La tragédie qui a frappé Port-au-Prince a fait resurgir des « pourquoi » sur le mystère du silence de Dieu et des origines du mal. Des Haïtiens, d’ici ou de là-bas, confient à « La Croix » ces interrogations universelles
Une femme en prière au cours d'un service religieux à Port-au-Prince, dimanche 24 janvier (AP/Abd).
«Comment croire en un Dieu infiniment puissant et bon qui observe, goguenard, ses “enfants” crever sous les débris des immeubles de Port-au-Prince ? Si on est créateur de l’univers, on est en mesure d’empêcher de telles catastrophes ! Et si, le pouvant, on ne le fait pas, on ne peut se proclamer Dieu d’amour. Tout le reste est littérature. »
Tel Voltaire en son siècle après le séisme de Lisbonne, l’auteur de ces lignes est l’un des nombreux internautes à avoir exprimé sur un blog de La Croix sa colère et son incompréhension. Comment comprendre ce nouveau malheur venu s’ajouter aux 32 coups d’État et aux centaines de cyclones qui sont passés sur l’île depuis deux cents ans… Le séisme du 12 janvier a fait resurgir de manière abrupte des « pourquoi » qui touchent au scandale de la souffrance des innocents, à l’énigme insoutenable du mal, au mystère du silence de Dieu.
« Notre foi est mise à rude épreuve par ce désastre horrible », reconnaissait, quelques jours après le drame, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, dans son homélie lue en hommage aux victimes. « Toute personne qui croit en Dieu et qui essaye de vivre de cette foi ne peut pas ne pas être touchée au cœur par le malheur qui détruit et par la malédiction qui touche votre pays. Tous s’interrogent : “Où es-tu Seigneur ? Que fais-tu Seigneur ?” »
Chacun, au milieu du chaos, interroge le ciel
« Comment Dieu peut-il laisser faire cela ? » reprend une jeune catholique haïtienne, Stéphane Rebu, 25 ans, rencontrée dans un camp de sinistrés à Port-au-Prince. Lorsque la terre a tremblé, cette enseignante d’éducation physique était dans la cour avec ses élèves. « Mon école est au bord d’une falaise, et le mur de l’enceinte est tombé au pied de cette falaise… C’était effrayant ! Je suis rentrée chez moi en marchant, et à chaque coin de rue, j’entendais des gens prier. Je me demande encore comment j’en suis sortie vivante ! »
Domini, étudiant de 22 ans, a perdu sa sœur. « Nous avons beaucoup prié pour qu’on la retrouve vivante. Mais son corps a été dégagé des décombres… C’est terrible pour toute la famille, mais nous devons l’accepter. On se demande pourquoi c’est arrivé, pourquoi nous… »
Comme Stéphane ou Domini, chacun, au milieu du chaos, interroge le ciel, tente de comprendre l’inexplicable. Certains y voient une punition divine. « Je ne sais pas contre quoi, ni contre qui, ni ce que cela veut dire précisément. Mais la preuve, c’est que dans la même rue, certaines maisons sont tombées, alors que celles d’à côté ont tenu le coup, sans explication », affirme Francisco, 16 ans.
«Des innocents sont morts, mais ce ne peut être la volonté de Dieu»
Clainise, 23 ans, a perdu son oncle et sa cousine : « Je ne veux pas dire que les personnes qui sont mortes ont été visées par Dieu, modère-t-elle. Mais c’est un châtiment contre le pays tout entier, contre les hommes qui sont trop égoïstes. »
« Je suis catholique et je pense que ce tremblement de terre n’a rien à voir avec Dieu, rétorque Jean-Pierre Johnson, 22 ans, photographe, qui a pu s’échapper de son studio dès les premières secousses. C’est un phénomène naturel. Les victimes sont mortes à cause des mauvaises infrastructures de notre pays. » Pourtant, lorsqu’on lui parle des rescapés, Jean-Pierre avance : « Je crois quand même que certaines personnes ont reçu une faveur, notamment celles qui sont sorties indemnes des décombres. C’est tellement incroyable. Dieu doit se dire qu’il a un plan pour elles, ou bien qu’elles ne méritent pas de mourir. Dieu fait des choix. »
Berthony, journaliste et peintre de 40 ans, mormon, a lui aussi l’impression d’être un miraculé : « Ma maison s’est effondrée. À ce moment-là, j’assistais aux funérailles de mon beau-frère et ma sœur, enceinte, était chez sa mère. Sans cet enterrement, je pense que nous serions tous restés à la maison et nous aurions été ensevelis. Je pense que Dieu est bon. Des innocents sont morts, mais ce ne peut être par sa volonté. »
«Pas l’ombre d’une révolte, mais une foi profonde»
« Parfois, j’interroge Dieu : pourquoi lui ? Il était un père pour nous, confie, à Paris, Gemelite Lazare, 53 ans, cousine de Mgr Joseph Serge Miot, archevêque de Port-au-Prince, tué lors du séisme. Mais je sais que Dieu ne l’a pas voulu. Je dis : que votre volonté soit faite. »
Une de ses amies, Marie-Rose Pascal, 42 ans, témoigne de la même confiance en la Providence : « Il ne nous a pas lâchés. Il nous aime tellement. Hier, ils ont trouvé des vivants sous les décombres, après huit jours sans boire ni manger. C’est le signe que Dieu est là, c’est lui qui les soutient. Les gens posent la question à l’envers : ils ne voient pas que tout cela, ce sont des miracles. »
« Pas l’ombre d’une révolte, mais une foi profonde : on retrouve là, à mon sens, l’âme haïtienne. Pour un Haïtien, Papa Bon Dye est foncièrement bon », observe le P. Bernard Collignon, prêtre des Frères des Écoles chrétiennes, en Haïti depuis des années.
«Dieu ne veut pas la souffrance. Il est là avec nous»
« Mis à part quelques prophètes de malheur qui profitent de la situation pour accuser le peuple haïtien de tous les péchés du monde, la propension générale est plutôt à la bénédiction et à la louange pour les vies sauvées, confirme le P. Maurice Piquard, montfortain, dont la congrégation a perdu dix séminaristes. Dieu est loué comme le maître de la vie. Le présent et l’avenir lui appartiennent. Les Haïtiens savent d’instinct que Dieu est Amour infini, qu’il accueille les défunts avec lesquels ils continueront à vivre une relation très forte. »
Mais si les Haïtiens se refusent à intenter un procès à Dieu, que dire alors de l’énigme violente du mal, broyant aveuglément la vie de plus de 150 000 personnes ? « Nous aimerions savoir pourquoi ce mal se produit, mais une tragédie de cette envergure est au-delà de toute explication : ce serait justifier le mal que de l’expliquer, souligne Mgr Pierre Dumas, évêque de l’Anse-à-Veau et de Miragoâne. Dieu se trouve sous les tentes, avec ces gens qui ont tout perdu, plaide-t-il. Aujourd’hui, le visage de Dieu, c’est le visage souffrant du Christ dans les traits des personnes sinistrées, qui, la nuit, ont faim et froid. Dieu ne veut pas la souffrance de ses enfants, il l’a portée dans son propre corps, il l’a traversée. Il est là avec nous. »
«C’est dans l’action au service des autres que notre intelligence reçoit la réponse»
Pour le président de Caritas Haïti, qui sillonne sans cesse les camps de sinistrés pour consoler les familles endeuillées et organiser les secours, la réponse n’est pas dans la spéculation, mais dans la manière dont chacun répond à la tragédie : « La qualité humaine qu’on va mettre, la charité qui va découler de nos cœurs, cette capacité de développer une plus grande solidarité, détaille Mgr Dumas, c’est tout cela qui va faire la différence et permettre aux gens de pouvoir se relever. »
« C’est dans l’action au service des autres que notre intelligence reçoit la réponse aux questions posées, renchérit le P. Manuel Rivero, vicaire provincial des dominicains, qui organise le ravitaillement dans la capitale haïtienne. Encore ces jours-ci à Port-au-Prince, j’ai pu expérimenter l’innovation qui jaillit dans le combat commun contre le malheur. Il arrivait que des jeunes ou de moins jeunes me saluent, autrefois, dans la rue ou dans un bidonville : “Bonsoir, Blanc.” Mais personne ne m’a appelé “Blanc” ces jours-ci quand, avec des Haïtiens, je portais un cadavre dans une rue jonchée de morts. À l’occasion du malheur, les cœurs peuvent s’ouvrir. Le meilleur de l’homme émerge alors des profondeurs de l’être avec des richesses jadis laissées en friche. »
Gilles BIASSETTE (à Port-au-Prince) et Céline HOYEAU
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