Blog d'informations politiques, économiques, sociologiques et culturelles offrant une vision alternative du monde et des problèmes internationaux auxquels sont confrontés le monde.
dimanche 31 janvier 2010
L'Unesco demande des mesures contre le pillage culturel d'Haïti après le séisme
PARIS — L'Unesco a demandé dimanche l'interdiction du commerce et du transfert de biens culturels haïtiens, ainsi que l'implication des Nations unies dans la lutte contre le pillage du patrimoine culturel de ce pays après le séisme du 12 janvier.
S'appuyant "sur les expériences passées en Afghanistan et en Iraq", l'Unesco lance une campagne "visant à protéger du pillage le patrimoine mobilier d?Haïti, notamment les collections d?art présentes dans les musées, les galeries et les églises endommagés", a-t-elle indiqué dans un communiqué.
La directrice générale de l'organisation, Irina Bokova, demande le vote au Conseil de sécurité de l'ONU d'une résolution instituant "une interdiction temporaire du commerce ou du transfert des biens culturels haïtiens", a précisé le communiqué.
Elle propose que des institutions comme Interpol ou l'Organisation mondiale des douanes contribuent à la mise en oeuvre d?une telle interdiction.
Mme Bokova a demandé au Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, de charger les structures sur place de l'ONU, comme la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) "d?assurer, autant que possible, la sécurité immédiate des sites où se trouvent ces oeuvres d?art".
"Il est important d?éviter que les chasseurs de trésors fouillent les décombres des nombreux lieux emblématiques qui se sont effondrés pendant le séisme comme l?ancien Palais présidentiel et la cathédrale de Port-au-Prince, ou de nombreux bâtiments de Jacmel, la ville coloniale française du 17e siècle, qu?Haïti envisageait de proposer pour inscription sur la liste du patrimoine mondial", souligne l'organisation.
"Le seul bien inscrit sur la liste -- le Parc national historique -- avec son palais royal et sa grande forteresse, a été épargné par le tremblement de terre. C?est également le cas des principaux musées et archives du pays", précise l'organisation.
Mme Bokova avait annoncé mardi à l'AFP l'envoi sur place d'une mission d'experts pour évaluer la situation du patrimoine culturel.
AFP
Soigner les Haïtiens oui, mais qui va payer?
A peine l’émotion retombée, la question du coût a vite surgi. Le gouverneur de Floride, le républicain Charlie Crist a eu le malheur d’écrire mercredi dernier au gouvernement fédéral pour demander qui allait payer pour les centaines de blessés haïtiens évacués et hospitalisés dans son Etat ces dernières semaines. L’effet a été immédiat: les vols militaires d’évacuation des blessés haïtiens vers la Floride ou d’autres Etats américains ont été stoppés, rapporte samedi le New York Times. Avant l’arrêt de ces vols, plus de 500 victimes du tremblement de terre haïtien avaient été évacués et sont actuellement soignés dans les hôpitaux de Floride. Un nombre indéterminé de vols était encore prévu. Dans sa lettre au secrétaire d’Etat à la Santé, Kathleen Sebelius, le gouverneur de Floride s’inquiétait: “Récemment nous avons eu vent de plans d’évacuation de 30 à 50 patients en état critique par jour, pour une période indéfinie. La Floride n’a pas les capacités pour supporter une telle opération”.
Comme il est d’usage entre administrations, le secrétariat à la Santé à renvoyé la faute sur l’armée, qui seule a pris la décision de suspendre les vols d’évacuation, selon un porte-parole à Washington. Les militaires ont confirmé l’arrêt des vols et rejeté la responsabilité sur les civils… “D’après ce que j’ai compris, certains Etats ne veulent pas accepter les évacuations pour assurer le suivi des malades, explique ici le capitaine Kevin Aandahl, un porte-parole de l’armée. Nous ne pouvons pas faire voler la moindre personne s’il n’y a pas d’hôpital prêt à l’accueillir à l’autre bout”.
Cette dispute n’est pas vraiment une surprise, les Etats-Unis déjà bien en mal de soigner leurs propres malades ne pouvant certainement pas accueillir tous les blessés du continent. Mais l’aveu de ses limites est parfois désagréable… surtout après que Barack Obama a envoyé des moyens considérables en Haïti et promis d’en faire une opération modèle du “leadership” américain.
source
«Haïti était mal bâtie» -René Préval
PORT-AU-PRINCE - Le président de la République d'Haïti, René Préval, affirme que la capitale Port-au-Prince était mal bâtie mais que le pays va se relever de cette horrible catastrophe.
En entrevue, le chef d'État âgé de 67 ans a d'abord présenté ses condoléances aux familles endeuillées. Il a également pris le temps de remercier le gouvernement canadien pour ses efforts avant de lancer un message d'espoir.
M. Préval, quel est votre état d'esprit actuellement?
D'abord, laissez-moi présenter aux Canadiens qui sont morts en Haïti et aux Haitiens endeuillés par le sinistre, mes sympathies et mes condoléances. J'en profite pour remercier le gouvernement du Canada et le premier ministre pour m'avoir appelé, M. Charest également. J'avais un rendez-vous téléphonique avec la gouverneure générale et je l'ai raté. Je vais faire tout mon possible pour lui parler. Il y a une solidarité internationale. Particulièrement au Canada qui a porté secours aux Haïtiens. Merci pour la mobilisation qui se fait un peu partout, au Canada et au Québec.
Les gens ont entendu dire que vous alliez dormir dehors sous une tente question de vous montrer solidaire avec le peuple, est-ce bien vrai?
J'ai passé plusieurs nuits sous une tente parce que le palais où je réside parfois s'est effondré. La maison privée où je réside aussi s'est effondrée. Dans les premiers jours, jusqu'au moment où un ami m'a accueilli, je dormais sous une tente. Maintenant, il me faudra trouver un endroit où me loger. Il y a des maisons préfabriquées qui sont offertes par la MINUSTAH et des tentes. Il paraît que d'autres tremblements de terre peuvent survenir. Il faut que le gouvernement réfléchisse à cette éventualité.
Comment allez-vous reconstruire Port-au-Prince?
Selon les estimations, 25 000 immeubles commerciaux ou industriels sont tombés, ainsi que 225 000 maisons individuelles. Ça fait beaucoup. D'autres sont fortement endommagées et devront être démolies. Il fallait d'abord porter secours aux blessés et enlever les morts qui jonchaient les rues. Maintenant, les recherches ont cessé, et 10 000 personnes ont été placées dans les fosses communes. Des gens ont été enterrés par leur famille dans leur cour. Il faut loger sous des abris provisoires plus d'un million de personnes qui sont dans la rue.
Va-t-on rebâtir Port-au-Prince telle qu'elle était?
Non. Port-au-Prince était mal bâtie. Port-au-Prince est le résultat d'une mauvaise gestion sur des dizaines d'années. Les gens y viennent et construisent des bâtiments dans des endroits inappropriés. Aujourd'hui, il faut réfléchir sur la façon de reconstruire la capitale. Comment reconfigurer le pays? Si nous ne préparons pas la saison cyclonique à venir, nous risquons de subir d'autres catastrophes. C'est une réflexion qui doit être globale. Haïti ne mourra pas. Haïti va se relever. Il faut que les Haïtiens se mettent d'accord pour que, pierre par pierre, nous puissions reconstruire le pays en assurant une stabilité.
(Le Journal de Québec)
vendredi 29 janvier 2010
Communiqué de presse
Paris, le 28 janvier 2010
Situations de crise politique dans l’espace francophone
et catastrophe en Haïti à l’ordre du jour de la réunion du
Bureau de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie
L’Assemblée parlementaire de la Francophonie réunira son Bureau, du 2 au 4 février 2010 à N’Djaména (Tchad), à l’invitation de Nassour Guelengdouksia Ouaïdou, Président de l’Assemblée nationale du Tchad. Les travaux se dérouleront sous la présidence de Yvon Vallières, Président de l’Assemblée nationale du Québec.
Des Présidents d’Assemblée, députés et sénateurs d’une vingtaine de parlements de tous les continents examineront, lors de cette réunion, plusieurs thèmes d’actualité, notamment les situations de crise et les évolutions politiques que traversent certains pays de l’espace francophone. La situation en Haïti après la catastrophe que vient de connaître le pays fera bien entendu l’objet de débats.
Des interventions feront le point sur les travaux des commissions, du Réseau des femmes parlementaires, la préparation de la XXXVIe Session de Dakar (Sénégal) de l’APF et les programmes de coopération interparlementaire. Enfin, le Bureau aura à adopter son budget pour 2010, budget qui devra tenir compte des conséquences de la programmation quadriennale 2010-2013 adoptée en décembre dernier lors de la réunion de la Conférence ministérielle de la Francophonie.
L'agriculture d´Haïti nécessite 700 millions de dollars
Programme officiel pour la production alimentaire, l'aide aux personnes déplacées et la prévention
Rome/Port-au- Prince, 29 janvier 2010 - La FAO vient de lancer un appel aux bailleurs de fonds pour soutenir un programme d'investissement officiel haïtien de 700 millions de dollars en faveur du secteur agricole. Il s'agit de réparer les infrastructures endommagées par le tremblement de terre, stimuler la production agricole nationale et créer des emplois pour les personnes fuyant Port-au-Prince.
Ce programme, élaboré par le ministère de l'agriculture, des ressources naturelles et du développement rural, propose des lignes directrices à l'aide internationale au secteur agricole pour les dix-huit prochains mois. Il constitue une des pierres angulaires de la stratégie du gouvernement pour la reconstruction du pays après le séisme du 12 janvier dernier.
La FAO et l'Institut interaméricain de coopération pour l'agriculture ont passé un accord avec le ministère pour soutenir ce programme goouvernemental.
La FAO est le pivot du groupe de coordination Nations Unies-ONG en matière d'agriculture. A ce propos, une réunion de travail sur Haïti s'était tenue le 27 janvier dernier en République dominicaine en présence de M. Joanas Gué, ministre de l'agriculture haïtien, et de son homologue de la République dominicaine, M. Salvador Jiménez, ainsi que de représentants d'organisations d'aide internationales.
"La situation alimentaire en Haïti était déjà très fragile avant le séisme et le pays était fortement dépendant des importations alimentaires" , indique M. Alexander Jones, fonctionnaire de la FAO qui gère l'urgence en Haïti.
"Alors que les populations fuient vers les zones rurales, la croissance du secteur agricole d'Haïti est désormais une priorité urgente et le plan du gouvernement haïtien, en fixant les priorités immédiates, vient à point nommé."
Sur le fil du rasoir
Près de 60 pour cent des Haïtiens vivaient en milieu rural avant le tremblement de terre. Dans les zones rurales où la pauvreté est reine, 80 pour cent de la population vivent sur le fil du rasoir avec moins de deux dollars par jour.
Selon les estimations du gouvernement haïtien consignées dans le programme sus-mentionné , quelque 32 millions de dollars sont requis dans l'immédiat pour l'achat de semences, d'engrais et d'outils agricoles afin que les agriculteurs puissent commencer à planter en mars pour la saison des semailles de printemps. Celles-ci représentent habituellement 60 pour cent de la production agricole.
Autres mesures à court terme envisagées par le programme gouvernemental: la réparation de la raffinerie de sucre de Darbonne près de Léogane, la protection des bassins versants, le reboisement, la reconstruction et le renforcement des berges des rivières et des canaux d'irrigation et la réhabilitation de 600 kilomètres de routes de desserte.
Le gouvernement recommande l'achat de milliers de tonnes de semences de céréales et de légumineuses produites localement et à l'étranger ainsi que d'outils et d'engrais. Il recommande également de soutenir la filière de l'élevage au cours des prochains dix-huit mois.
Autres priorités
Les autres priorités officielles sont la relance d'un programme pour encourager la plantation de pommes de terre douces dans les dix départements administratifs d'Haïti et la construction de silos pour y stocker grains et autres denrées alimentaires en prévision des dégâts que ne manqueront pas de provoquer les ouragans attendus dans la région au cours des prochains mois.
La FAO s'apprête à lancer plusieurs projets tenant compte des priorités gouvernementales. A cet égard, elle puisera sur ses fonds propres et sur les fonds déjà reçus de l'Espagne, de la Belgique, du Brésil et du Canada.
En septembre 2008, le secteur agricole haïtien avait déjà subi de lourdes pertes du fait d'une succession de tempêtes tropicales et d'ouragans ayant dévasté des pans entiers du pays. Les régions dévastées n'avaient pas encore récupéré au moment où le séisme du 12 janvier dernier replongeait le pays dans l'épreuve cruelle qu'il subit depuis lors.
Rome/Port-au- Prince, 29 janvier 2010 - La FAO vient de lancer un appel aux bailleurs de fonds pour soutenir un programme d'investissement officiel haïtien de 700 millions de dollars en faveur du secteur agricole. Il s'agit de réparer les infrastructures endommagées par le tremblement de terre, stimuler la production agricole nationale et créer des emplois pour les personnes fuyant Port-au-Prince.
Ce programme, élaboré par le ministère de l'agriculture, des ressources naturelles et du développement rural, propose des lignes directrices à l'aide internationale au secteur agricole pour les dix-huit prochains mois. Il constitue une des pierres angulaires de la stratégie du gouvernement pour la reconstruction du pays après le séisme du 12 janvier dernier.
La FAO et l'Institut interaméricain de coopération pour l'agriculture ont passé un accord avec le ministère pour soutenir ce programme goouvernemental.
La FAO est le pivot du groupe de coordination Nations Unies-ONG en matière d'agriculture. A ce propos, une réunion de travail sur Haïti s'était tenue le 27 janvier dernier en République dominicaine en présence de M. Joanas Gué, ministre de l'agriculture haïtien, et de son homologue de la République dominicaine, M. Salvador Jiménez, ainsi que de représentants d'organisations d'aide internationales.
"La situation alimentaire en Haïti était déjà très fragile avant le séisme et le pays était fortement dépendant des importations alimentaires" , indique M. Alexander Jones, fonctionnaire de la FAO qui gère l'urgence en Haïti.
"Alors que les populations fuient vers les zones rurales, la croissance du secteur agricole d'Haïti est désormais une priorité urgente et le plan du gouvernement haïtien, en fixant les priorités immédiates, vient à point nommé."
Sur le fil du rasoir
Près de 60 pour cent des Haïtiens vivaient en milieu rural avant le tremblement de terre. Dans les zones rurales où la pauvreté est reine, 80 pour cent de la population vivent sur le fil du rasoir avec moins de deux dollars par jour.
Selon les estimations du gouvernement haïtien consignées dans le programme sus-mentionné , quelque 32 millions de dollars sont requis dans l'immédiat pour l'achat de semences, d'engrais et d'outils agricoles afin que les agriculteurs puissent commencer à planter en mars pour la saison des semailles de printemps. Celles-ci représentent habituellement 60 pour cent de la production agricole.
Autres mesures à court terme envisagées par le programme gouvernemental: la réparation de la raffinerie de sucre de Darbonne près de Léogane, la protection des bassins versants, le reboisement, la reconstruction et le renforcement des berges des rivières et des canaux d'irrigation et la réhabilitation de 600 kilomètres de routes de desserte.
Le gouvernement recommande l'achat de milliers de tonnes de semences de céréales et de légumineuses produites localement et à l'étranger ainsi que d'outils et d'engrais. Il recommande également de soutenir la filière de l'élevage au cours des prochains dix-huit mois.
Autres priorités
Les autres priorités officielles sont la relance d'un programme pour encourager la plantation de pommes de terre douces dans les dix départements administratifs d'Haïti et la construction de silos pour y stocker grains et autres denrées alimentaires en prévision des dégâts que ne manqueront pas de provoquer les ouragans attendus dans la région au cours des prochains mois.
La FAO s'apprête à lancer plusieurs projets tenant compte des priorités gouvernementales. A cet égard, elle puisera sur ses fonds propres et sur les fonds déjà reçus de l'Espagne, de la Belgique, du Brésil et du Canada.
En septembre 2008, le secteur agricole haïtien avait déjà subi de lourdes pertes du fait d'une succession de tempêtes tropicales et d'ouragans ayant dévasté des pans entiers du pays. Les régions dévastées n'avaient pas encore récupéré au moment où le séisme du 12 janvier dernier replongeait le pays dans l'épreuve cruelle qu'il subit depuis lors.
Ma place parmi les vivants.
C'était ça, Turgeau? Une plaisanterie!
L'ancienne maison a vacillé, puis est tombée de toutes
ses colonnes et de son grand balcon, comme quelqu'un
ayant l'air de demander pardon au temps. C'est ce
qui s'appelle un séisme, un vrai! Il a parcouru la
ville et une bonne part du pays. Il a mangé plein de gens.
Mangé! Littéralement! C'est-à-dire: Moulu! Avalé!
Ceux qu'il a laissés dehors, les autres morts, sont
alignés sur les trottoirs, certains à découvert, d’autres
enveloppés dans des draps ou du plastic blanc.
Les églises aussi sont agenouillées: La Cathédrale,
Saint-Anne, Saint-Louis-Roi-De-France, Saint Joseph.
Quelques fidèles prient haut et fort. Une prière en
colère, d'autres le font à voix basse, dans leur
coeur. Le Christ, qu'on croyait en équilibre précaire,
est resté perché sur son socle au fond de l'église du
Sacré-coeur, impassible solitaire au milieu des ruines.
Rue Thoby, dans la zone de Frères, on a recueilli le corps de
deux de mes tantes paternelles sous des décombres.
L'une d'elles qui était aussi ma marraine s'apprêtait à fêter son centenaire.
“ Il ne me reste qu'une dent, disait-elle. En mars, si Dieu me
prête vie, je vous la montrerai dans un large sourire”
Adieu ma belle!
Il fait lourd.
Difficile de marcher.
On a la tête encombrée de morts.
Chaque jour, le nombre augmente.
Et les secousses n'arrêtent pas. On est sur le qui-vive. Elles peuvent
s'étendre jusqu'à trois mois, six mois, un an. Qui sait?
Ma mère et ses deux sœurs ont été sauvées de justesse par
l'un des mes fils et un neveu qui ont dû les forcer à
sortir, car elles ont eu peine à croire que la maison s'écroulait. Elles sont aujourd'hui à l'abri
chez l'un de mes frères, à l'abri, mais perdues,
sans repères, ne parlant jour et nuit que de retourner chez elles.
Un proche a vu mourir cinq cents de ses employés sous
l'effondrement de sa manufacture.
Un bébé de vingt- deux jours a été repêché vivant au bout
d'une semaine sous des décombres.
Et puis, il y a l'immense majorité avec ses morts, ses
sans-abri, et d'autres morts qui s'ajoutent à la
liste des morts du séisme: Ceux qui sont morts, la veille
ou après, et ne trouvent pas leur place de mort à part,
avec cette singularité qui leur est due: Pompe-funèbre,
convoi, messe, chant et oraison. Toutes
les morgues sont engorgées, les cimetières dévastés. Il
faut créer des fosses communes.
Il y a aussi les rats, qui sont des gens, s'échappent des
prisons, s'attaquent à la population. Le chef de la
police a promis de les traquer. Et la ministre de la culture
et de la communication leur aurait, semble t'il,
demandé, dans un appel radiophonique de regagner
gentiment leur cellule.
Quelqu'un m'a appelé hier pour me demander
si je suis mort. Absolument, ai-je dû
répondre.
Une amie m'a suggéré d'écrire, comme pour reprendre
ma place parmi les vivants.
Syto Cavé
Port-au-prince 23 janvier 2010
Haïti: la reconstruction à l'ordre du jour après un sauvetage miraculeux
PORT-AU-PRINCE - L'attention se tournait de plus en plus jeudi vers la reconstruction à long terme d'Haïti, au lendemain du sauvetage miraculeux d'une adolescente de Port-au-Prince, sans doute l'un des derniers, 15 jours après le séisme.
Darlene Etienne, 16 ans, a été dégagée mercredi soir des décombres dans un état de déshydratation extrême, mais "son état est stabilisé", a assuré le médecin colonel Michel Orcel, de l'équipe de la sécurité civile française qui a évacué la jeune fille vers une unité médicale.
Elle a été en partie dégagée par des voisins du quartier de Carrefour-Feuilles à Port-au-Prince qui ont entendu une voix et ont appelé les secouristes français.
Environ 135 personnes ont été retrouvées vivantes sous les décombres depuis le séisme du 12 janvier, qui a déjà fait "près de 170.000" victimes, selon le président haïtien René Préval.
Seize jours après le séisme, la recherche d'éventuels rescapés continue à mettre les nerfs des Haïtiens à rude épreuve. En fouillant les décombres pour récupérer ce qui peut l'être, certains croient entendre des bruits, des voix, et alertent la vingtaine de secouristes encore présents à Port-au-Prince, pour qui il n'est pas toujours facile de démêler les faits de la rumeur.
Confrontés à la faim, la soif, l'absence de toit, les Haïtiens doivent aussi subir de nouvelles formes de violence. "A la faveur du black-out qui sévit sur la capitale (...) des bandits en profitent pour harceler et violer femmes et jeunes filles réfugiées sous les tentes", a dénoncé jeudi Mario Andrésol, directeur de la police haïtienne, soulignant que "7.000 bandits" se sont échappés de la prison de Port-au-Prince le soir du séisme. Or les forces de police, décimées, sont insuffisantes.
Il faut désormais "se concentrer sur les principaux problèmes qui vont se poser à l'avenir: le redémarrage immédiat et la reconstruction", a déclaré mercredi soir Mauricio Bustamante, qui dirige l'équipe du CICR chargée d'Haïti, insistant sur la nécessité de "protéger les communautés contre de futures catastrophes naturelles comme les cyclones".
L'envoyé spécial adjoint de l'ONU pour Haïti, Paul Farmer, a affirmé jeudi devant la commission des Affaires étrangères du Sénat américain que 75% de Port-au-Prince devait être reconstruit. La reconstruction du port, endommagé par les répliques, pourrait nécessiter huit à 10 semaines, selon le ministère américain de la Défense.
"La meilleure chance pour Haïti, par rapport aux problèmes des 25 dernières années, est de profiter de ce moment pour créer une reconstruction en commun, un effort international pour quelque chose de viable", a estimé de son côté le sénateur John Kerry, qui préside cette commission.
Les dons, promis ou déjà collectés, atteignaient jeudi 2,02 milliards de dollars (1,45 milliard d'euros), selon un décompte des Nations unies.
Sur cette somme, 1,189 milliard de dollars ont été collectés par les agences et organisations d'aide humanitaire, tandis que 830 millions de dollars sont encore à l'état de promesses.
Ces dons proviennent de centaines d'Etats, organisations non gouvernementales, fondations, entreprises ou particuliers. Ainsi, 15.000 dollars versés par le président américain Barack Obama et son épouse Michelle à la fondation de ses prédécesseurs, George W. Bush et Bill Clinton, qu'il a lui-même chargés de collecter des fonds.
Devant le forum économique mondial (WEF) organisé comme chaque année à Davos, en Suisse, M. Clinton, l'envoyé spécial de l'ONU pour Haïti, a appelé les chefs d'entreprises à investir dans le pays.
L'investissement en Haïti doit être vu comme "une occasion de faire des affaires" plus que comme une forme d'assistance, a-t-il dit, faisant l'éloge du dynamisme et des efforts des Haïtiens.
Le chef de la diplomatie brésilienne, Celso Amorim, a estimé au cours du même débat qu'un programme massif devait être mis en oeuvre pour replanter des arbres à Haïti, et lutter ainsi contre les glissements de terrain.
source
Des associations dénoncent des viols en Haïti
Deux semaines après le séisme, la police haïtienne rapporte des faits liés à de nouvelles formes de criminalité.
Plus de deux semaines après le séisme qui a dévasté la région de Port-au-Prince en Haïti, faisant près de 170.000 morts, la police locale se fait l'écho de l'alerte lancée par des associations de femmes qui rapportent des cas de viols.
"A la faveur du black-out qui sévit sur la capitale d'Haïti, des bandits en profitent pour harceler et violer femmes et jeunes filles réfugiées sous les tentes", a indiqué Mario Andrésol, directeur de la police haïtienne (PNH).
Ce dernier rappelle que plus de 7.000 détenus se sont échappés de la prison centrale de Port-au-Prince le soir du séisme, et craint l'émergence de nouvelles formes de criminalité, d'autant plus difficiles a endiguer que les forces de sécurité haïtiennes ont payé un lourd tribut à la catastrophe du 12 janvier dernier.
"Nous avons perdu 70 policiers et près de 500 sont toujours disparus alors que 400 ont été blessés", a précisé Mario Andrésol. Sur un peu plus de 6.000 policiers déployés dans la région de la capitale haïtienne, seulement 3.433 ont répondu à l'appel.
Rendu très vulnérables, les enfants, pour nombre d'entre eux séparés de leur famille, peuvent être la proie de trafic. A ce titre, Le département d'Etat américain a indiqué vouloir apporter son aide aux autorités locales pour les aider à protéger la population, en particulier les plus jeunes.
source
Dieu a-t-il abandonné Haïti ?
La tragédie qui a frappé Port-au-Prince a fait resurgir des « pourquoi » sur le mystère du silence de Dieu et des origines du mal. Des Haïtiens, d’ici ou de là-bas, confient à « La Croix » ces interrogations universelles
Une femme en prière au cours d'un service religieux à Port-au-Prince, dimanche 24 janvier (AP/Abd).
«Comment croire en un Dieu infiniment puissant et bon qui observe, goguenard, ses “enfants” crever sous les débris des immeubles de Port-au-Prince ? Si on est créateur de l’univers, on est en mesure d’empêcher de telles catastrophes ! Et si, le pouvant, on ne le fait pas, on ne peut se proclamer Dieu d’amour. Tout le reste est littérature. »
Tel Voltaire en son siècle après le séisme de Lisbonne, l’auteur de ces lignes est l’un des nombreux internautes à avoir exprimé sur un blog de La Croix sa colère et son incompréhension. Comment comprendre ce nouveau malheur venu s’ajouter aux 32 coups d’État et aux centaines de cyclones qui sont passés sur l’île depuis deux cents ans… Le séisme du 12 janvier a fait resurgir de manière abrupte des « pourquoi » qui touchent au scandale de la souffrance des innocents, à l’énigme insoutenable du mal, au mystère du silence de Dieu.
« Notre foi est mise à rude épreuve par ce désastre horrible », reconnaissait, quelques jours après le drame, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, dans son homélie lue en hommage aux victimes. « Toute personne qui croit en Dieu et qui essaye de vivre de cette foi ne peut pas ne pas être touchée au cœur par le malheur qui détruit et par la malédiction qui touche votre pays. Tous s’interrogent : “Où es-tu Seigneur ? Que fais-tu Seigneur ?” »
Chacun, au milieu du chaos, interroge le ciel
« Comment Dieu peut-il laisser faire cela ? » reprend une jeune catholique haïtienne, Stéphane Rebu, 25 ans, rencontrée dans un camp de sinistrés à Port-au-Prince. Lorsque la terre a tremblé, cette enseignante d’éducation physique était dans la cour avec ses élèves. « Mon école est au bord d’une falaise, et le mur de l’enceinte est tombé au pied de cette falaise… C’était effrayant ! Je suis rentrée chez moi en marchant, et à chaque coin de rue, j’entendais des gens prier. Je me demande encore comment j’en suis sortie vivante ! »
Domini, étudiant de 22 ans, a perdu sa sœur. « Nous avons beaucoup prié pour qu’on la retrouve vivante. Mais son corps a été dégagé des décombres… C’est terrible pour toute la famille, mais nous devons l’accepter. On se demande pourquoi c’est arrivé, pourquoi nous… »
Comme Stéphane ou Domini, chacun, au milieu du chaos, interroge le ciel, tente de comprendre l’inexplicable. Certains y voient une punition divine. « Je ne sais pas contre quoi, ni contre qui, ni ce que cela veut dire précisément. Mais la preuve, c’est que dans la même rue, certaines maisons sont tombées, alors que celles d’à côté ont tenu le coup, sans explication », affirme Francisco, 16 ans.
«Des innocents sont morts, mais ce ne peut être la volonté de Dieu»
Clainise, 23 ans, a perdu son oncle et sa cousine : « Je ne veux pas dire que les personnes qui sont mortes ont été visées par Dieu, modère-t-elle. Mais c’est un châtiment contre le pays tout entier, contre les hommes qui sont trop égoïstes. »
« Je suis catholique et je pense que ce tremblement de terre n’a rien à voir avec Dieu, rétorque Jean-Pierre Johnson, 22 ans, photographe, qui a pu s’échapper de son studio dès les premières secousses. C’est un phénomène naturel. Les victimes sont mortes à cause des mauvaises infrastructures de notre pays. » Pourtant, lorsqu’on lui parle des rescapés, Jean-Pierre avance : « Je crois quand même que certaines personnes ont reçu une faveur, notamment celles qui sont sorties indemnes des décombres. C’est tellement incroyable. Dieu doit se dire qu’il a un plan pour elles, ou bien qu’elles ne méritent pas de mourir. Dieu fait des choix. »
Berthony, journaliste et peintre de 40 ans, mormon, a lui aussi l’impression d’être un miraculé : « Ma maison s’est effondrée. À ce moment-là, j’assistais aux funérailles de mon beau-frère et ma sœur, enceinte, était chez sa mère. Sans cet enterrement, je pense que nous serions tous restés à la maison et nous aurions été ensevelis. Je pense que Dieu est bon. Des innocents sont morts, mais ce ne peut être par sa volonté. »
«Pas l’ombre d’une révolte, mais une foi profonde»
« Parfois, j’interroge Dieu : pourquoi lui ? Il était un père pour nous, confie, à Paris, Gemelite Lazare, 53 ans, cousine de Mgr Joseph Serge Miot, archevêque de Port-au-Prince, tué lors du séisme. Mais je sais que Dieu ne l’a pas voulu. Je dis : que votre volonté soit faite. »
Une de ses amies, Marie-Rose Pascal, 42 ans, témoigne de la même confiance en la Providence : « Il ne nous a pas lâchés. Il nous aime tellement. Hier, ils ont trouvé des vivants sous les décombres, après huit jours sans boire ni manger. C’est le signe que Dieu est là, c’est lui qui les soutient. Les gens posent la question à l’envers : ils ne voient pas que tout cela, ce sont des miracles. »
« Pas l’ombre d’une révolte, mais une foi profonde : on retrouve là, à mon sens, l’âme haïtienne. Pour un Haïtien, Papa Bon Dye est foncièrement bon », observe le P. Bernard Collignon, prêtre des Frères des Écoles chrétiennes, en Haïti depuis des années.
«Dieu ne veut pas la souffrance. Il est là avec nous»
« Mis à part quelques prophètes de malheur qui profitent de la situation pour accuser le peuple haïtien de tous les péchés du monde, la propension générale est plutôt à la bénédiction et à la louange pour les vies sauvées, confirme le P. Maurice Piquard, montfortain, dont la congrégation a perdu dix séminaristes. Dieu est loué comme le maître de la vie. Le présent et l’avenir lui appartiennent. Les Haïtiens savent d’instinct que Dieu est Amour infini, qu’il accueille les défunts avec lesquels ils continueront à vivre une relation très forte. »
Mais si les Haïtiens se refusent à intenter un procès à Dieu, que dire alors de l’énigme violente du mal, broyant aveuglément la vie de plus de 150 000 personnes ? « Nous aimerions savoir pourquoi ce mal se produit, mais une tragédie de cette envergure est au-delà de toute explication : ce serait justifier le mal que de l’expliquer, souligne Mgr Pierre Dumas, évêque de l’Anse-à-Veau et de Miragoâne. Dieu se trouve sous les tentes, avec ces gens qui ont tout perdu, plaide-t-il. Aujourd’hui, le visage de Dieu, c’est le visage souffrant du Christ dans les traits des personnes sinistrées, qui, la nuit, ont faim et froid. Dieu ne veut pas la souffrance de ses enfants, il l’a portée dans son propre corps, il l’a traversée. Il est là avec nous. »
«C’est dans l’action au service des autres que notre intelligence reçoit la réponse»
Pour le président de Caritas Haïti, qui sillonne sans cesse les camps de sinistrés pour consoler les familles endeuillées et organiser les secours, la réponse n’est pas dans la spéculation, mais dans la manière dont chacun répond à la tragédie : « La qualité humaine qu’on va mettre, la charité qui va découler de nos cœurs, cette capacité de développer une plus grande solidarité, détaille Mgr Dumas, c’est tout cela qui va faire la différence et permettre aux gens de pouvoir se relever. »
« C’est dans l’action au service des autres que notre intelligence reçoit la réponse aux questions posées, renchérit le P. Manuel Rivero, vicaire provincial des dominicains, qui organise le ravitaillement dans la capitale haïtienne. Encore ces jours-ci à Port-au-Prince, j’ai pu expérimenter l’innovation qui jaillit dans le combat commun contre le malheur. Il arrivait que des jeunes ou de moins jeunes me saluent, autrefois, dans la rue ou dans un bidonville : “Bonsoir, Blanc.” Mais personne ne m’a appelé “Blanc” ces jours-ci quand, avec des Haïtiens, je portais un cadavre dans une rue jonchée de morts. À l’occasion du malheur, les cœurs peuvent s’ouvrir. Le meilleur de l’homme émerge alors des profondeurs de l’être avec des richesses jadis laissées en friche. »
Gilles BIASSETTE (à Port-au-Prince) et Céline HOYEAU
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Une femme en prière au cours d'un service religieux à Port-au-Prince, dimanche 24 janvier (AP/Abd).
«Comment croire en un Dieu infiniment puissant et bon qui observe, goguenard, ses “enfants” crever sous les débris des immeubles de Port-au-Prince ? Si on est créateur de l’univers, on est en mesure d’empêcher de telles catastrophes ! Et si, le pouvant, on ne le fait pas, on ne peut se proclamer Dieu d’amour. Tout le reste est littérature. »
Tel Voltaire en son siècle après le séisme de Lisbonne, l’auteur de ces lignes est l’un des nombreux internautes à avoir exprimé sur un blog de La Croix sa colère et son incompréhension. Comment comprendre ce nouveau malheur venu s’ajouter aux 32 coups d’État et aux centaines de cyclones qui sont passés sur l’île depuis deux cents ans… Le séisme du 12 janvier a fait resurgir de manière abrupte des « pourquoi » qui touchent au scandale de la souffrance des innocents, à l’énigme insoutenable du mal, au mystère du silence de Dieu.
« Notre foi est mise à rude épreuve par ce désastre horrible », reconnaissait, quelques jours après le drame, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, dans son homélie lue en hommage aux victimes. « Toute personne qui croit en Dieu et qui essaye de vivre de cette foi ne peut pas ne pas être touchée au cœur par le malheur qui détruit et par la malédiction qui touche votre pays. Tous s’interrogent : “Où es-tu Seigneur ? Que fais-tu Seigneur ?” »
Chacun, au milieu du chaos, interroge le ciel
« Comment Dieu peut-il laisser faire cela ? » reprend une jeune catholique haïtienne, Stéphane Rebu, 25 ans, rencontrée dans un camp de sinistrés à Port-au-Prince. Lorsque la terre a tremblé, cette enseignante d’éducation physique était dans la cour avec ses élèves. « Mon école est au bord d’une falaise, et le mur de l’enceinte est tombé au pied de cette falaise… C’était effrayant ! Je suis rentrée chez moi en marchant, et à chaque coin de rue, j’entendais des gens prier. Je me demande encore comment j’en suis sortie vivante ! »
Domini, étudiant de 22 ans, a perdu sa sœur. « Nous avons beaucoup prié pour qu’on la retrouve vivante. Mais son corps a été dégagé des décombres… C’est terrible pour toute la famille, mais nous devons l’accepter. On se demande pourquoi c’est arrivé, pourquoi nous… »
Comme Stéphane ou Domini, chacun, au milieu du chaos, interroge le ciel, tente de comprendre l’inexplicable. Certains y voient une punition divine. « Je ne sais pas contre quoi, ni contre qui, ni ce que cela veut dire précisément. Mais la preuve, c’est que dans la même rue, certaines maisons sont tombées, alors que celles d’à côté ont tenu le coup, sans explication », affirme Francisco, 16 ans.
«Des innocents sont morts, mais ce ne peut être la volonté de Dieu»
Clainise, 23 ans, a perdu son oncle et sa cousine : « Je ne veux pas dire que les personnes qui sont mortes ont été visées par Dieu, modère-t-elle. Mais c’est un châtiment contre le pays tout entier, contre les hommes qui sont trop égoïstes. »
« Je suis catholique et je pense que ce tremblement de terre n’a rien à voir avec Dieu, rétorque Jean-Pierre Johnson, 22 ans, photographe, qui a pu s’échapper de son studio dès les premières secousses. C’est un phénomène naturel. Les victimes sont mortes à cause des mauvaises infrastructures de notre pays. » Pourtant, lorsqu’on lui parle des rescapés, Jean-Pierre avance : « Je crois quand même que certaines personnes ont reçu une faveur, notamment celles qui sont sorties indemnes des décombres. C’est tellement incroyable. Dieu doit se dire qu’il a un plan pour elles, ou bien qu’elles ne méritent pas de mourir. Dieu fait des choix. »
Berthony, journaliste et peintre de 40 ans, mormon, a lui aussi l’impression d’être un miraculé : « Ma maison s’est effondrée. À ce moment-là, j’assistais aux funérailles de mon beau-frère et ma sœur, enceinte, était chez sa mère. Sans cet enterrement, je pense que nous serions tous restés à la maison et nous aurions été ensevelis. Je pense que Dieu est bon. Des innocents sont morts, mais ce ne peut être par sa volonté. »
«Pas l’ombre d’une révolte, mais une foi profonde»
« Parfois, j’interroge Dieu : pourquoi lui ? Il était un père pour nous, confie, à Paris, Gemelite Lazare, 53 ans, cousine de Mgr Joseph Serge Miot, archevêque de Port-au-Prince, tué lors du séisme. Mais je sais que Dieu ne l’a pas voulu. Je dis : que votre volonté soit faite. »
Une de ses amies, Marie-Rose Pascal, 42 ans, témoigne de la même confiance en la Providence : « Il ne nous a pas lâchés. Il nous aime tellement. Hier, ils ont trouvé des vivants sous les décombres, après huit jours sans boire ni manger. C’est le signe que Dieu est là, c’est lui qui les soutient. Les gens posent la question à l’envers : ils ne voient pas que tout cela, ce sont des miracles. »
« Pas l’ombre d’une révolte, mais une foi profonde : on retrouve là, à mon sens, l’âme haïtienne. Pour un Haïtien, Papa Bon Dye est foncièrement bon », observe le P. Bernard Collignon, prêtre des Frères des Écoles chrétiennes, en Haïti depuis des années.
«Dieu ne veut pas la souffrance. Il est là avec nous»
« Mis à part quelques prophètes de malheur qui profitent de la situation pour accuser le peuple haïtien de tous les péchés du monde, la propension générale est plutôt à la bénédiction et à la louange pour les vies sauvées, confirme le P. Maurice Piquard, montfortain, dont la congrégation a perdu dix séminaristes. Dieu est loué comme le maître de la vie. Le présent et l’avenir lui appartiennent. Les Haïtiens savent d’instinct que Dieu est Amour infini, qu’il accueille les défunts avec lesquels ils continueront à vivre une relation très forte. »
Mais si les Haïtiens se refusent à intenter un procès à Dieu, que dire alors de l’énigme violente du mal, broyant aveuglément la vie de plus de 150 000 personnes ? « Nous aimerions savoir pourquoi ce mal se produit, mais une tragédie de cette envergure est au-delà de toute explication : ce serait justifier le mal que de l’expliquer, souligne Mgr Pierre Dumas, évêque de l’Anse-à-Veau et de Miragoâne. Dieu se trouve sous les tentes, avec ces gens qui ont tout perdu, plaide-t-il. Aujourd’hui, le visage de Dieu, c’est le visage souffrant du Christ dans les traits des personnes sinistrées, qui, la nuit, ont faim et froid. Dieu ne veut pas la souffrance de ses enfants, il l’a portée dans son propre corps, il l’a traversée. Il est là avec nous. »
«C’est dans l’action au service des autres que notre intelligence reçoit la réponse»
Pour le président de Caritas Haïti, qui sillonne sans cesse les camps de sinistrés pour consoler les familles endeuillées et organiser les secours, la réponse n’est pas dans la spéculation, mais dans la manière dont chacun répond à la tragédie : « La qualité humaine qu’on va mettre, la charité qui va découler de nos cœurs, cette capacité de développer une plus grande solidarité, détaille Mgr Dumas, c’est tout cela qui va faire la différence et permettre aux gens de pouvoir se relever. »
« C’est dans l’action au service des autres que notre intelligence reçoit la réponse aux questions posées, renchérit le P. Manuel Rivero, vicaire provincial des dominicains, qui organise le ravitaillement dans la capitale haïtienne. Encore ces jours-ci à Port-au-Prince, j’ai pu expérimenter l’innovation qui jaillit dans le combat commun contre le malheur. Il arrivait que des jeunes ou de moins jeunes me saluent, autrefois, dans la rue ou dans un bidonville : “Bonsoir, Blanc.” Mais personne ne m’a appelé “Blanc” ces jours-ci quand, avec des Haïtiens, je portais un cadavre dans une rue jonchée de morts. À l’occasion du malheur, les cœurs peuvent s’ouvrir. Le meilleur de l’homme émerge alors des profondeurs de l’être avec des richesses jadis laissées en friche. »
Gilles BIASSETTE (à Port-au-Prince) et Céline HOYEAU
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jeudi 28 janvier 2010
La colère au réveil, par Lyonel Trouillot
Contre la bêtise des hommes et celle des éléments. La terre a encore tremblé. Dans mon quartier, une maison déjà abîmée par le séisme du 12 janvier s'est effondrée. Quelle terrible sensation pour une population que de se sentir persécutée par un ennemi caché sous ses pieds, qu'elle ne peut ni vaincre, ni convaincre, ni juger. Voilà pour la bêtise des éléments. Celle des hommes, on peut la condamner. Une phrase fait le tour du monde : "La population fuit la violence et la misère et se réfugie dans les provinces." Elle vient d'un organe de presse français. Elle est reprise par une radio haïtienne. L'aliénation, ça existe même en temps de crise. Pour quelques petits bourgeois de Port-au-Prince, experts dans l'art du mimétisme et trop paresseux pour sillonner les rues, si les Français le disent, cela doit être vrai. Moi, j'ai marché dans les rues. La violence ? Soyons sérieux. Par rapport à ce qu'on a pu voir ailleurs. Mais je ne devrais pas écrire cela, peut-être qu'ailleurs aussi une certaine presse a exagéré.
Je suis content qu'Anderson Cooper ait lui-même reconnu que la presse exagère en donnant l'impression que Port-au-Prince est livrée aux pillards. C'est vrai qu'on pourrait parler un peu plus des formes de solidarité développées par la population. Du travail des sauveteurs et des médecins. Des besoins réels. Des comités de quartier qui se mettent en place. Aujourd'hui, je vais à la recherche de l'eau. Le quartier a besoin d'eau potable. Avant le séisme, on en achetait, chacun selon sa bourse. Mais la plupart des gens vivent au jour le jour, et depuis une semaine ils ne gagnent rien. Ils n'ont pas les gourdes qu'il faudrait pour un sachet, une bouteille ou un seau. Et même quand ils les auraient, l'eau est rare. Les camions ne passent plus. Un ami m'a promis de nous faire livrer un camion pour les besoins du quartier. Le comité constitué essentiellement de jeunes s'occupera de la distribution. Ils ont déjà creusé une fosse et s'assurent que les gens qui habitent les rues l'utilisent. J'aime ces jeunes. Ce pays ne leur a rien donné, mais ils ne veulent pas le perdre. Peut-être même souhaitent-ils le changer. Pour eux. Et pour les autres.
Les horreurs ponctuelles et les horreurs structurelles
Le comité s'occupe des problèmes immédiats, mais il pense aussi à l'avenir, quand viendra le temps de reconstruire. Je sors. On parle de l'immense travail accompli par les médecins haïtiens et étrangers. Certains ne dorment presque pas. On parle aussi du travail des sauveteurs. Certains, mais je ne peux pas confirmer, donnent une note excellente aux Israéliens et aux Français. La République dominicaine, notre vieille ennemie, aiderait aussi beaucoup. Sur l'aide, les avis sont partagés. Un grand merci, mais toujours la crainte qu'il se joue autre chose. Des voix, de plus en plus nombreuses, s'interrogent sur la nécessité de tant de soldats américains. Cette affaire d'un avion-hôpital qui n'a pu atterrir n'en finit pas d'inquiéter, d'écoeurer.
Suite à la secousse de ce matin, je reçois beaucoup d'appels de l'étranger. Les amis s'inquiètent. Veulent savoir ce qu'ils peuvent faire. Je ne sais pas quoi leur dire. Aujourd'hui, les problèmes les plus graves restent les abris et les soins médicaux, l'eau et la nourriture. À Port-au-Prince, nous sommes tous sinistrés, mais il y en a qui le sont plus que d'autres. Mon ami m'a appelé. Il devrait nous trouver de l'eau. Pour le quartier. J'ai vu l'eau de puits que la plupart des gens utilisent pour cuire leurs aliments. Il y a quelques années, nous avions demandé une analyse. Elle n'est pas potable. Je réalise qu'un grand nombre de familles l'utilisaient déjà avant le tremblement de terre. Il y a les horreurs ponctuelles et les horreurs structurelles. J'ai demandé aux jeunes du comité de faire campagne contre l'utilisation de cette eau. L'urgence est de leur trouver le mot. J'attends l'appel de mon ami. S'il n'appelle pas, j'irai voir. Il y a des jours et des situations où il serait bête de se répéter : il n'est que d'attendre.
(Dernier livre paru de Lyonel Trouillot : Yanvalou pour Charlie , Actes Sud, prix Wepler 2009)
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Je suis content qu'Anderson Cooper ait lui-même reconnu que la presse exagère en donnant l'impression que Port-au-Prince est livrée aux pillards. C'est vrai qu'on pourrait parler un peu plus des formes de solidarité développées par la population. Du travail des sauveteurs et des médecins. Des besoins réels. Des comités de quartier qui se mettent en place. Aujourd'hui, je vais à la recherche de l'eau. Le quartier a besoin d'eau potable. Avant le séisme, on en achetait, chacun selon sa bourse. Mais la plupart des gens vivent au jour le jour, et depuis une semaine ils ne gagnent rien. Ils n'ont pas les gourdes qu'il faudrait pour un sachet, une bouteille ou un seau. Et même quand ils les auraient, l'eau est rare. Les camions ne passent plus. Un ami m'a promis de nous faire livrer un camion pour les besoins du quartier. Le comité constitué essentiellement de jeunes s'occupera de la distribution. Ils ont déjà creusé une fosse et s'assurent que les gens qui habitent les rues l'utilisent. J'aime ces jeunes. Ce pays ne leur a rien donné, mais ils ne veulent pas le perdre. Peut-être même souhaitent-ils le changer. Pour eux. Et pour les autres.
Les horreurs ponctuelles et les horreurs structurelles
Le comité s'occupe des problèmes immédiats, mais il pense aussi à l'avenir, quand viendra le temps de reconstruire. Je sors. On parle de l'immense travail accompli par les médecins haïtiens et étrangers. Certains ne dorment presque pas. On parle aussi du travail des sauveteurs. Certains, mais je ne peux pas confirmer, donnent une note excellente aux Israéliens et aux Français. La République dominicaine, notre vieille ennemie, aiderait aussi beaucoup. Sur l'aide, les avis sont partagés. Un grand merci, mais toujours la crainte qu'il se joue autre chose. Des voix, de plus en plus nombreuses, s'interrogent sur la nécessité de tant de soldats américains. Cette affaire d'un avion-hôpital qui n'a pu atterrir n'en finit pas d'inquiéter, d'écoeurer.
Suite à la secousse de ce matin, je reçois beaucoup d'appels de l'étranger. Les amis s'inquiètent. Veulent savoir ce qu'ils peuvent faire. Je ne sais pas quoi leur dire. Aujourd'hui, les problèmes les plus graves restent les abris et les soins médicaux, l'eau et la nourriture. À Port-au-Prince, nous sommes tous sinistrés, mais il y en a qui le sont plus que d'autres. Mon ami m'a appelé. Il devrait nous trouver de l'eau. Pour le quartier. J'ai vu l'eau de puits que la plupart des gens utilisent pour cuire leurs aliments. Il y a quelques années, nous avions demandé une analyse. Elle n'est pas potable. Je réalise qu'un grand nombre de familles l'utilisaient déjà avant le tremblement de terre. Il y a les horreurs ponctuelles et les horreurs structurelles. J'ai demandé aux jeunes du comité de faire campagne contre l'utilisation de cette eau. L'urgence est de leur trouver le mot. J'attends l'appel de mon ami. S'il n'appelle pas, j'irai voir. Il y a des jours et des situations où il serait bête de se répéter : il n'est que d'attendre.
(Dernier livre paru de Lyonel Trouillot : Yanvalou pour Charlie , Actes Sud, prix Wepler 2009)
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Les nouvelles du matin, par Lyonel Trouillot
Secousse la veille au soir. Ça, pas besoin de la radio pour le savoir. Les clameurs le disent. Il y en a qui parviennent quand même à dormir. C'est une stratégie comme une autre pour ne rien entendre, ne rien sentir. À moins que la terre qui tremble ne pénètre dans les rêves. Mais les "banques de borlette", les loteries privées n'ont pas recommencé à fonctionner. Et je ne sais pas si dans les "tchalas" (les livres qui établissent les correspondances entre les songes et les nombres) il y a une page tremblement de terre. La secousse de la veille, dans notre cour, ma fille ainée et moi sommes les seuls à l'avoir sentie. Ce fut rapide, presque doux. Nous n'avons pas jugé nécessaire de réveiller les autres.
Cela fait maintenant partie du quotidien : une évaluation spontanée, à la seconde presque, de la secousse. Faut-il courir, craindre pour sa vie, chercher à protéger ses proches, ou laisser passer sans bouger ? Depuis le 12 janvier, on se pose ces questions au moins deux fois par jour. Le ministre de la Jeunesse et des Sports et la ministre de la Culture et de la Communication ont parlé à la presse. Ils devraient le faire plus souvent. 385 centres (il n'aime pas le mot "camp") selon le ministre de la Jeunesse. Il parle sans doute des grandes surfaces. Il y en a bien plus si l'on compte les multiples terrains vagues sur lesquels des groupes de personnes se sont établis. La ministre de la Communication parle des actions qui sont en cours.
Ce qu'on demande à l'État - on n'a pas fini de le dire - c'est de renseigner et de coordonner. De bons pas dans la bonne direction. "L'Alternative", la formation politique réunissant les principaux partis de l'opposition (molle) a sorti un communiqué qui n'est pas nul. Des propos rassembleurs. Un appel à la solidarité. Dans le respect de la souveraineté. Il y a aussi un des chefs du vaudou qui a pris la parole. Ce qu'il dit n'est pas différent de ce que disent certains catholiques. Les fosses communes, les cadavres enterrés sans avoir été identifiés, cela ne correspond pas aux traditions. Il manque les rituels ordinaires. Mais ce n'est pas une mort ordinaire qui plane sur le pays, ce n'est pas une mort "naturelle", dit un passant. Plus tard, on pourra envisager des cérémonies oecuméniques (il serait temps que les religions fassent la paix). Pour l'instant, il faut dégager les rues, protéger les vivants de la chair qui pourrit sous les décombres.
Il n'est pas facile de convaincre une foule de son erreur, surtout lorsqu'elle a faim
Ruée vers l'aéroport. Mais les Américains, contrairement aux rumeurs qui les voudraient plus généreux, ne laissent partir que les citoyens américains en direction des États-Unis. On découvre que des personnes qu'on croyait connaître avaient un passeport américain en réserve. Surprise parfois douloureuse. Il y a aussi le mouvement inverse. Des jeunes qui cherchent à entrer dans le pays, qui offrent leur aide. Leurs parents ont parfois tout fait pour qu'ils soient le moins haïtiens possible. Échec des stratégies d'éloignement. Ils veulent revenir, ne serait-ce que quelques jours, quelques semaines. Aider. Certains parviennent à rentrer. On ne leur demande pas trop comment. On est content de les voir. Ils s'activent. Ce mouvement vers le pays a quelque chose de réconfortant.
Brouhaha, confusion, coups de feu dans la zone de l'ambassade des États-Unis. La foule aurait cru que la nourriture qu'un camion devait livrer aux militaires qui encerclent l'ambassade lui était destinée. Il n'est pas facile de convaincre une foule de son erreur, surtout lorsqu'elle a faim. Dans l'après-midi, un direct sur CNN. Sur la route, je remarque les camions, les pelles mécaniques. Le travail de déblayage est en cours. Une rue est bloquée. Le taxi moto se faufile dans des chemins non asphaltés. Nous débouchons sur un marché : légumes, bananes. Les gens s'accrochent à la vie. La mauvaise part de la journée. À l'entrée de l'hôtel autrement fermé où est logée l'équipe de CNN, l'agent de sécurité refuse de me laisser passer. Il bloque tous les Haïtiens. Quelqu'un lui crie que c'est ça le mal du pays : le non-respect de ses semblables, et que les personnes qu'il bloque ne sont pas venues mendier. Le patron arrive et s'excuse.
Mais le mal est fait. Avant le tremblement de terre, l'un des malheurs de ce pays c'était le "deux poids, deux mesures" qui fixe des traitements différents selon des critères odieux. Après un tel malheur, de telles pratiques peuvent-elles se maintenir ? Je me promets de poser la question à l'agent de sécurité et au patron. Mais après l'entrevue, j'oublie. Je contemple le Champ de Mars, la place des Héros transformée en refuge. Il ne s'était pas trompé, celui qui disait : c'est le mauvais côté de l'histoire qui fait l'histoire.
(Dernier livre paru : Yanvalou pour Charlie , Actes Sud, prix Wepler 2009)
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Cela fait maintenant partie du quotidien : une évaluation spontanée, à la seconde presque, de la secousse. Faut-il courir, craindre pour sa vie, chercher à protéger ses proches, ou laisser passer sans bouger ? Depuis le 12 janvier, on se pose ces questions au moins deux fois par jour. Le ministre de la Jeunesse et des Sports et la ministre de la Culture et de la Communication ont parlé à la presse. Ils devraient le faire plus souvent. 385 centres (il n'aime pas le mot "camp") selon le ministre de la Jeunesse. Il parle sans doute des grandes surfaces. Il y en a bien plus si l'on compte les multiples terrains vagues sur lesquels des groupes de personnes se sont établis. La ministre de la Communication parle des actions qui sont en cours.
Ce qu'on demande à l'État - on n'a pas fini de le dire - c'est de renseigner et de coordonner. De bons pas dans la bonne direction. "L'Alternative", la formation politique réunissant les principaux partis de l'opposition (molle) a sorti un communiqué qui n'est pas nul. Des propos rassembleurs. Un appel à la solidarité. Dans le respect de la souveraineté. Il y a aussi un des chefs du vaudou qui a pris la parole. Ce qu'il dit n'est pas différent de ce que disent certains catholiques. Les fosses communes, les cadavres enterrés sans avoir été identifiés, cela ne correspond pas aux traditions. Il manque les rituels ordinaires. Mais ce n'est pas une mort ordinaire qui plane sur le pays, ce n'est pas une mort "naturelle", dit un passant. Plus tard, on pourra envisager des cérémonies oecuméniques (il serait temps que les religions fassent la paix). Pour l'instant, il faut dégager les rues, protéger les vivants de la chair qui pourrit sous les décombres.
Il n'est pas facile de convaincre une foule de son erreur, surtout lorsqu'elle a faim
Ruée vers l'aéroport. Mais les Américains, contrairement aux rumeurs qui les voudraient plus généreux, ne laissent partir que les citoyens américains en direction des États-Unis. On découvre que des personnes qu'on croyait connaître avaient un passeport américain en réserve. Surprise parfois douloureuse. Il y a aussi le mouvement inverse. Des jeunes qui cherchent à entrer dans le pays, qui offrent leur aide. Leurs parents ont parfois tout fait pour qu'ils soient le moins haïtiens possible. Échec des stratégies d'éloignement. Ils veulent revenir, ne serait-ce que quelques jours, quelques semaines. Aider. Certains parviennent à rentrer. On ne leur demande pas trop comment. On est content de les voir. Ils s'activent. Ce mouvement vers le pays a quelque chose de réconfortant.
Brouhaha, confusion, coups de feu dans la zone de l'ambassade des États-Unis. La foule aurait cru que la nourriture qu'un camion devait livrer aux militaires qui encerclent l'ambassade lui était destinée. Il n'est pas facile de convaincre une foule de son erreur, surtout lorsqu'elle a faim. Dans l'après-midi, un direct sur CNN. Sur la route, je remarque les camions, les pelles mécaniques. Le travail de déblayage est en cours. Une rue est bloquée. Le taxi moto se faufile dans des chemins non asphaltés. Nous débouchons sur un marché : légumes, bananes. Les gens s'accrochent à la vie. La mauvaise part de la journée. À l'entrée de l'hôtel autrement fermé où est logée l'équipe de CNN, l'agent de sécurité refuse de me laisser passer. Il bloque tous les Haïtiens. Quelqu'un lui crie que c'est ça le mal du pays : le non-respect de ses semblables, et que les personnes qu'il bloque ne sont pas venues mendier. Le patron arrive et s'excuse.
Mais le mal est fait. Avant le tremblement de terre, l'un des malheurs de ce pays c'était le "deux poids, deux mesures" qui fixe des traitements différents selon des critères odieux. Après un tel malheur, de telles pratiques peuvent-elles se maintenir ? Je me promets de poser la question à l'agent de sécurité et au patron. Mais après l'entrevue, j'oublie. Je contemple le Champ de Mars, la place des Héros transformée en refuge. Il ne s'était pas trompé, celui qui disait : c'est le mauvais côté de l'histoire qui fait l'histoire.
(Dernier livre paru : Yanvalou pour Charlie , Actes Sud, prix Wepler 2009)
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Pèd pou pèd
Sur le désastre du 10 janvier 2010, après la furie qui l’escorte, pouvons-nous entendre quelques considérations ?
1. Il s’agit d’une humiliation qui atteint la Martinique dans son ensemble et chaque Martiniquais en particulier car elle est la manifestation de la décomposition d’un peuple dont la seule volonté collective en mesure aujourd’hui de se manifester avec force est de ne pas vouloir s’appartenir. Pire que l’esclavage est la servitude volontaire.
De ce point de vue, il faut être habité d’une singulière conception de la liberté pour se réjouir de pareil « attachement » qu’on s’illusionnerait par ailleurs débordant de lyrisme et se rapporter à « la France et aux valeurs républicaines ».
2. Parler en l’occurrence de « lucidité » et de « courage » devant le spectacle d’un peuple qui se dissout sous le poids d’un pragmatisme élémentaire ou aux relents d’un parfait cynisme, cela revient à peindre la fleur pour tenter d’en masquer l’odeur. Les motivations et considérations qui ont conduit à une telle humiliation, si elles sont sombres, ne sont pas pour autant tenues secrètes : les gens les ont largement et clairement fait connaître. Le plus renversant de tout, ce sont ceux qui s’engouent à clamer « peuple » une communauté dont ils s’activent par ailleurs rageusement à soutirer les penchants avilissants et autodestructeurs.
3. Quant aux politiques qui rêvent tout haut s’attribuer le « mérite » d’un tel désastre, pour être misérable leur posture n’en est pas moins surtout présomptueuse. Car ce qu’illustre à l’évidence la votation du 10 janvier c’est l’absolue mise hors jeu des politiques. C’en est même l’une des leçons majeures : le court-circuitage de la représentation politique dès lors que l’on se persuade qu’une quelconque initiative du politique risquerait tant soit peu de contrecarrer les logiques accumulatives (consommer plus) auxquelles l’on est assujetti.
4. Ici se pose la question de la stratégie jusqu’ici suivie par ce que l’on peut appeler, d’une façon très large, le mouvement national martiniquais. Dépourvu de toute approche sur la nature profonde de la civilisation occidentale qui aujourd’hui régit et ravage la terre entière, pas plus que sur les modalités particulières de son ancrage en Martinique à travers le lien de dépendance avec la France, il en est réduit, en guise de programme, à ressasser des lieux communs sur le dit « développement durable » et à reprendre par ailleurs à son compte tous les principes et tous les corollaires de cette civilisation assortis d’une simple et misérable revendication de « responsabilité », autrement dit à la possibilité d’une mise en œuvre autochtone de ses aboutissants. Aucun des autels dressés dans les têtes par cette civilisation n’est reconsidéré dans ses principes : ni le sacro-saint Progrès, ni le sacro-saint Développement, ni la sacro-sainte Croissance économique, ni la sainte Science, ni la bienfaisante Technique, ni la sainte Ecole, ni la sainte Démocratie, ni les trois fois saints Droits de l’Homme etc…
Rien d’étonnant dès lors, si cette absence de vision, ou plus exactement cet aval donné au mode d’existence occidental, allez ! le plaisir tant pris à s’y vautrer, plutôt qu’à des ensemencements, plutôt qu’à des frayements, plutôt qu’à des cheminements épanouissants, ne donnent cours qu’à des surenchères et à des jeux politiciens. Si le désastre du 10 janvier pouvait être la chance d’une mise à plat et d’une mise au net, il serait à n’en pas douter salutaire. Maintenant que nous avons touché le fond, nous ne pouvons que remonter. Et puis, pèd pou pèd…
5. Pour autant, il serait fou de croire qu’une simple élucidation des données de la civilisation occidentale suffirait à elle seule à en écarter les Martiniquais : plus probable l’hypothèse selon laquelle nous irons jusqu’au terme de notre assujettissement.
Mais plus déraisonnable encore serait de croire à la longévité de cette civilisation à l’horizon de laquelle se profilent maintes et maintes crises funestes. Or l’on fait « comme si ».
Illusion trop répandue la conviction que seule l’appartenance à cette civilisation permet de « vivre bien », ce qui constitue une claire dénégation du fait qu’en réalité c’est elle qui, dans son extension, met en péril notre existence même, le simple fait d’être là.
L’une des croyances les plus néfastes à nous léguée par le mode de pensée moderne, c’est l’idée selon laquelle « ce sont les hommes qui font l’histoire ». Le temps approche du rétablissement d’une enchantante idée qui conçoit plutôt, qu’en final de compte, les hommes répondent à ce qui leur advient. Nous sommes les répondeurs, là est le fondement. A le dire il n’y a pas l’ombre d’un fatalisme, bien au contraire la nécessaire dissipation d’un lourd mirage. Et dans ce qui advient, le pire n’arrive jamais que par dérèglement, non par méprise ou par surprise : précédé forcément de mille annonces. S’ y préparer est expression d’une haute vertu.
* Texte introductif au débat de la journée Lakouzémi de samedi 30 janvier sur le thème du politique (avec Francis Carole, Marcellin Nadeau, Gérard Nicolas...) et par ailleurs dédiée à AYITI avec de nombreux artistes : le groupe Racine Kombit, Ymelda, Alin Légarès, Poglo, Josiane Antourel, Jeff Baillard, José Marie-Rose, Simone, Yna Boulanger, Patrick Womba....(voir PJ)
Monchoachi
L A K O U Z E M I
SAMEDI 30 JANVIER 2010
PITT Thomassin
Barrière-La-Croix,Sainte-Anne,12H-22H
"Le politique à notre époque et dans notre pays- Bilan de deux consultations".
MONCHOACHI
Francis CAROLE
Marcellin NADEAU
Gérard NICOLAS
Serge DOMI
Marie-Line MOURIESSE
Alain HELOÏSE
Sylvana RANGOLY
NOU épi AYITI
YMELDA
KOMBIT RACINE
Josiane ANTOUREL
POGLO
André DUGUET
Nicole CAGE-FLORENTINY
Patrick WOMBA
Alin LEGARES
Paulo ATHANASE
José MARIE-ROSE
Jeff BAILLARD
Yna BOULANGER
Kongo Hayah (Chris Dachir)
SIMONE
NEG MADNIK
ANGIE
Christian FORET
KEN, Emmanuel SARROTTE & ZENA
LATILYE
BOUTIK (Œuvres d’un maître de la peinture haïtienne : Ronald Mevs ; Artisanat d’ Ayiti)
MANJE Matnik et Ayiti (15 euros)
Entrée libre, Mandé pou sav (06 96 82 14 42)
Solidarité au sein de la tourmente " : Cri déchirant du coeur d'une mère victime du séisme du mardi 12 Janvier 2010
Haïti: Alors que je me consumais de douleur le mardi 12 janvier 2010, alors que je cherchais partout de l'aide, alors que j'épuisais tous les numéros disponibles sur mon téléphone portable, ce pays vivait des heures impossibles. Mais... moi... je ne connaissais que mon propre drame, ma propre douleur, mes propres problèmes.
Seize heures Cinquante Trois... Je reviens de mon travail... Ma climatisation à fond, ma radio sur les informations de seize heures. Je suis dans un embouteillage... Mon mari vient de m'appeler s'impatientant de ne pas me voir encore : nous avons rendez vous pour préparer une salade niçoise dont j'ai pris la recette sur internet. Il a tout pris au supermarché. Enfin... ce qu'il a pu trouver... Mon fils dont c'est le premier jour au travail l'a également accompagné. Mais il veut que je revienne, et vite !
Je sens la voiture bouger et j'ai l'impression que quelqu'un est en train d'essayer de me kidnapper. Calmement, je verrouille les portes et regarde à coté, derrière m'attendant à tout moment de voir un kidnappeur surgir. Non... il n'en est rien... à la radio les nouvelles sont interrompues et j'entends l'annonceur au loin qui prie « Jésus, Jésus... ». Oui, je me suis toujours dit que ce monsieur était très pieux... Après chaque émission du vendredi après midi il recommande à ses auditeurs d'aller à la messe ou au temple.
Je commence à regarder autour de moi, bizarre un mur est tombé. Il y a une colonne de fumée noire qui part de la gauche à quelques centaines de mètres. Que peut-il bien se passer ? J'essaie de sortir de mon véhicule. Le monsieur dans la voiture avant moi me regarde et me dit c'est un tremblement de terre. Ok. Bon cela n'a pas l'air si grave non ? Non madame cela semble grave. Brusquement, je commence ã voir des gens échevelés, pleins de poussière blanchâtre, une femme avec l'oreille ensanglantée. La station essence a explosée. L'école s'est effondrée.
Mon Dieu, ma maison... Ma maison... Mon mari Jean Claude... Je ne pense pas à mon fils : il est solide ! Un mètre quatre vingt cinq, 87 kilos, 24 ans. Il est solide. Il est beau. Il est jeune. Il est superbe. Il est indestructible. Monsieur ? Je dois m'en aller, ma maison est fragile et mon mari est à la maison. Naturellement, si il y a un problème, mon fils est là, il peut prendre soin de lui, mais je dois aller trouver mon mari. Madame, toutes les rues sont bloquées. Gravats, voitures. Impossible de s'y rendre... A moins d'y aller à pieds. Ok... Très bien, je suis disciplinée, je ne vais pas laisser ma voiture dans la rue, je vous promets. Je cherche une cour où la mettre. Le parti politique a une cour énorme. Très bien. Elle y sera très bien.
Calmement, j'enlève mes collants. Pourquoi ? Ne me demandez pas la logique... Je serais incapable de vous l'expliquer. Je m'enfile des ballerines : heureusement que j'ai toujours une paire de chaussures de rechange. Je n'aurais certainement pas pu marcher avec les stilettos que j'aime porter pour aller au travail.
Je marche vers la maison. Combien de mètres ? De centaines de mètres ? Je ne marche jamais et je ne sais pas le temps que je suis supposée prendre pour y arriver. En route, je rencontre quelques amis : certains toujours en voiture, d'autres à pieds se dirigeant vers leur maison ou vers celle de proches. A l'approche de la maison, une dame m'aborde paniquée et hurlant il faut sauver Madame Georges, il faut sauver Monsieur Georges, ils sont tous sous la dalle de béton chez Monsieur Philippe. Je suis étrangement calme. La première maison, celle de mon beau-frère et de ma belle soeur, Georges et Mireille, s'est effondrée. Elle a l'air d'un dessin, d'une caricature. Ecrabouillée. L'autre maison, celle de Philippe et Marilisse, je ne la vois pas.
Ah ! Soulagement... Mon mari, mon Jean-Claude, est debout près de la maison, près de notre maison. Il va bien. Mon amour, mon amour je... Où est Tonton ? Où est Jon ? Où est mon fils ? La maison s'est effondrée. Il est dans sa chambre. Sur son lit. Et mon calvaire personnel commence. Vingt-quatre heures pour ne pas vivre.
Je commence par l'appeler. Je commence par appeler Dieu et lui demander, négocier avec lui. J'appelle les voisins. Quels voisins ? Toutes les maisons se sont effondrées et personne ne viendra. J'appelle tous les numéros sur mon portable. J'en trouve certains. Quelques uns. Tout le monde vit son drame personnel. Je me désespère et crie et hurle, et crie encore. J'essaie de négocier avec Dieu. J'essaie de lui demander de me le rendre. Mon bébé. Il n'est plus cet homme solide d'un mètre quatre vingt cinq. C'est mon bébé, mon tout petit bébé. Mon amour, ma vie.
Anne Claude, ma cadette, appelle de France... Aide moi ma chérie. Je t'en prie, aide moi. Jean-Olivier est sous la maison, enfoui sous le béton. Trouve de l'aide. Je ne trouve de l'aide nulle part. Je t'en prie, trouve de l'aide.
Malou, Marilisse, la femme de Philippe arrive... Comment cela Phil ? Non ! Ce n'est pas possible. Elle court vers la maison. Frédéric arrive, leur fils arrive. Il hurle. Il essaie de soulever leur maison. Ensembles, nous sommes ensembles mais ne pouvons rien. Absolument rien. Nous sommes totalement impuissants. La nature a frappé. Et la maison protectrice s'est transformée en arme meurtrière. En arme de destruction massive.
Je parle à Jaka, mon aînée. Elle attend un bébé. Pour tout de suite. Je ne peux rien lui dire. Je parle à son mari. Il comprend. Il lui parle. Plus de communication. Les portables ne passent plus.
Je serais prête à vendre mon âme au diable pour qu'il me le rende. Mais je ne le connais pas. Je ne sais même pas comment l'appeler. Rendez-moi mon enfant. Trouvez-moi mon enfant. Je vous en prie. Dix-Neuf heures. J'ai froid. J'ai très froid. Jean-Olivier a froid je dis. Jean-Olivier a froid. Je vous en prie aidez moi a le sortir. Je ne veux pas qu'il ait froid. Il a horreur du froid. Il a horreur de la chaleur aussi. C'est mon bébé. Je vous en prie sauvez-le. Je vous en supplie.
Vingt Deux Heures. Frantz arrive à moto. Ce sont les seuls véhicules qui peuvent passer au travers des voitures abandonnées sur la route. Il est venu pour m'aider à soulever la dalle de béton. Il y va, il revient vers moi et me regarde les larmes aux yeux. Il est Vingt-Trois heures. Non ! Il est bien. Il est bien. Il est solide. Il est jeune. Il a vingt quatre ans.
Vingt trois Heures quarante Cinq. Ou est-ce plus tard ? Une autre secousse. Peut être que la dalle a glissé et qu'il peut sortir. Je me précipite vers la maison. Une autre fois. Non. Rien n'a bougé. Tout est à la même place. Et mon bébé est toujours là ! Toujours là ! Sous cette dalle de malheur. Enfoui. Je ne peux rien faire. Je ne peux rien dire. Je ne peux pas pleurer. Je ne peux pas crier.
La solidarité commence. Katia, notre voisine arrive. Junior est là, il n'a pas été trouver ses enfants et sa femme. Gael est là. Celui-ci nous apporte de l'eau. Celle-là des couvertures. Et puis qui encore ? Jean Manuel. Mamie m'appelle, elle est là, elle comprend, elle sait. Ils arrivent... Il fait noir. Ils ne peuvent rien faire. Il faut attendre le jour. Dans la voiture, les heures s'égrènent. Lentement. Mon ami médecin m'appelle. Il est français. L'ambassade s'est effondrée elle aussi. Je ne peux rien faire, je n'ai pu trouver personne. Je suis désolé.
Des voisins que je n'ai jamais salués, que je n'ai jamais pris la peine de voir ou de connaître, arrivent. Guyzou, l'amie de mes enfants que je n'ai pas vu depuis ... plus de dix ans me serre dans ses bras. Que fais-tu là ? Je viens de rentrer, j'emménage à peine, aujourd'hui en fait et ma maison est fissurée... Mais je suis là, je suis venue t'aider.
Cinq heures quarante cinq : le jour se lève. Nous sortons. Nous allons sur la grand' route, sur Turgeau. Je suis horrifiée. Egoïstement, je me rends compte que je ne trouverai d'aide de nulle part. Les secours étrangers n'arriveront jamais à temps pour sauver mon bébé. Mon petit garçon. Dieu que le malheur rend égoïste. Je ne pense pas aux autres sous les autres maisons. La dévastation générale me montre que je ne trouverai personne pour m'aider. Et que si mon fils est vivant encore... Il ne sera pas sauvé.
Un groupe d'inconnus dort dans la rue. Je vous en supplie mon fils, mon bébé est sous une maison aidez moi. Ils arrivent. Ils commencent à creuser. Ils s'arrêtent. Ils n'y croient plus. Ils n'y croient pas. Ils s'en vont.
Gael arrive avec ses bottes, ses piques, des masses. Jean-Claude les guide vers un espace, un endroit où il s'est peut-être réfugié. Un groupe d'hommes. Ils travaillent. Ils creusent. Ils trouvent un chemin. Ils ont un espoir. Ils sortent. Ils passent de l'autre côté. Ils creusent. Ils fouillent. Ils perdent espoir.
Dans l'autre maison, Patou, Malou, Fred ont une autre équipe. Ils fouillent. Ils cherchent. Mais ils ont peu d'espoir. Trois étages de béton sont aplatis, rendant la maison un ignoble tombeau.
Je m'accroche. Les dames du quartier disent entendre un gémissement. Les sauveteurs improvisés sont encouragés. Ils redoublent d'effort. Ils ne trouvent rien. Ils s'en vont. Je hurle. Je plaide. Je crie. Je demande.
Un autre groupe arrive. Cyril, Bertrand, Peggy, Stanley. Ils y croient. Au bout de deux heures. Ils trouvent. Tel un ange, la main gauche apparente, sur le ventre, couché sur son lit. Mon fils est mort !
Des inconnus, des amis, des gens comme moi souvent sinistrés, m'ont aidée. A travers les villes touchées, des femmes et des hommes ont porté secours à des inconnus, à des amis, à des ennemis. Toutes les différences, tous les clivages sont tombés le 12 janvier 2010. La solidarité n'aura pas sauvé mon fils. Mais elle sauvera ce pays. Elle ne l'a pas sauvé, mais elle me permet de savoir. Merci à tous ceux qui ont pris le temps d'aider une mère, un père, des soeurs, toute une famille et toute une nation dans la douleur !
Dolores Dominique-Neptune
Dors mon ange !
Haïti: Dors mon ange!
Tu t'endors pour mieux vivre.
Mon ange, mon trésor, mon amour.
Les entrailles de la terre ont tremblé
Les murs de la cité se sont effondrés.
Et tu dors du sommeil de l'ange.
Dors mon ange!
Tu t'endors dans les bras du Père!
Une protection s'est transformée en arme
Mon tout petit, mon tout bébé, mon ange
S'est endormi... doucement, tranquillement.
Comme un ange. Comme un chérubin.
Dors mon ange !
Tu t'endors pour mieux vivre.
Comment, comment faire sans toi...
Sans ton nouveau rire, sans ton nouveau tout.
Tu dors mon ange ?
Réveille toi. Je ne peux. Je ne veux. Pas sans toi.
Dors mon ange!
Tu t'endors dans les bras du Père !
Et moi ? Seule ? Seule ? Seule sans toi...
Il fait froid. Il fait laid. Il fait mal.
Sans tes bras, sans ta joie, sans tes larmes
Un ange s'en va, un ange arrive, un ange revient.
Dors mon ange !
Tu t'endors pour mieux vivre.
Et la vie continue, et la boucle se ferme, et le cycle reprend !
Et nous vivrons, et nous nous battrons
Et nous ferons de cette Terre meurtrie
Une patrie où il fera bon vivre, enfin!
Dors mon ange !
Tu t'endors dans les bras du Père !
Et la vie fleurira, et nos morts renaîtront !
Et la vie reprendra et notre coeur ressuscitera
Et le bébé vivra! Grand et Fort comme toi !
Et la Terre sera enfin cette nation dont tu rêvais !
publié par Dolores Dominique-Neptune
Seize heures Cinquante Trois... Je reviens de mon travail... Ma climatisation à fond, ma radio sur les informations de seize heures. Je suis dans un embouteillage... Mon mari vient de m'appeler s'impatientant de ne pas me voir encore : nous avons rendez vous pour préparer une salade niçoise dont j'ai pris la recette sur internet. Il a tout pris au supermarché. Enfin... ce qu'il a pu trouver... Mon fils dont c'est le premier jour au travail l'a également accompagné. Mais il veut que je revienne, et vite !
Je sens la voiture bouger et j'ai l'impression que quelqu'un est en train d'essayer de me kidnapper. Calmement, je verrouille les portes et regarde à coté, derrière m'attendant à tout moment de voir un kidnappeur surgir. Non... il n'en est rien... à la radio les nouvelles sont interrompues et j'entends l'annonceur au loin qui prie « Jésus, Jésus... ». Oui, je me suis toujours dit que ce monsieur était très pieux... Après chaque émission du vendredi après midi il recommande à ses auditeurs d'aller à la messe ou au temple.
Je commence à regarder autour de moi, bizarre un mur est tombé. Il y a une colonne de fumée noire qui part de la gauche à quelques centaines de mètres. Que peut-il bien se passer ? J'essaie de sortir de mon véhicule. Le monsieur dans la voiture avant moi me regarde et me dit c'est un tremblement de terre. Ok. Bon cela n'a pas l'air si grave non ? Non madame cela semble grave. Brusquement, je commence ã voir des gens échevelés, pleins de poussière blanchâtre, une femme avec l'oreille ensanglantée. La station essence a explosée. L'école s'est effondrée.
Mon Dieu, ma maison... Ma maison... Mon mari Jean Claude... Je ne pense pas à mon fils : il est solide ! Un mètre quatre vingt cinq, 87 kilos, 24 ans. Il est solide. Il est beau. Il est jeune. Il est superbe. Il est indestructible. Monsieur ? Je dois m'en aller, ma maison est fragile et mon mari est à la maison. Naturellement, si il y a un problème, mon fils est là, il peut prendre soin de lui, mais je dois aller trouver mon mari. Madame, toutes les rues sont bloquées. Gravats, voitures. Impossible de s'y rendre... A moins d'y aller à pieds. Ok... Très bien, je suis disciplinée, je ne vais pas laisser ma voiture dans la rue, je vous promets. Je cherche une cour où la mettre. Le parti politique a une cour énorme. Très bien. Elle y sera très bien.
Calmement, j'enlève mes collants. Pourquoi ? Ne me demandez pas la logique... Je serais incapable de vous l'expliquer. Je m'enfile des ballerines : heureusement que j'ai toujours une paire de chaussures de rechange. Je n'aurais certainement pas pu marcher avec les stilettos que j'aime porter pour aller au travail.
Je marche vers la maison. Combien de mètres ? De centaines de mètres ? Je ne marche jamais et je ne sais pas le temps que je suis supposée prendre pour y arriver. En route, je rencontre quelques amis : certains toujours en voiture, d'autres à pieds se dirigeant vers leur maison ou vers celle de proches. A l'approche de la maison, une dame m'aborde paniquée et hurlant il faut sauver Madame Georges, il faut sauver Monsieur Georges, ils sont tous sous la dalle de béton chez Monsieur Philippe. Je suis étrangement calme. La première maison, celle de mon beau-frère et de ma belle soeur, Georges et Mireille, s'est effondrée. Elle a l'air d'un dessin, d'une caricature. Ecrabouillée. L'autre maison, celle de Philippe et Marilisse, je ne la vois pas.
Ah ! Soulagement... Mon mari, mon Jean-Claude, est debout près de la maison, près de notre maison. Il va bien. Mon amour, mon amour je... Où est Tonton ? Où est Jon ? Où est mon fils ? La maison s'est effondrée. Il est dans sa chambre. Sur son lit. Et mon calvaire personnel commence. Vingt-quatre heures pour ne pas vivre.
Je commence par l'appeler. Je commence par appeler Dieu et lui demander, négocier avec lui. J'appelle les voisins. Quels voisins ? Toutes les maisons se sont effondrées et personne ne viendra. J'appelle tous les numéros sur mon portable. J'en trouve certains. Quelques uns. Tout le monde vit son drame personnel. Je me désespère et crie et hurle, et crie encore. J'essaie de négocier avec Dieu. J'essaie de lui demander de me le rendre. Mon bébé. Il n'est plus cet homme solide d'un mètre quatre vingt cinq. C'est mon bébé, mon tout petit bébé. Mon amour, ma vie.
Anne Claude, ma cadette, appelle de France... Aide moi ma chérie. Je t'en prie, aide moi. Jean-Olivier est sous la maison, enfoui sous le béton. Trouve de l'aide. Je ne trouve de l'aide nulle part. Je t'en prie, trouve de l'aide.
Malou, Marilisse, la femme de Philippe arrive... Comment cela Phil ? Non ! Ce n'est pas possible. Elle court vers la maison. Frédéric arrive, leur fils arrive. Il hurle. Il essaie de soulever leur maison. Ensembles, nous sommes ensembles mais ne pouvons rien. Absolument rien. Nous sommes totalement impuissants. La nature a frappé. Et la maison protectrice s'est transformée en arme meurtrière. En arme de destruction massive.
Je parle à Jaka, mon aînée. Elle attend un bébé. Pour tout de suite. Je ne peux rien lui dire. Je parle à son mari. Il comprend. Il lui parle. Plus de communication. Les portables ne passent plus.
Je serais prête à vendre mon âme au diable pour qu'il me le rende. Mais je ne le connais pas. Je ne sais même pas comment l'appeler. Rendez-moi mon enfant. Trouvez-moi mon enfant. Je vous en prie. Dix-Neuf heures. J'ai froid. J'ai très froid. Jean-Olivier a froid je dis. Jean-Olivier a froid. Je vous en prie aidez moi a le sortir. Je ne veux pas qu'il ait froid. Il a horreur du froid. Il a horreur de la chaleur aussi. C'est mon bébé. Je vous en prie sauvez-le. Je vous en supplie.
Vingt Deux Heures. Frantz arrive à moto. Ce sont les seuls véhicules qui peuvent passer au travers des voitures abandonnées sur la route. Il est venu pour m'aider à soulever la dalle de béton. Il y va, il revient vers moi et me regarde les larmes aux yeux. Il est Vingt-Trois heures. Non ! Il est bien. Il est bien. Il est solide. Il est jeune. Il a vingt quatre ans.
Vingt trois Heures quarante Cinq. Ou est-ce plus tard ? Une autre secousse. Peut être que la dalle a glissé et qu'il peut sortir. Je me précipite vers la maison. Une autre fois. Non. Rien n'a bougé. Tout est à la même place. Et mon bébé est toujours là ! Toujours là ! Sous cette dalle de malheur. Enfoui. Je ne peux rien faire. Je ne peux rien dire. Je ne peux pas pleurer. Je ne peux pas crier.
La solidarité commence. Katia, notre voisine arrive. Junior est là, il n'a pas été trouver ses enfants et sa femme. Gael est là. Celui-ci nous apporte de l'eau. Celle-là des couvertures. Et puis qui encore ? Jean Manuel. Mamie m'appelle, elle est là, elle comprend, elle sait. Ils arrivent... Il fait noir. Ils ne peuvent rien faire. Il faut attendre le jour. Dans la voiture, les heures s'égrènent. Lentement. Mon ami médecin m'appelle. Il est français. L'ambassade s'est effondrée elle aussi. Je ne peux rien faire, je n'ai pu trouver personne. Je suis désolé.
Des voisins que je n'ai jamais salués, que je n'ai jamais pris la peine de voir ou de connaître, arrivent. Guyzou, l'amie de mes enfants que je n'ai pas vu depuis ... plus de dix ans me serre dans ses bras. Que fais-tu là ? Je viens de rentrer, j'emménage à peine, aujourd'hui en fait et ma maison est fissurée... Mais je suis là, je suis venue t'aider.
Cinq heures quarante cinq : le jour se lève. Nous sortons. Nous allons sur la grand' route, sur Turgeau. Je suis horrifiée. Egoïstement, je me rends compte que je ne trouverai d'aide de nulle part. Les secours étrangers n'arriveront jamais à temps pour sauver mon bébé. Mon petit garçon. Dieu que le malheur rend égoïste. Je ne pense pas aux autres sous les autres maisons. La dévastation générale me montre que je ne trouverai personne pour m'aider. Et que si mon fils est vivant encore... Il ne sera pas sauvé.
Un groupe d'inconnus dort dans la rue. Je vous en supplie mon fils, mon bébé est sous une maison aidez moi. Ils arrivent. Ils commencent à creuser. Ils s'arrêtent. Ils n'y croient plus. Ils n'y croient pas. Ils s'en vont.
Gael arrive avec ses bottes, ses piques, des masses. Jean-Claude les guide vers un espace, un endroit où il s'est peut-être réfugié. Un groupe d'hommes. Ils travaillent. Ils creusent. Ils trouvent un chemin. Ils ont un espoir. Ils sortent. Ils passent de l'autre côté. Ils creusent. Ils fouillent. Ils perdent espoir.
Dans l'autre maison, Patou, Malou, Fred ont une autre équipe. Ils fouillent. Ils cherchent. Mais ils ont peu d'espoir. Trois étages de béton sont aplatis, rendant la maison un ignoble tombeau.
Je m'accroche. Les dames du quartier disent entendre un gémissement. Les sauveteurs improvisés sont encouragés. Ils redoublent d'effort. Ils ne trouvent rien. Ils s'en vont. Je hurle. Je plaide. Je crie. Je demande.
Un autre groupe arrive. Cyril, Bertrand, Peggy, Stanley. Ils y croient. Au bout de deux heures. Ils trouvent. Tel un ange, la main gauche apparente, sur le ventre, couché sur son lit. Mon fils est mort !
Des inconnus, des amis, des gens comme moi souvent sinistrés, m'ont aidée. A travers les villes touchées, des femmes et des hommes ont porté secours à des inconnus, à des amis, à des ennemis. Toutes les différences, tous les clivages sont tombés le 12 janvier 2010. La solidarité n'aura pas sauvé mon fils. Mais elle sauvera ce pays. Elle ne l'a pas sauvé, mais elle me permet de savoir. Merci à tous ceux qui ont pris le temps d'aider une mère, un père, des soeurs, toute une famille et toute une nation dans la douleur !
Dolores Dominique-Neptune
Dors mon ange !
Haïti: Dors mon ange!
Tu t'endors pour mieux vivre.
Mon ange, mon trésor, mon amour.
Les entrailles de la terre ont tremblé
Les murs de la cité se sont effondrés.
Et tu dors du sommeil de l'ange.
Dors mon ange!
Tu t'endors dans les bras du Père!
Une protection s'est transformée en arme
Mon tout petit, mon tout bébé, mon ange
S'est endormi... doucement, tranquillement.
Comme un ange. Comme un chérubin.
Dors mon ange !
Tu t'endors pour mieux vivre.
Comment, comment faire sans toi...
Sans ton nouveau rire, sans ton nouveau tout.
Tu dors mon ange ?
Réveille toi. Je ne peux. Je ne veux. Pas sans toi.
Dors mon ange!
Tu t'endors dans les bras du Père !
Et moi ? Seule ? Seule ? Seule sans toi...
Il fait froid. Il fait laid. Il fait mal.
Sans tes bras, sans ta joie, sans tes larmes
Un ange s'en va, un ange arrive, un ange revient.
Dors mon ange !
Tu t'endors pour mieux vivre.
Et la vie continue, et la boucle se ferme, et le cycle reprend !
Et nous vivrons, et nous nous battrons
Et nous ferons de cette Terre meurtrie
Une patrie où il fera bon vivre, enfin!
Dors mon ange !
Tu t'endors dans les bras du Père !
Et la vie fleurira, et nos morts renaîtront !
Et la vie reprendra et notre coeur ressuscitera
Et le bébé vivra! Grand et Fort comme toi !
Et la Terre sera enfin cette nation dont tu rêvais !
publié par Dolores Dominique-Neptune
En Haïti, "les esprits savaient"
Comment oublier ce 5 janvier ? Comment ne pas se dire que les esprits, ce soir-là, avaient lancé un signe et tenté de prévenir ? A leur façon bien sûr, codée et mystérieuse. Difficile à interpréter. Mais enfin, leur comportement si étrange, une semaine avant le séisme, était à l'évidence un message. Et Jean-Alex Marc, prêtre vaudou à Tabarre, un faubourg de Port-au-Prince, reste troublé par le souvenir. Il n'avait pas su voir.
C'était pour lui un grand jour, et la cérémonie qu'il avait longuement préparée promettait d'être à la fois fervente et délirante. "Une tradition pour moi ce 5 janvier. On l'appelle le "couché yanm", la communion de tous les esprits. Autant dire que c'est plein d'énergie !" Il avait invité d'autres hougans (prêtres vaudous), des dizaines d'initiés ; et très vite, après une longue prière, les tambours s'étaient déchaînés. Les esprits invoqués étaient venus, comme attendu. Mais ils étaient, comment dire, réticents. "Ils ne parlaient pas, ne mangeaient pas, ne festoyaient pas. Ils pleuraient. C'était bouleversant."
Papa Ogou, d'ordinaire si joyeux et festif, ne disait pas un mot. Les guédés (esprits des morts), qui ne craignent rien puisqu'ils ont déjà vécu, et forment une famille volontiers chahuteuse et paillarde, restaient mystérieusement éteints. Les chants et les danses ont quand même traversé la nuit. Mais au petit matin, le prêtre était perplexe. Et interrogeait ses pairs. Que s'était-il passé ? Où était l'erreur ? Avait-il commis une faute ? Fallait-il refaire la cérémonie ? "J'ai mis du temps à comprendre. Même le jour du séisme, je n'ai pas fait le lien. Mais l'évidence m'est apparue. Les esprits savaient qu'Haïti allait souffrir."
"Bien sûr, ils le savaient !", s'exclame André Ismaite, hougan lui aussi dans la commune de Tabarre, dont le temple - le hounfort - qu'il avait mis tant de temps à construire, s'est effondré en quelques secondes. "Nous étions avertis depuis le mois de novembre." Avertis ? "Disons que les esprits nous prévenaient par signes, par songes, par paraboles. Mais il y a tant de problèmes dans ce pays qu'on ne savait qu'attendre. Un énième soubresaut politique ? Un choc économique ? Quel tort de ne pas prendre plus au sérieux nos songes !" Qu'auraient pu faire les hougans, de toutes façons, s'ils avaient fait la bonne interprétation ? "Le gouvernement nous exclut, nous ignore, nous méprise", regrette André Ismaite. "On invite les pasteurs et les prêtres au palais présidentiel. Mais on fait comprendre qu'on n'y souhaite pas de cérémonie vaudoue. Quelle hypocrisie ! Ce pays a été fondé sur le vaudou. Tous les Haïtiens, qu'ils se proclament catholiques ou protestants, ont le vaudou dans le sang !"
L'itinéraire de Jean-Alex Marc n'était pas écrit à l'avance. Elevé par une maman catholique pratiquante éprouvant pour les rites vaudous une grande méfiance, il a beaucoup fréquenté l'église, avant d'être séduit par les Témoins de Jéhovah. Jusqu'à sa maladie. Soudaine. Mystérieuse. "Un 1er janvier, je me suis retrouvé aveugle. Sans raison apparente. Puis mon coeur a enflé. A la perplexité des médecins. Enfin, j'ai traversé une période de folie, avec de vrais délires. Et c'est à son issue que j'ai pris conscience de ma vraie place. J'étais un réclamé des esprits." Une cérémonie l'a confirmé : il était choisi pour être hougan. Impossible de refuser. A moins d'endurer des souffrances jusqu'à la mort. "Je voulais sauver ma vie. J'ai consenti. Et ma santé s'est rétablie."
Depuis, il officie dans une petite communauté pauvre qu'il chérit et dont il est, dit-il, malgré ses 36 ans, le "papa". Il organise les grandes cérémonies du calendrier vaudou, des mariages, des actions de grâces demandées (et payées) par des particuliers. Il sert de conseiller, de confesseur, d'arbitre, de psychologue. Et dans la petite cour entourée de bananiers et située entre son domicile et le petit hounfort qu'il nous fait visiter avec fierté, il reçoit sans cesse de la visite. Son téléphone portable est ouvert à tous.
Depuis le 12 janvier, "jour effroyable", il sonne sans arrêt. Pour poser mille questions : Pourquoi ? Quel sens ? Que faire ? Y a-t-il eu faute, donc punition collective ? Et puis, que faire des morts ?... Il a mûri ses réponses, littéralement "malade" de la souffrance de ses fidèles. "Dieu a créé le monde parfait ; nous les hommes, par ignorance ou méchanceté, l'avons dégradé ; on paie la conséquence. Mais Dieu et tous les esprits bien heureux peuvent alléger le fardeau."
Les cérémonies pour les morts ? Il ferme les yeux et soupire. Ah, les morts... Ces corps broyés sous les gravats. Ces cadavres suintant sur les trottoirs ou jetés dans des fosses communes. Comment ne pas frémir ? Comment ne pas s'épouvanter de cette violente entorse aux rituels du culte qui imposent notamment le dessounen, pratiqué juste avant ou juste après trépas pour libérer le corps des esprits qui le possédaient ? Mais il se veut pragmatique. Et apaisant. "Allons ! La grande catastrophe du 12 janvier balaie toute normalité. Adaptons-nous. Le corps, après tout, n'est qu'enveloppe. Débarrassons-nous des cadavres pour la sauvegarde de tous. C'est l'esprit qui importe. Nous ferons les cérémonies plus tard."
Son collègue approuve. Les hougans de la zone viennent d'ailleurs de se réunir pour décider des procédures. D'abord, bien sûr, se joindre à la prochaine cérémonie oecuménique prévue par le gouvernement. Ensuite se mettre à l'écoute des esprits qui indiqueront ce qui est bon et juste de faire pour les morts. Enfin, prévoir pour le 13 janvier 2011, soit un an et un jour après le séisme, la cérémonie essentielle du "brulezin". Les morts, dit-il, y parleront, donnant une explication à la fureur du séisme. "On sera prêt, alors, à les entendre. En ce moment, ça vacille nos têtes. Personne à Haïti n'est d'aplomb."
Annick Cojean
source
« Le rôle des ONG en Haïti soulève beaucoup de questions »
Interview de Jean Lavalasse, photographe et documentariste haïtien résidant à Bruxelles depuis le début des années 70. Il participera à une soirée de soutien à Haïti, le samedi 30 à Bruxelles (détails à la fin de l'interview)
PAR MAUD BELLON pour Investig’Action – michelcollon.info
Comment qualifieriez-vous la situation avant le séisme qui a touché Haïti ce 12 janvier 2010 ?
La situation était simple, nous étions sous occupation… et ce, depuis que Jean Bernard Aristide fut expulsé vers l’Afrique du Sud. Le gouvernement de René Préval était censé être mis en place pour effectuer une transition démocratique après Aristide. Mais nous avons connu trois impérialismes, ce que certains appelle l’IFAC : Impérialisme Français Américain Canadien.
Le Canada est arrivé dans les années 80 grâce à la francophonie et à ce qu’on nomme l’intégration horizontale : faire venir, dans un premier temps, les femmes et les enfants dans le pays pour pouvoir s’y installer plus tard. La France, elle, est très présente au travers des ONG. D’ailleurs, sous le gouvernement de l’ex 1er ministre Michèle Pierre Louis, Haïti était gouverné par les ONG ! Mme Pierre Louis collaborait grandement avec George Soros, que nous connaissons maintenant comme étant le grand magnat des finances et des ONG. Préval a voulu contrôler le pays en faisant des accords tacites avec la République Dominicaine, accords dont personne ne connait vraiment le fond.
Le 22 février 2006, Gérard Latortue, ancien 1er ministre d’Haïti, a signé un accord qui énonce clairement la mise sous tutelle onusienne du pays. Cet accord stipule que chaque accord pris antérieurement et qui serait en contradiction avec le fonctionnement de la MINUSTAH sera « corrigé » parce que caduc.[1]
Le 9 mai 2007, après une rencontre entre George W. Bush et René Préval, le désir sous-jacent d’autonomie a été presque totalement entériné. Durant cette rencontre, Bush a dit que les rapprochements entre Haïti et l’ALBA[2] devaient être avortés et que les Etats-Unis sont « les seuls amis d’Haïti ». Préval, en bon domestique, a pratiquement cessé d’apparaitre aux réunions de l’ALBA. Lors d’une entrevue avec Hugo Chavez, Jose Maria Aznar a même confié qu’il fallait « oublier Haïti ».
Quant au Brésil, il a un rôle capital, déjà tracé par Reagan en 1980 dans son Plan. En effet, il prévoyait que l’Allemagne s’occuperait de l’Europe, le Japon de l’Asie, l’Afrique du Sud de l’Afrique et le Brésil de l’Amérique Latine. Lula n’est que très peu progressiste donc il entretient de bonnes relations avec les Etats-Unis. Il n’a jamais été là pour aider Haïti, il n’a fait que poser les jalons pour préparer l’occupation des 3 roches.[3]
Maintenant, le pays est contrôlé par Barack Obama, lui-même secondé par Bill Clinton et George W. Bush…
(Rire) On a cru, surtout chez les « Noiristes », que parce que Barack Obama était noir, il allait changer les choses. Mais il ne faut pas oublier que c’est Colin Powell, un autre Noir, qui a fait arrêter Aristide. De plus, depuis des années, de nombreuses personnes se demandaient si Haïti pouvait devenir le Porto Rico ou le Taiwan des Caraïbes. La question est : dans quel sens ? Puisque Porto Rico lutte pour son indépendance et pour retirer son étoile du drapeau américain. François Duvalier a toujours dit qu’il fallait lutter comme pour la Martinique et la Guadeloupe. D’ailleurs, en ce qui concerne la Guadeloupe, les Etatsuniens ont compris que la France avait gagné une petite bataille. Pour faire face il faut donc qu’ils ternissent un peu l’image d’Haïti et démantelent le désir de libération. Obama, lui, est un produit, l’homme du système, il est formaté, il est la continuité de Kennedy dans le sens où lui aussi a envenimé une guerre en y envoyant des soldats.
Pour ce qui est de Clinton et Bush…
Aristide disait à propos des Américains : « Que je fasse, que je ne fasse pas, ils agiront quand même. » Dès 1993 et la réunion de Governors Island, Aristide avait compris qu’il devait se conformer aux exigences des Etats-Unis s’il souhaitait rester à la tête de l’Etat. L’ancien ambassadeur Américain en Haïti, Janet Anderson, a révélé que peu importe le gouvernement, que ce soit celui de Préval ou d’Aristide, Haïti a connu l’occupation doublure, c'est-à-dire que dans le dos de chaque ministre haïtien, il y avait un représentant américain et chaque parti politique était et est toujours financé par un des trois impérialistes au travers de différents organismes comme l’IRI (Institut Républicain International). Durant ce qu’on appelle, l’occupation d’octobre 94, Aristide devait, non seulement entretenir d’excellents rapports avec les Américains, mais également se plier aux quatre volontés du FMI. Pour cela, Haïti devait couper certaines aides destinées à la population et mettre au chômage les Haïtiens pas assez rentables et surtout « moderniser », autrement dit privatiser. Sa « désobéissance » provoquera sa chute quand il a réclamé le remboursement de la dette de l’indépendance à la France, soit 21 milliards de dollars, et a voulu augmenter les salaires des Haïtiens.
Dans ce cas, pourquoi Bill Clinton a tant tenu à restaurer Aristide ?
Aristide était devenu docile et surtout il était soutenu par le peuple. C’était par ailleurs son atout et sa faiblesse parce qu’à part le peuple, il n’avait ni parti politique, ni cadre et la rue ne peut pas vous aider à diriger un pays et à prendre des décisions. C’est aussi la première fois, que les Etats-Unis ramènent et contrôlent un président démocratiquement élu. Aristide était populaire, d’ailleurs une grande majorité de Haïtiens demeure « aristidienne », même s'il n’avait pas de véritable idéologie. Il avait de belles paroles et de bonnes intentions, mais qu’il n’arrivait pas à mettre en place. Pourtant, il avait les fonds pour. Peu après son élection, il a créé le groupe VOAM (Voyez Haïti Monter) qui a récolté en 4 jours près de 4 millions de dollars.
Pour l’heure, Haïti est investi par les GI Américains ressentez-vous ceci comme une invasion ?
C’est une invasion voulue et préparée par les hommes du gouvernement haïtien. Il ne faut pas dire que le président ait été pris de cours. L’impérialisme est bel et bien là et les conseillers de Préval préparaient cette invasion.
Quels sont les intérêts des Etats-Unis ?
Les intérêts des Américains de faire main basse sur Haïti sont nombreux. D’une part, la main d’œuvre est très bon marché en Haïti et l’île n’est située qu’à 30 minutes de la Floride, y faire transiter des cargaisons serait rapide depuis ce nouveau Taïwan.
Ensuite, il y a Cité Soleil, cette zone est convoitée par les Etats-Unis en accord avec la grande bourgeoisie commerçante d’Haïti, pour la convertir en un grand port : un port franc et une zone industrielle.
Puis, c’est le moment idéal pour se servir du territoire comme base arrière pour contrôler et contrecarrer Cuba puisqu’Obama a promis de libérer Guantanamo. Depuis Cité Soleil et au dessus de Gonave, il y a une vue appréciable sur Cuba.
Et enfin, le sous-sol haïtien est bourré de pétrole. Apparemment les gisements vénézuéliens prendraient leur source sous l’île. Port-au-Prince est assis sur un gigantesque puits de pétrole qui ne pouvait être jusque là exploité. En effet, depuis les années 50, Jean Dumarsais Estimé, le président de l’époque, avait déplacé la capitale anciennement située à Marchand-Dessalines vers l’actuel Port-au-Prince. Cette transition ne permettait pas d’exploiter le pétrole mais Mère Nature aidant, aujourd’hui tout est possible. De plus, le séisme a provoqué un exode rural volontaire des habitants de Port-au-Prince, laissant le champ libre à la destruction des ruines de la capitale et pourquoi pas le forage des sols… Dans d’autres circonstances, s’ils avaient demandé aux habitants de partir vers les campagnes cela aurait été considéré comme un génocide. La catastrophe apparait comme une aubaine pour les impérialistes car elle permet de déplacer à nouveau la capitale. Tout n’est qu’enjeux géopolitiques et économiques.
A votre avis, pourquoi les Américains sont arrivés en Haïti avec autant d’armes et de soldats ?
Les Américains sont arrivés en Haïti en position de vainqueurs. Ils voulaient démontrer leur force et leur suprématie pour impressionner à la fois la communauté internationale mais aussi, et peut-être surtout, les Haïtiens eux-mêmes. Ils ont senti qu’il y avait en Haïti des sentiments de « ras le bol » concernant l’occupation -aidé par les événements en Guadeloupe contre le gouvernement français. Il y a quelques années, les Français avaient confié aux Américains qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient d’Haïti dans leur arrière-cour mais qu’ils ne devaient pas toucher à la langue française ; les Français tenant à garder la francophonie intacte (bien qu’aujourd’hui trois quarts des Haïtiens parlent anglais) . Aujourd’hui, les Américains investissent leur arrière-cour et programment le quadrillage de l’île, pour ce faire, armes et soldats sont nécessaires.
Dans un article spécialement rédigé pour Newsweek, B. Obama a annoncé qu’il pensait faire un travail de reconstruction à long terme pour remettre le pays à flot, comme les Etats-Unis l’ont fait en Europe au lendemain de la 2nde Guerre Mondiale, et dans les Balkans pour la guerre au Kosovo, vous l’en remerciez ?
[Image: Avion "Nous apportons un hôpital"
USA "Repartez, il n'y a pas de place"]
(Rire) Quoique pensent faire les Etats-Unis, Cuba, le Venezuela et l’ALBA (Alliance Bolivarienne) seront toujours à nos côtés. Pour l’heure c’est aux Haïtiens de prendre leurs dispositions et de lutter contre les ingérences. Bien entendu, les Américains vont profiter du chaos qui règne mais ce chaos ne veut pas forcément dire qu’il n’y a pas d’organisations. C’est à nous de trouver un terrain d’entente, un fond commun pour reprendre les choses en main. Les difficultés seront présentes mais sur place le travail doit se faire. C’est à nous de mener la lutte contre l’impérialisme. Nous devons faire ce travail idéologique en poussant les envahisseurs hors de nos frontières. De 1994 à nos jours, Cuba a apporté plus d’aide à Haïti que n’importe quel pays soi disant « ami » et le peuple haïtien en est conscient.
La Conférence de Montréal du 25 janvier a regroupé les « amis » d’Haïti pour évoquer comment organiser l’aide…
Les amis d’Haïti ne font pas partie de ce groupe des 3 roches, des IFAC. Le Canada a un rôle fondamental au sein de cette trilogie dans laquelle Haïti est au milieu. En effet, il entretient des relations à la fois avec Haïti et la France pour la francophonie, mais aussi avec les Etats-Unis au travers de l’ALENA[4].
Le Canada est un grand manipulateur puisqu’il joue sur tous les tableaux et fait le travail de l’impérialisme. Si les Etats-Unis n’étaient pas venus eux-mêmes pour « gérer » l’après-séisme, ils auraient envoyé le Canada. En ce qui concerne le Brésil, Lula n’a pas encore acquis toute la confiance des Américains, qui ne lui auraient pas laissé l’opportunité de prendre les commandes en Haïti. Par ailleurs, notre « ami » canadien est en pleine appropriation de l’intelligentsia haïtienne puisqu’il lui ouvre grand ses portes. Pour exemple, il y a 5 ans, une seule des trois jeunes filles qui sont allées faire leurs études (payées par le gouvernement haïtien) en Belgique, est effectivement rentrée en Haïti. Donc nous ne sommes pas dupes, les pays présents à cette conférence, ne sont pas nos amis !
Et les relations avec Cuba, quelles sont-elles ?
Depuis la chute de François Duvalier elles étaient très attendues. En 1994, des relations diplomatiques s’engagent enfin sous Aristide. Dès le début, Cuba a déployé l’Aide Sud-Sud en envoyant des médecins, des agronomes… sur l’île pour aider et former les Haïtiens. Un jour, un paysan m’a dit : « les ONG nous donnent à manger et les Cubains nous apprennent à pêcher… » Au contraire des autres pays et ONG présents en Haïti, les Cubains et les Vénézuéliens nous parlent d’égal à égal et surtout, ils ne se sont jamais mêlés des affaires internes du pays. Il n’y a jamais eu d’ingérence de leur part.
Maintenant que les Etats-Unis ont fait main basse sur le pays, comment pensez vous que les relations avec Cuba vont évoluer ?
En 2004, quand Aristide fut chassé, les Français ont tenté de déloger les Cubains mais l’ambassadeur de Cuba est sorti de ses gonds et par crainte de chaos, les Français ont préféré se retirer. Obama va certainement tout faire pour minimiser l’aide cubaine et pousser les coopérants cubains hors du pays. Ce sera impossible puisque les Cubains et les Vénézuéliens ne sont pas nos amis ; ce sont comme nos frères. Cuba reste un élément fondamental, il est notre exemple. S’il le faut il y aura lutte au sein même de l’île pour dénoncer sérieusement l’ingérence des Américains.
Dernièrement, cette ingérence des Etats-Unis a valu aux avions de Médecins Sans Frontières d’être détournés vers la République Dominicaine…
Le détournement des avions de MSF, n’est qu’un faux problème. Les Américains comptaient sur MSF pour agir et faire le travail à Cité Soleil,… ils ont donné pignon sur rue aux ONG étrangères tandis qu’ils gèrent l’aéroport international. MSF réagit simplement pour faire bonne figure mais ces deux impérialismes sont alliés.
Pourtant nous avons pu voir des images télévisées montrer la population haïtienne remerciant les Américains de leur aide et brandissant le drapeau des Etats-Unis…
A Cité Soleil, il y a beaucoup d’ouvriers et beaucoup de journaliers ; ceux ci ont été payés par les Américains pour faire leur éloge et se pavaner avec leur drapeau.
De nombreuses ONG étaient déjà sur place avant le séisme, ce qui a permis de donner les premiers soins aux victimes, vous devez être reconnaissant envers cet élan de solidarité ?
Les ONG font souvent du bon travail sur place, mais profitent généralement de la situation. Il y a en Haïti pratiquement autant d’ONG qu’en Inde, sachant qu’Haïti est un territoire d’environ 27 750 km2 et l’Inde 3 290 000 km2 ! Haïti est une plateforme d’ONG.
Les premières ONG ayant porté secours sont les cubaines et les vénézuéliennes, les autres ont simplement appelé au secours pour faire venir l’aide. Ensuite, ce sont les aides chinoises qui sont arrivées les premières de l’extérieur. De plus, les ONG ont choisi leurs cibles. Quand une ONG vient en Haïti, elle s’installe dans les endroits stratégiques… et chauds, les ONG ne sont donc pas présentes sur toute l’étendue du territoire contrairement aux Cubains. Par ailleurs cette omniprésence entraine des rivalités entre ONG.
Vous semblez critique concernant les ONG…
Les ONG ont toujours été très présentes en Haïti au point qu’elles ont empêché la lutte, l’élan même de transformation mentale du peuple haïtien. Pour exemple, le père Lannoo a expliqué, lors d’une interview à la télévision suisse en 1986, que la population haïtienne devait être calmée et recentrée pour éviter tous désirs de changement et tendances révolutionnaires. Les ONG ont un rôle politique, voire tampon. Kissinger, le grand stratège de la guerre du Vietnam affirme que « si les ONG avaient existé dans les années 60, il n’y aurait pas eu de guerre au Vietnam ».
Au début, au sein des ONG, il y avait des mouvements de lutte de libération, comme au Nicaragua. En Europe, dans les années 70, les progressistes luttaient contre le pouvoir mais lorsque François Mitterrand arrive au pouvoir, la donne change. Auparavant, une partie de l’argent donnée aux ONG servaient à financer les mouvements de libération. Aujourd’hui, avec les socialistes au gouvernement, ces mouvements ne sont plus aussi viables, notamment parce que ce système de partage des dons est bien connu. Maintenant, il y a des réseaux pour contrôler les ONG. Ce sont des organisations créées par des progressistes, mais le système capitaliste a réussi à détourner le problème. De fait, les ONG sont devenues une plaque tournante des informations ; elles ont d’ailleurs donné de nombreuses informations sur les installations en Irak.
Le président René Préval a lui aussi émis des critiques sur les ONG en soulignant qu’il y avait un véritable manque d’organisation de l’aide internationale.
Le président peut être considéré comme étant pris entre deux feux mais soyons honnête, il est assis sur des ONG bien structurées. En Haïti, il n’y a jamais eu de canalisation des ONG, avec le séisme et le chaos ambiant cela devient plus visible alors Préval fait de belles phrases. Mais chez nous, ce sont les ONG qui choisissent, donc ce sont des faux problèmes, les ONG sont très bien organisées, elles sont structurées en réseaux, ce sont « des balles enrobées de sucre »[5] . Elles se battent entre elles, non pas à couteaux tirés mais à coup d’articles. Les gens se rendront compte au fur et à mesure de ce que cachent les ONG. Lorsqu’elles gouvernaient le pays grâce à Pierre Louis et Soros, Préval était satisfait puisque l’argent rentrait dans les caisses de l’Etat. Ce genre de discours n’a donc aucune valeur quand on connait la réelle situation d’Haïti. Préval ne peut rien faire d’autre.
Vous sous-entendez qu’il est dépassé ?
Il savait parfaitement où il allait mais pas à cette vitesse, pas si vite... Pour l’heure il est à découvert. Remettre les clés de l’aéroport international revient à remettre les clés du pays.
Comment Haïti peut reprendre sa vie en main ?
Les impérialistes peuvent rester longtemps, mais jamais définitivement. Ils peuvent faire des dégâts comme ils l’ont fait en 1915 et en 1934 lorsqu’ils nous ont laissé l’armée d’Haïti et ce, jusqu’à ce qu’Aristide la chasse. Si le palais national est tombé comme un château de cartes c’est parce qu’il y a des souterrains menant de la police au palais en dessous. Dans ces souterrains de nombreux hommes sont morts torturés par les milices de Duvalier.
Pourquoi Aristide ne revient-il pas ?
Aristide ne peut pas revenir maintenant, il y a trop d’enjeux et il n’a plus d’hommes de main, ni de cadre et il n’est plus soutenu par les impérialistes. Il existe des groupes, clandestins ou non, qui ont de l’argent, qui rassemblent du monde et qui avancent lentement. Il s’agit de distinguer qui sont nos vrais amis et nos vrais ennemis. En Haïti, il y a aussi une lutte des classes et une différence de perception entre homme blanc et homme noir. C’est donc tout un travail de reconstruction aussi bien physique qu’idéologique qu’il faut établir en Haïti. Quoiqu’il en soit, le Canada, la France et les Etats-Unis ne sont pas nos amis et ils l’ont prouvé.
Haïti deviendra t-il la 51ème étoile du drapeau américain ?
Haïti ne sera jamais un Etat américain !
Comment voyez-vous l’avenir ?
L’avenir sera dur, voire même très dur. Les Etats-Unis ont essayé d’hisser leur drapeau sur l’aéroport de Port-au-Prince, mais Préval y a mis un terme. L’étoile américaine ne sera pas pour Haïti. Si un jour Haïti a une étoile, elle sera rouge comme celle de Cuba. Haïti luttera pour retrouver sa souveraineté, le pays est indépendant depuis le 1er janvier 1804 et il le restera. Comme le disait Henri Christophe, nous pouvons mettre le feu dans tout Haïti ; l’impérialisme américain pourra reconstruire, mais cela pourra être détruit. Sur les cendres d’Haïti nous rebâtirons notre Haïti…
Notes :
[1] Accord du 22 février 2006, article 2.3 : « le gouvernement communiquera à la MINUSTAH copie de tous les accords qu’il aurait pu souscrire avant l’entrée en vigueur de l’accord du 22 février 2006, et qui seraient encore valides. Si la MINUSTAH considère qu’un de ces accords pourrait être incompatible avec son mandat ou avec la bonne exécution du plan de réforme de la Police Nationale Haïtienne, le gouvernement apportera à cet accord les aménagements que la MINUSTAH lui demandera pour éviter cette incompatibilité » et ajoute que le document accorde « à la MINUSTAH l’extension de sa toute puissance au-delà de l’actuel gouvernement de transition »
[2] Alliance Bolivarienne pour les Amériques
[3] Métaphore haïtienne pour caractériser les 3 pays impérialistes : des roches sur lesquelles on fait cuire à manger.
[4] Accord de Libre Echange Nord Américain conclu entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada
[5] Image employée par Mao
Source: michelcollon.info
Les mercenaires de la foi prospèrent sur les décombres [Video]
Depuis qu'Haïti a été frappé par le séisme, le pays voit affluer en masse des groupes religieux d'obédiences diverses et variées. Un avion affrété par l'acteur américain John Travolta a débarqué lundi à Port-au-Prince avec des missionnaires de l'Eglise de scientologie. Et des groupes chrétiens fondamentalistes tentent de s'implanter, comme le souligne Le Figaro et Le Devoir qui ont enquêté sur le sujet.
La scène remonte à lundi. Un peu plus d'une semaine après le séisme qui a frappé Haïti, un Boeing 707 venus des Etats-Unis se pose sur l'aéroport de Port-au-Prince. Rien d'exceptionnel à cela, si ce n'est que le pilote de l'avion n'est autre que John Travolta.
Parti de chez lui en Floride, le danseur vedette du film "Grease" a débarqué avec quatre tonnes de vivres et de matériel médical sur l'aéroport de la capitale haïtienne. Mais ce n'est pas tout, John Travolta était accompagné de plusieurs "ministres" à ne pas confondre avec les pontes de l'administration US. Ces "ministres"-là vêtus de tee-shirt jaunes, sont des ministres de la foi. La foi scientologue en l'occurrence.
Que font réellement ces "volontaires" ?
"Nous avons la possibilité de venir en aide au peuple haïtien et je ne peux tout simplement pas ne pas utiliser cet avion pour aider", a déclaré John Travolta après avoir posé les pieds sur le sol de Port-au-Prince. "Cette aide est-elle utile ?", s'interroge l'hebdomadaire québécois L'Actualité avant de préciser : "Ce ne sont ni les rations alimentaires, ni le matériel médical qui sont ici remis en question, bien sûr, mais plutôt ce que font les "ministres volontaires."
L'AFP explique au travers d'un reportage que les scientologues présents à Haïti soignent les blessés du séisme à l'aide d'une technique pour le moins controversée : "Nous sommes tous rompus au procédé d'assistance par le toucher. Cela consiste à rétablir la communication avec des parties du corps blessées ou malades", explique une Parisienne qui dit simplement s'appeler Sylvie.
"J'ignorais qu'on pouvait soigner la gangrène grâce au toucher"
"Lorsque votre corps reçoit un coup, l'énergie reste bloquée. Alors nous, nous rétablissons la communication à l'intérieur du corps en touchant les gens à travers leurs vêtements", poursuit-elle, très sérieusement. Cette Française fait partie d'une équipe de 80 volontaires de la Scientologie. C'est un généreux donateur anonyme qui leur a prêté son avion privé pour les envoyer avec 50 médecins Américains sur la zone sinistrée.
"J'ignorais qu'on pouvait soigner la gangrène grâce au toucher", ironise un médecin américain extérieur au groupe en poste à l'hôpital central de Port-au-Prince. Mais les Scientologues convoyés ou non par des stars du show-business ne sont pas les seuls à avoir jeter leur dévolu sur Haïti en ruines, comme en témoigne un reportage du Figaro.
Haïti, terre de mission pour les évangélistes
"Les groupes chrétiens fondamentalistes américains ont afflué en masse en Haïti, île catholique considérée comme terre de mission", écrit le quotidien. Un exemple parmi d'autres : le Temple d'Antioch, une Église "indépendante" basée à Waco, Texas, qui agit sous couvert de l'ONG Act of Mercy. Ses représentants en Haïti se concentreraient sur les orphelinats.
A la Maison des enfants de Dieu, qui hébergeait 135 pensionnaires avant le tremblement de terre, une quinzaine de "missionnaires" d'Act of Mercy ont posé leurs bagages près du campement occupé par les enfants. Selon Le Figaro, le directeur adjoint de la Maison, Alexis Pierre-Delet, ignore l'origine de ces "Blancs" et leur mission : "Ils ont promis de nous aider mais ils n'ont rien donné. Je crois qu'ils veulent rapatrier les enfants aux États-Unis."
"Ils sont venus prospérer sur la misère"
"Ils sont venus prospérer sur la misère", déplore l'abbé Pierre-André, de l'église Sainte-Bernadette, à Martissant. Interrogé par le quotidien québécois Le Devoir, ce religieux catholique dénonce une situation qui n'a pas échappé pas non à plus au personnel médical présent sur place et aux diplomates. "C'est le déluge, on n'en a jamais vu autant", estime l'un d'eux, cité par Le Devoir.
"Qui sont-ils? Comment sont-ils venus? Quels comptes rendent-ils?", s'interroge Véronique Ductan, infirmière haïtienne venue de Montréal. Un médecin haïtien questionné par Le Devoir mentionne également que les avions utilisés par ces groupes religieux ont engorgé "l'aéroport tenu par les Améric
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