée ne produit ni richesses d’intérêt général, ni emplois, mais des profits, rien que des profit et très accessoirement des emplois si ceux-ci accroissent lesdits profits, puis en détruira tout autant si le profit l’exige.

Qui dira, dans ces médias, financièrement dépendants des oligarques du béton, des travaux publics, de l’armement, que la croissance est un leurre, car partout sur la planète les mêmes impératifs sont assignés aux peuples, à savoir : « faites des sacrifices, des efforts, des renonciations à vos droits sociaux et aux protections écologiques, pour diminuer les coûts, pour devenir plus compétitifs que ceux d’ailleurs et exporter ». Le système atteint ses limites et révèle sa nocivité pour la nature, pour l’animal et pour l’humain. Il faut une autre politique, non pas dans les détails, mais sur le fond. Non pas une politique qui panse les plaies, atténue les nuisances, mais qui rompt avec une logique de destruction et de démoralisation. Redistribuer et non croître indéfiniment. Ce n’est pas que dans l’ordre social, écologique et économique que le système mondialisé échoue, c’est d’abord dans l’ordre éthique.

Il enseigne aux hommes le goût de la compétition, de la confrontation, d’une fuite en avant du plus prédateur, de la concurrence, du toujours plus. Il rend ainsi l’homme mauvais. L’issue de secours passe par la solidarité, la bienveillance, l’empathie. En ce dimanche 5 mai 2013, ma sympathie est allée vers ceux qui à Paris ont manifesté contre la société de dévastation, de destructions, de mépris de la souffrance des êtres vivants. Ces manifestants, dont certains ne sont encore qu’humanistes, veulent une autre société dans laquelle la soif de profits ne serait plus valorisée, dans laquelle la finance ne dicterait plus sa loi de fer, y compris à ceux qui se firent élire en invoquant des valeurs de gauche, mais qui par contrainte et par faiblesse font la politique des oligarques et du Marché. Leur remise en cause de l’exploitation et du tout pour le profit va dans le bon sens et je les invite, en élevant leur degré de conscience et de responsabilité, à unir le vivant dans l’esprit de solidarité généreuse. La bienveillance est supérieure aux contre-valeurs méprisables qu’inculque la société capitaliste, car cette bienveillance ne s’épuise qu’en ne servant pas.

Ceux qui ne l’éprouvent pas à l’égard d’un animal qui souffre, d’une forêt que l’on efface de la surface de la terre ne peuvent pas la vivre pour l’un quelconque de leurs semblables. La bienveillance, c’est merveilleux, car plus vous en donnerez et plus vous en aurez encore. Mettre la bienveillance et l’empathie à l’ordre du jour, c’est faire une révolution aussi radicale que celle qui, il y a deux siècles et demi substitua au sujet le citoyen. C’est proclamer que l’être prime sur l’avoir et que le mépris du vivant doit être aboli.

Gérard Charollois

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