mercredi 6 janvier 2010

Armand Nicolas « Le changement, c’est à la fois l’espoir et l’inquiétude »

Chez lui, en Martinique, l’historien Armand Nicolas, ancien secrétaire général du PCM, nous parle des peurs face au vote autonomiste, et des escroqueries des autres à faire croire qu’il s’agit d’indépendance. Le 74 est, dit-il, un petit pas ouvrant la porte à une participation plus forte à la gestion de nos affaires. Entretien.

Martinique, envoyé spécial.

Dimanche 10janvier, les habitants de la Martinique et de la Guyane iront aux urnes pour dire s’ils veulent le changement statutaire que le gouvernement leur propose. Face à face, l’article 73 de la Constitution, qui depuis longtemps a montré ses limites, et l’article 74 dont relèvent les collectivités d’outre-mer comme la Polynésie française. L’article 74, qui prévoit une autonomie encadrée, est apte à permettre aux Martiniquais et aux Guyanais un plus dans la gérance de leurs affaires.

Quel est l’état d’esprit 
des Martiniquais face à la décision qu’ils ont à prendre  ?

Armand Nicolas. On est dans une période de crise mondiale. Chez certains, les difficultés provoquent du mécontentement devant les carences du pouvoir – il n’y a qu’à voir le mouvement de février, qui est le signe d’un malaise, de l’échec de la politique gouvernementale. Mais la crise crée en même temps des sentiments d’inquiétude. Les gens ont peur de perdre le peu qu’ils ont. Et cet état de fait concerne une grande partie des Martiniquais si on prend en compte que 30 000 érémistes vivent de ce peu. Ceux qui disent qu’en votant pour l’article 74, « zot ké pède RMI ya » (« vous allez perdre le RMI »), savent ce qu’ils font.

Mais est-ce si difficile d’imaginer 
ce qui pourrait être gagné 
avec l’article 74  ?

Armand Nicolas. C’est difficile. Parce que tout ce qui est inconnu est irréel. C’est du virtuel. Tandis qu’en ce qui concerne l’article 73, on sait ce qu’on tient  : le RMI, l’allocation logement, la Sécurité sociale… Certaines personnes n’ont que ça. Et le président de la République a beau dire  : « Ne craignez rien », cela n’empêche pas l’inquiétude. Qu’est-ce que l’article 74 va nous donner  ? Cela ne peut être que de l’imagination. Quant au 73, dans l’état actuel, c’est un minimum de survie qu’il faut tenir, selon certains.

Sur quels thèmes s’appuient
les partisans du 73 pour faire 
peur au peuple  ?

Armand Nicolas. Les partisans du 73 font croire qu’il va tout perdre. Ils font croire que les hommes politiques qui soutiennent l’article 74 sont des coquins ou des voleurs. L’UMP fait sa campagne directement sur ce thème. Sur l’incapacité et l’irresponsabilité des politiques martiniquais. Nous avons adopté le mot d’ordre de « Rassemblement pour le changement ». Personnellement, je n’aurais pas choisi le mot changement. Car le changement, c’est à la fois l’espoir, et en même temps l’inquiétude. Celui qui va voter pour le 74 est celui qui porte l’espoir. L’autre, c’est celui qui brandit l’inquiétude. Les békés, s’ils soutiennent l’article 73, ce n’est pas parce qu’ils ont toujours été pour. Mais parce que, pour eux, c’est la seule manière de bloquer le 74. Ils se disent qu’avec cet article, ils peuvent encore rester tels qu’ils sont.

On entend beaucoup dire 
que les hommes politiques martiniquais ne sont pas armés 
pour le 74. Qu’en est-il  ?

Armand Nicolas. C’est ça le cheval de bataille que les békés et leurs valets ont choisi  : les Laventure, les Maignan… C’est là-dessus qu’ils appuient. C’est le truc qu’ils ont trouvé pour pousser les gens dans l’inquiétude. Pour eux, ce qu’on a, aujourd’hui, est peut-être meilleur que de changer pour tomber sur la coupe des politiciens qu’ils dénigrent. Si on compare les manifestations des partisans du 74 et celles du 73, je dirai que celles des autonomistes sont plus nombreuses et attirent plus de gens. Nous avons fait des manifestations qui ont regroupé plusieurs milliers de personnes. En face, ils n’ont 
jamais fait cela. Un jour, la télévision a montré des participants d’une réunion du 73  : des membres de l’UMP, de la droite, une bonne douzaine de békés… C’est normal car c’est eux qui financent. Le lobby béké marche à fond dans cette affaire-là. Mais il ne faut pas juger sur ces manifestations. Le collectif organise beaucoup de réunions dans toute la Martinique. Nous avons une bonne quinzaine de municipalités qui portent l’article 74 à bout de bras. Mais ce n’est pas parce que le maire a choisi son camp que les habitants vont le suivre. Et il y a aussi ceux qui tournent casaque parce qu’ils sentent que leur population, leur entourage, est contre.

Comment interpréter le choix 
du maire de Fort-de-France 
en faveur du 73  ?

Armand Nicolas. Le maire de Fort-de-France dit que la Martinique n’est pas prête. C’est honteux de dire cela. Voilà un parti, qui depuis 1971 a 
signé la convention du Morne-Rouge. Cette convention a rassemblé toutes les forces autonomistes de l’époque, avec un programme précis. Tout était prévu. Y compris la répartition des pouvoirs dans les systèmes et les assemblées. Aujourd’hui, Serge Letchimy vient nous dire que nous ne sommes pas prêts  ! Le Parti communiste martiniquais, qui n’a pas l’envergure du PPM (Parti progressiste martiniquais) dirigé par Serge Letchimy, est prêt. Alors, à quel moment ce dernier sera-il prêt  ?

Peut-on dire que certains groupes sociaux sont plus enclins à soutenir l’article 73 ou l’inverse  ?

Armand Nicolas. Ceux qui ont participé au combat de février ont plus intérêt à soutenir le 74. Seulement il faut le leur dire. Il y a eu un grand mouvement populaire, la Martinique s’est mise debout comme jamais elle ne l’avait été. On a élaboré des plates-formes revendicatives… et puis arrive le statut. Et des gens, qui étaient dans le mouvement, n’ont toujours pas compris que le 74 est le prolongement politique du 5 février.

Certains hommes politiques disent ne pas être prêts à davantage d’autonomie. Que leur manque-t-il pour l’être  ?

Armand Nicolas. Pour eux, il faut apprendre à diriger avec les nouveaux pouvoirs. C’est comme pour les esclaves de 1848. On disait alors  : on va leur donner la liberté. Mais est-ce qu’ils sauront s’en servir  ? Quand les esclavagistes ont vu arriver l’abolition, ils ont mis en avant le fait que les esclaves n’étaient pas prêts pour la liberté.

Entretien réalisé par Fernand Nouvet
http://www.humanite.fr/2010-01-05_Politique-_-Social-Economie_Armand-Nicolas-Le-changement-c-est-a-la-fois

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