lundi 13 janvier 2014

JE ME SUIS RÉVEILLÉE EN COLÈRE


Je me suis abstenue le 12 janvier 2014 de commémorer le séisme du 12 janvier 2010. Par nos actes, la mort des Haïtiens et Haïtiennes du 12 janvier 2010 est banalisée, les droits des survivants piétinés. Seule la voix de notre silence devait être entendue ! Je me suis tue parce que quatre ans après cette meurtrière catastrophe naturelle et humaine, je crois que la prise de conscience tant espérée pour mener le pays sur de meilleures rives n'a pas eu lieu. 

Avec le mode actuel de gouvernance, nous nous éloignons davantage de nos vœux pieux du lendemain du séisme de 2010. Tel que la barque du pays est menée, nous ne pourront pas atteindre les rives d'un État fondé sur le droit et la justice, les rives d'un système éducatif qui forme les cœurs et les esprits et qui produit de "vrais bons citoyens", les rives du progrès socioéconomique accessible à toute la population, etc.

Paraphrasant le titre d'un de mes auteurs préférés, Marek Halter, "Je me suis réveillée en colère".

Je me suis réveillée en colère ce 13 janvier 2014 car l'image du corps calciné de cet enfant âgé de 3 ans ne me quitte plus. Ce petit enfant a été brûlé vif à l'intérieur d'une des tentes dans l'incendie qui a dévasté le camp " Pèp Pwogresis " situé sur l'ancienne piste d'aviation de Port-au-Prince, à côté de la route de l'aéroport (la photo jointe est terrifiante). L'incendie s'est déclaré le 11 janvier 2014 dans l'indifférence des autorités haïtiennes. Il y a eu trop d'actes criminels dans les camps des sinistrés pour que je puisse croire à un accident.

Voici un 12 janvier 2014, pendant que l'on commémore le 12 janvier 2010, on a fait incendier l'un des plus importants camps de sinistrés qui subsistent encore. L'administration Martelly/Lamothe en est certainement informée et vraisemblablement s'en fiche royalement. Le cynisme d'État aujourd'hui semble ne plus avoir de limite. 


Le gouvernement et ses propagandistes clament sur tous les toits et dans tous les médias étrangers qu'ils ont relogé plus de 1 300 000 sinistrés; en fait sous la présidence de Martelly environ 450 000 personnes ont pu quitter les camps puisqu'au mois de mai 2011, le nombre de victimes du séisme qui vivaient dans les camps sinistrés était estimé à environ 635 000. Mais nous devons tous savoir comment la plupart de ces 450 000 personnes, devenues "sans-abris" suite au séisme du 12 janvier 2010, ont été déguerpies de ces abris de fortune. Hormis les gens qui ont bénéficié d'un "programme de relogement" temporaire (et discutable) ou ceux qui sont partis délibérément, un nombre important de sinistrés a dû fuir les camps précaires face aux coups de bâton, aux incendies et d'autres actes de menaces. Où se trouvent-ils après leur déguerpissement ? Sans ressources, ils sont probablement sans logement dans la capitale ou ailleurs, ou terrés dans des bidonvilles. 

Mais cela importe peu à l'administration Martelly/Lamothe. L'essentiel c'est de faire du chiffre, de vider les camps pour pouvoir remplir une seule case des tableaux de statistiques : la case du nombre de sinistrés qui ont quitté les camps de fortune. Où vivent ces personnes ? Leur situation s'est-elle améliorée ? Ont-elles trouvé un toit décent puisqu'elles aussi elles y ont droit ? Disposent-elles d'un revenu régulier ? Ont-elles accès à des quartiers plus sûrs, des maisons plus résistantes aux futurs tremblements de terre ? Ces questions que nous nous posons de manière consciencieuse sont complètement inutiles aux yeux de l'administration Martelly/Lamothe, puisqu'il n'y a pas de case pour elles dans leurs tableaux de statistiques. Que ces personnes aillent se loger dans des bidonvilles doivent-ils se dire. Et si elles rechignent, on va leur mettre un peu de couleur sur les roches grises, comme pour "Jalousie".

Les Défenseurs des opprimés (DOP), une association qui travaille avec les sinistrés, n'ont pas cessé de nous alerter sur les expulsions violentes des camps que subissent les victimes du séisme du 12 janvier 2010. (Ci-jointes, quatre photos des expulsions violentes des sinistrés du camp Mozaik, le 7 décembre 2013 - sur une des photos on voit des bandits employés pour faire le sale boulot en action ) (Une seule ici, la seconde photo).

Le 7 décembre 2013 : " une soixantaine de familles ont été expulsées d’un quartier informel de Titanyen [Mozaik], à la périphérie de Port-au-Prince. Les 9 et 10 décembre, un juge de paix de la commune de Croix-des-Bouquets , accompagné de policiers et d’hommes armés, s’est rendu sur les lieux afin d’achever l’opération, en dépit du tollé suscité par la première expulsion et les violences commises à l’égard des habitants. Plus de 200 familles se sont retrouvées sans domicile à la suite de ces deux expulsions."( Source : Amnistie internationale) 

" Les expulsions forcées ont lieu le plus souvent sans que les personnes vivant dans les camps ne soient prévenues ou consultées. Il est souvent fait usage d’une force excessive, parfois au vu et au su de la police haïtienne ou avec sa participation. Près de 1 000 personnes qui vivaient dans un camp Place Jérémie à Port-au-Prince ont ainsi été jetées à la rue dans la nuit du 20 au 21 décembre 2011." ( Source : Amnistie internationale)

Les 170 mille personnes qui vivent encore sous des tentes dans les camps sinistrés risquent-elles de subir le même sort que les victimes du camp Mozaik afin de gonfler les statistiques simplistes et propagandistes du gouvernement de Laurent Lamothe ?

Junia Barreau

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