Ils en ont soupé de cette République bourrée de sacro-saintes valeurs dont on ne sait si elles étaient plus performantes avant 1958 ou après. L’éventuelle proclamation de la VIème République tant rêvée par le Front de gauche n’y fera stricto rien dans la mesure où nous entrons dans une phase de déception extrême liée à deux types de crise interconnectés : crise politique au sein des partis dominants, crise existentielle au sein de la population. Un fossé abyssal sépare les élites politiques de la population, pourtant, à l’origine, ils partagent un malaise commun. Voyons donc lequel.
Bravo à Valeurs actuels, hebdomadaire aimant manifestement les chiffres (normal il reprenait dans le temps le contenu de l’hebdomadaire Finances), qui dans son numéro 4026 a publié les résultats d’un sondage annuellement mené par l’institut Opinionway ainsi que le Centre de Recherche Politique de Sciences Po. Ce sondage est plus éloquent que d’autres dans la mesure où il s’intitule « Baromètre de la confiance politique » et vise de cette façon à refléter la crédibilité réelle de la classe dirigeante aux yeux des Français. Or, cette fois-ci, les notes sont tellement au-dessous de la moyenne que nos cancres ambulants ont demandé à la presse de passer sous silence une partie assez peu glorieuse du bulletin. Bien malheureusement pour eux, des Snowden non moins ambulants, il y en a partout … même à Opinionway, même à Sciences Po. Voici, en toute beauté, un rapport qui laisse pour le peu songeur :
75% des Français ne font plus confiance ni à l’Etat, ni à la République.
88% rejettent les partis politiques.
50% ne croient plus à la démocratie et souhaitent être gouvernés par « un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du parlement ni des élections ».
12% vont même jusqu’à espérer que l’armée prendra les rênes du pouvoir.
Ces quatre résultats, en outre plus significatifs et inespérés que d’autres, ont été censurés. Que montrent-ils vraiment ?
- Au mieux, le modèle républicain est en panne. Au pire, il se meurt, car, pour exister et perdurer, une valeur a besoin d’adeptes. L’effondrement latent de l’URSS a commencé au moment où les valeurs communistes ont donné leurs premières fissures, que la désillusion a commencé à l’emporter sur l’utopie. Naturellement, il a fallu des décennies pour que cette désillusion finisse par aboutir. Que constate-t-on aujourd’hui, par raisonnement analogique ? Les Français n’ont plus que très peu d’estime vis-à-vis de l’idéal républicain, donc, de la démocratie. Pourquoi ? Parce que, devenue socio-totalitaire, celle-ci a engendré son contraire. Résultat : la liberté d’expression est devenue presque nulle, les notions d’éthique les plus élémentaires sont sacrifiées au nom d’une idéologie prônant l’avènement d’un nouvel Homme incompatible avec l’idée de nation ou de spiritualité. Si les Français s’y opposent, c’est bien qu’ils n’ont pas encore perdu ce que l’on appelle primitivement l’instinct de survie.
- On pourrait être amené à croire que les Français sont anarchiques puisque 9 sondés sur 10 se disent hostiles aux partis. Ceci dit, le même sondage révèle que 36% des personnes interrogées verraient d’un bon œil le retour en politique de Nicolas Sarkozy et que 34% sont prêts à voter MLP, un départage qui dément l’hypothèse relative à l’anarchie tout en révélant que 70% de la population est résolument de droite. Oui, la France se droitise et cette droitisation éloigne de plus en plus l’UMP du PS, réconciliant tacitement la droite sarkozyste avec la droite lepeniste. On comprend dès lors mieux pourquoi Manuel Valls s’en est pris à l’UMP, l’accusant d’entretenir un « climat malsain ». Cette prise à partie intervient après le Jour de Colère et les Manifs pour tous du week-end dernier, des évènements qui ont presque miraculeusement sondé des mouvances ayant jusqu’ici très peu de choses en commun mais qui, selon la formule recherchée de sieur Julien Dray, ont toutes été fourrées dans l’abject panier des « forces les plus obscurantistes ». En réalité, s’il est évident que le PS a déjà perdu sur tous les fronts, il est non moins patent que le prestige de la droite indifférenciée (UMP et FN confondus) ne tient que fort peu au charisme des partis qui la représente. S’il faut une preuve pêchée sur le terrain : le Jour de Colère a mis côte à côte des dieudonnistes de couleur confessant un islam modéré de type (par exemple) chiite et des Français blancs, catholiques et nationalistes. Autre preuve, plus parlante car plus conceptuelle : 50% des Français sont favorables à un pouvoir fort, voire dictatorial, aspiration inouïe il y a à peine quelques années. 12% d’entre eux se prononcent pour une dictature militaire. On est loin, très loin de la querelle classique des partis où le politiquement correct était une borne indépassable.
- Les résultats obtenus, affligeants pour le PS tout en étant hautement pertinents, tiennent entre autres au fait que l’oligarchie est toujours en retard d’une guerre par rapport à l’évolution de l’opinion publique. L’équipe de Hollande illustre on ne peut mieux cet axiome. Au lieu de prêter une oreille attentive aux revendications des Français, M. Valls préfère s’indigner contre le surgissement d’une espèce de Tea Party frondeuse et donc antirépublicaine. Pourtant, ce ne sont pas ces anti-tout et ces anti-rien qui divisent mais le fait que la gauche soit déconnectée de l’opinion publique. C’est exactement de cette façon-là qu’elle se tire une balle dans le pied puisqu’elle pousse les Français à surmonter leurs contradictions en s’alliant contre le parti dominant.
La méthode de la chape de plomb ne passe plus. Les Français commencent à s’organiser hors partis ce qui fait croire que le pays est entré dans une période transitoire où l’esprit collectif se fait particulièrement critique. Reste à savoir où cette prise de conscience nous conduira d’ici 2017.
04/02/14
Françoise Compoint
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